CHAPITRE 11 : Une Nuit Sous Les Étoiles
La mélodie jouée par Jonah semblait flotter dans l’air du garage, se mêlant au son lointain du vent qui s’engouffrait dans la rue déserte. Les quatre murs, tapissés d’affiches de groupes grunge et de vieux posters malmenés par le temps, renvoyaient par écho ces accords doux mais imparfaits. Lila ferma les yeux, laissant chaque note glisser dans son esprit. Il y avait, dans le jeu de Jonah, quelque chose de brut et d’honnête, une sincérité qui la touchait plus qu’elle ne pouvait se l’expliquer.
Quand Jonah acheva son morceau, il posa la guitare sur l’ampli cabossé et se tourna vers elle, un sourire timide aux lèvres. Sous la lumière faiblarde de l’ampoule nue, son visage paraissait à la fois fatigué et radieux.
— Alors, cheerleader ? Toujours fan ? lança-t-il, la voix teintée d’une modestie amusée.
Lila rouvrit lentement les yeux, encore bercée par l’écho de la dernière note.
— Je crois que je suis officiellement convertie, dit-elle doucement, un sourire en coin éclairant son visage.
Ils échangèrent un bref rire complice, mais le silence qui suivit semblait chargé d’une gravité qu’ils ne nommaient pas encore. Jonah finit par se lever, frottant ses mains contre son jean un peu usé. À ses pieds traînait un médiator, vestige de ses heures de répétition solitaires.
— On devrait sortir un peu, lâcha-t-il soudainement, comme s’il venait d’avoir une révélation.
Lila haussa un sourcil, intriguée.
— Sortir où ?
Il haussa les épaules, un sourire mystérieux se dessinant sur ses lèvres.
— Fais-moi confiance.
Ils marchèrent ensemble jusqu’à un petit parc, à quelques pâtés de maisons du garage. Le vent était assez vif, et Lila serra son sweat contre elle pour se protéger du froid, sentant ses joues prendre une teinte rosée. Jonah, chemise en flanelle entrouverte sur un t-shirt noir, gardