CHAPITRE 8 : Premiers Éclats

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La semaine avançait, et Lila sentait la tension monter autour d’elle. Depuis que Chloé avait surpris ses absences et ses rapprochements avec Jonah, les cheerleaders semblaient parler d’elle à voix basse dès qu’elle tournait le dos. Malgré ses efforts pour ignorer ces murmures, elle sentait son isolement croître à chaque entraînement.

Ce vendredi après-midi, l’entraînement battait son plein, mais les regards pesants la déconcentraient. Chloé finit par s’avancer vers elle, le ton plus sec que d’habitude.

— Lila, on peut parler ? demanda-t-elle, mains sur les hanches, alors que le reste de l’équipe pratiquait leurs portés.

Lila essuya la sueur de son front avec sa serviette et hocha la tête.

— Bien sûr.

Elles s’éloignèrent des autres filles, qui jetaient des coups d’œil curieux tout en poursuivant leurs exercices. Chloé croisa les bras et lui adressa un regard sérieux. Une lueur d’inquiétude, mêlée de frustration, passa brièvement sur son visage.

— OK, écoute : je vais être honnête avec toi, parce que je tiens à toi. Ce truc avec Jonah, ou peu importe ce que c’est… ça doit s’arrêter. Tu n’es plus toi, Lila. Et j’ai peur que tu nous abandonnes.

Ces derniers mots, presque murmurés, laissèrent Lila sans voix. Elle haussa les sourcils, surprise par la franchise de Chloé.

— Pourquoi est-ce que ça t’embête autant ? demanda-t-elle d’une voix qui se voulait calme malgré son agacement.

Chloé insista, appuyant sur chaque mot :

— Parce que ça te change. Je te connais, Lila, et ça ne te ressemble pas. Qu’est-ce qui te pousse à modifier autant tes habitudes ? Tu n’écoutes plus l’équipe, tu passes ton temps à rêvasser, et tu traînes avec quelqu’un qui n’a rien à voir avec notre monde.

Lila sentit une colère froide monter en elle.

— Peut-être que je ne veux plus être celle que tout le monde attend que je sois, répliqua-t-elle, reprenant presque les mots que Jonah lui avait glissés quelques jours plus tôt.

Chloé cligna des yeux, déconcertée par sa fermeté.

— Lila, être toi-même, c’est être ici, avec nous. Pas avec lui. Jonah Parker ne te mènera nulle part. Tu te rends compte de ce que les gens disent ?

Un nœud se forma dans l’estomac de Lila.

— Je me fiche de ce que les gens disent, murmura-t-elle d’une voix tremblante mais résolue.

Chloé secoua la tête, dépitée.

— Eh bien, moi, je m’en soucie. Tout ce que tu fais nous impacte, Lila. Tu es notre capitaine. Si tu veux tout foutre en l’air, ne viens pas pleurer quand tu te retrouveras seule.

Elle tourna les talons et rejoignit les autres filles, laissant Lila figée sur place, la gorge serrée. Autour d’elle, la musique d’entraînement des pom-poms girls couvrait à peine le malaise.

Le soir même, Lila se retrouva devant le garage de Ryan, les mains enfouies dans les poches de sa veste en jean. Le vent frais de Seattle, au cœur des années 90, mordait sa peau, mais elle se sentait pourtant plus en paix ici qu’au lycée. Au loin, l’enseigne clignotante d’un café grunge rappelait l’effervescence musicale de la ville, tandis que le son lointain d’un morceau de Nirvana résonnait dans quelques radios de quartier.

À l’intérieur, Jonah et son groupe terminaient une répétition. Ryan frappait ses baguettes contre les cymbales avec force, tandis que Lucas faisait gronder sa basse d’un air concentré. Jonah, le visage marqué par la fatigue, jouait un riff complexe, ses doigts glissant sur les cordes avec aisance mais détermination. Lila s’approcha doucement de la porte ouverte, attirée par la musique qui l’enveloppait. Jonah, dès qu’il la remarqua, posa sa guitare contre un ampli, interrompant le morceau.

— Salut, cheerleader, lança-t-il avec un sourire en coin.

Ryan se tourna et leva les yeux au ciel.

— Encore elle ? Jonah, mec, t’es vraiment fichu.

Lila ignora la pique de Ryan et entra dans le garage, ses bottes claquant légèrement sur le sol de béton.

— Je peux rester ? demanda-t-elle, un peu nerveuse, en regardant Jonah.

— Bien sûr, répondit-il sans hésiter. Lucas hocha la tête avec un sourire discret.

— Tant qu’elle ne critique pas ma basse, ça me va, plaisanta Lucas d’un air léger.

Ryan grogna mais ne dit rien, se tournant vers sa batterie. Lila s’assit sur une caisse en bois près du mur, croisant les jambes. Elle observa Jonah reprendre sa guitare et ajuster quelques réglages sur un ampli qui grésillait.

— Vous jouez quoi ce soir ? demanda-t-elle, tentant de dissimuler l’effervescence intérieure qui la traversait.

Jonah leva les yeux vers elle, un sourire énigmatique sur les lèvres.

— Peut-être un truc plus improvisé… On a déjà bossé nos morceaux, alors autant lâcher un peu prise.

Il gratta les cordes doucement, créant une mélodie lente et hypnotique, presque mélancolique. Lila ferma les yeux, se laissant emporter par cette musique brute. Quand il s’arrêta, elle applaudit doucement.

— C’était magnifique.

— Merci, répondit-il simplement, un brin gêné.

Ryan, assis derrière sa batterie, les observait avec un mélange d’exaspération et de curiosité.

— OK, c’est quoi, le deal ici ? Vous deux, c’est sérieux ou quoi ?

Lila rougit légèrement, mais Jonah haussa les épaules, jouant la désinvolture :

— Peut-être.

Ryan soupira bruyamment.

— Mec, fais ce que tu veux, mais je te rappelle qu’on a un groupe. Si elle te déconcentre, c’est pas cool.

Lila, piquée au vif, se leva, bras serrés autour de sa taille :

— Je ne veux pas vous déranger. Si ça pose problème, je peux partir.

Jonah fronça les sourcils et se tourna vers Ryan :

— Elle ne dérange pas. Si t’as un problème, c’est toi qui peux partir.

Ryan roula des yeux sans répondre. Lucas, qui regardait la scène en silence, éclata d’un rire soudain.

— Je crois que t’es foutu, Jonah, lança-t-il, à mi-chemin entre la taquinerie et la résignation.

Jonah sourit légèrement avant de poser sa guitare, puis se tourna vers Lila :

— Viens, on sort un peu.

Ils allèrent s’asseoir sur le trottoir devant le garage, la rue calme autour d’eux. Jonah sortit un médiator de sa poche et le fit tourner entre ses doigts, comme un réflexe nerveux.

— Tu es venue à cause de Chloé ? demanda-t-il doucement, le regard vers un lampadaire clignotant au loin.

Lila releva la tête, surprise qu’il devine si vite.

— Comment tu sais ?

— Parce que je sais comment sont ces gens. Ils veulent que tout reste dans leur cadre parfait, sans risque ni changement.

Elle soupira, jouant avec la sangle de sa veste.

— Elle m’a dit d’arrêter de te voir.

Jonah esquissa un sourire teinté de tristesse.

— Alors, pourquoi tu es là ?

Elle le regarda dans les yeux, sa voix soudain plus ferme :

— Parce que je ne veux pas qu’on dicte ma vie. Ni Chloé, ni personne.

Jonah la fixa un moment, comme cherchant la sincérité dans son regard. Puis, d’une voix plus douce :

— C’est courageux, cheerleader.

— Ce n’est pas facile, ajouta-t-elle dans un souffle.

Jonah hocha la tête, faisant tourner son médiator entre ses doigts.

— Rien d’important ne l’est.

Ils restèrent un instant silencieux, écoutant une voiture passer au ralenti. Puis Jonah se tourna vers elle, un léger éclat dans les yeux :

— Reste, si c’est ce que tu veux vraiment.

Lila, pour la première fois depuis longtemps, se sentit exactement là où elle devait être.

Ils demeurèrent un moment assis sur le trottoir, sans rien dire, juste à écouter le silence ponctué de bruits lointains — le ronron d’un moteur, un chien qui aboyait au loin, la rumeur étouffée du groupe qui reprenait une autre chanson dans le garage. L’air était frais, et Lila frissonnait un peu, mais elle n’avait pas envie de bouger. Un calme inattendu l’enveloppait.

Finalement, Jonah tourna la tête vers elle :

— Tu veux rentrer ? Il fait froid.

Lila passa la main sur ses bras nus, les frottant pour se réchauffer.

— Juste encore un peu, j’aime bien l’air frais, dit-elle en adressant un regard reconnaissant à Jonah.

Le jeune homme glissa son médiator dans la poche de sa veste en jean, puis posa son coude sur ses genoux, l’observant attentivement.

— Je sais que ça doit être compliqué avec Chloé et les autres.

Le visage de Lila se ferma légèrement, et elle laissa échapper un soupir.

— Elles sont comme ma famille, en quelque sorte. Surtout Chloé. Mais elles ne comprennent pas. Elles veulent que je reste la Lila qu’elles ont toujours connue, la fille sans histoires, la capitaine irréprochable.

Jonah hésita, cherchant ses mots :

— Ça veut dire quoi, « fille parfaite » ?

Lila esquissa un sourire triste :

— Quelqu’un qui ne fait pas de vagues, qui réussit tout, des entraînements aux examens, et qui s’entoure des personnes “correctes”. En gros, pas de musiciens rebelles dans l’équation, ajouta-t-elle avec un petit rire amer.

Jonah fronça légèrement les sourcils.

— Je ne suis pas rebelle, je crois. J’ai juste… besoin de faire les choses à ma manière.

Elle baissa le regard, fixant un caillou qu’elle fit rouler du bout de sa botte.

— Je sais. C’est ce qui me plaît chez toi. Et c’est ce qui leur fait peur, à elles.

Un léger sourire étira les lèvres de Jonah. Il avança la main et effleura la sangle de la veste de Lila, hésitant à pousser plus loin ce geste de tendresse.

— Tu veux qu’on aille faire un tour ?

Elle releva les yeux vers lui, capta la sincérité dans son regard, éclairé par la lueur orangée du réverbère.

— Où ça ?

— Je sais pas… On peut marcher un peu dans le quartier, prendre un soda au mini-market. Juste pour… être ailleurs.

Lila approuva d’un signe de tête.

— Bonne idée.

Ils se relevèrent, engourdis par le froid et le béton. Avant de partir, Lila jeta un coup d’œil au garage, d’où provenait encore la basse grondante de Lucas. Un instant, elle s’en voulut d’avoir « arraché » Jonah à la répétition, puis se souvint du mépris de Ryan à son égard. Elle secoua la tête pour chasser cette culpabilité.

— Allez, viens, fit Jonah en lui tendant la main.

Ils s’éloignèrent de la maison, longèrent le trottoir. Le bitume luisait sous la lumière pâle des lampadaires. Quelques maisons plus loin, un porche restait éclairé par des guirlandes de Noël oubliées, créant une ambiance insolite dans la nuit naissante.

— Tu m’avais dit que tu jouais un peu de piano, non ? relança Lila en fourrant les mains dans les poches de sa veste.

Jonah hocha la tête.

— Mon père était prof de musique. Il me faisait faire mes gammes quand j’étais gosse. Je détestais ça, mais ça m’aide pour la guitare.

— Tu ne l’as jamais joué devant moi, insista Lila, intriguée.

— Je n’aime pas trop le vieux synthé dans le garage de Lucas. Il est désaccordé, et puis… je sais pas, il manque une étincelle.

— Une vraie salle, peut-être ? Ou un vrai piano ? suggéra-t-elle.

Jonah sourit :
— Ouais, un vrai piano, quelque chose comme ça.

Ils arrivèrent devant un petit supermarché de quartier, sa devanture éclairée par un néon clignotant. Le trottoir était désert, l’air chargé d’humidité, et peut-être d’une averse imminente. Jonah poussa la porte en verre, la clochette tinta doucement. Un vieil homme à la caisse leur jeta un regard distrait avant de replonger dans son journal.

— Qu’est-ce que tu prends ? demanda Jonah, désignant le rayon des boissons, où quelques sodas 90’s trônaient (Crystal Pepsi, etc.).

Lila parcourut les canettes des yeux :

— Un Pepsi, je pense.

Jonah opina, prit la même chose, et ils payèrent en silence. Le vendeur, l’air indifférent, rendit la monnaie sans un mot.

Dehors, le vent se mit à forcir, et Lila serra sa veste contre elle, buvant une gorgée de soda.

— Ça fait du bien de changer de décor, murmura-t-elle, comme délivrée.

— Ouais, répondit Jonah, le regard perdu sur la rue déserte. Ça fait du bien à moi aussi, pensa-t-il sans le dire.

Ils continuèrent à marcher côte à côte, échangeant des banalités sur les cours, la ville en pleine mutation, la musique du moment. Lila, plus détendue, laissa échapper un rire quand Jonah imita un animateur radio trop enthousiaste, prétendant lancer un nouveau morceau de Pearl Jam.

Au détour d’une rue, ils s’arrêtèrent devant un vieux disquaire fermé. Sur la vitrine s’entassaient des affiches de concerts passés ou à venir. L’une d’elles capta l’attention de Jonah : un groupe local jouant bientôt dans une petite salle du centre-ville.

— On devrait y aller, proposa-t-il d’un air soudain enthousiaste.

Lila s’approcha, parcourant les noms des groupes. Son visage s’illumina :

— Ça a l’air cool, j’adore aller en concert.

— Parfait, alors on y va ensemble ? relança Jonah avec un sourire sincère, comme s’il venait de lui proposer un rendez-vous officiel.

Lila hocha la tête.

— D’accord.

Ils se regardèrent, chacun un peu gêné par le caractère implicite de ce « rendez-vous ». Jonah baissa les yeux sur ses chaussures, reprenant doucement :

— T’es sûre que ça ne va pas te causer encore plus d’ennuis avec Chloé et les autres ?

Elle haussa les épaules et laissa échapper un léger rire amer.

— Probablement, mais je m’en fiche. Pour une fois.

Jonah glissa une main dans la poche de sa veste et en sortit son médiator, le faisant tourner comme un porte-bonheur.
— Tant mieux, cheerleader. Parce que j’ai envie de partager ce monde-là avec toi.

Un frisson traversa Lila — pas seulement à cause du froid, mais à cause de la simplicité sincère de cette phrase. Elle hocha la tête, presque émue.

Ils reprirent leur marche, canettes en main, portés par la simple joie d’être là, ensemble, loin des regards qui jugent. Ils se découvraient un peu plus à chaque pas, sur ce trottoir sombre de Seattle où planait la promesse d’une liberté nouvelle.

Ils longèrent la rue jusqu’à l’intersection suivante, où un réverbère clignotait par intermittence, émettant un faible bourdonnement électrique. Lila but la dernière gorgée de son soda et jeta la canette dans une poubelle en métal. Jonah fit de même. Un instant, ils restèrent silencieux, comme figés hors du temps.

— Je devrais rentrer, murmura Lila en consultant rapidement sa montre.

— Ouais, fit Jonah, la voix basse. Moi aussi, je suppose.

Ils échangèrent un de ces regards suspendus, où l’on ne sait comment conclure la soirée. Lila défaisait nerveusement le bouton de sa veste, le refaisait aussitôt, tandis que Jonah tritura une étiquette collée sur sa canette, comme pour s’occuper les mains.

— Merci, finit-elle par dire en relevant le menton pour croiser son regard.

— De quoi ? demanda Jonah, fronçant légèrement les sourcils.

— De m’aider à m’échapper de mon petit monde, à respirer un peu… Ce n’est pas grand-chose, mais ça compte pour moi.

Jonah esquissa un sourire doux et rangea enfin son médiator dans sa poche.

— Tu sais, tu fais pareil pour moi, Lila.

Elle hocha la tête, sentant la chaleur lui monter aux joues malgré la fraîcheur de la nuit. Ils reprirent le chemin du garage de Ryan, où les percussions s’étaient tues. À travers la porte entrebâillée, Lila aperçut Lucas qui rangeait ses affaires.

— On se voit lundi ? proposa Jonah en s’arrêtant près de sa voiture.

— Plutôt avant, j’espère, répondit-elle, un sourire timide au coin des lèvres.

Il acquiesça, la contempla une dernière fois, puis grimpa dans son vieux véhicule, qui démarra dans un toussotement caractéristique des voitures en fin de vie. La silhouette de Jonah disparut au bout de la rue, laissant Lila seule sous le halo incertain du lampadaire.

Un frisson la parcourut, et ce n’était plus seulement le froid. C’était l’excitation de ce qui se dessinait devant elle : un chemin qui, certes, la mettrait en porte-à-faux avec Chloé et le reste des cheerleaders, mais qui, pour la première fois, lui appartenait vraiment.

Elle inspira profondément et se mit à marcher, un léger sourire aux lèvres. Au loin, le vent portait encore quelques notes de guitare, comme une promesse que l’aventure avec Jonah ne faisait que commencer.

Ce soir-là, sous le ciel bas de Seattle, Lila se sentit avancer vers un avenir qu’elle avait choisi, et non vers celui qu’on avait décidé pour elle.

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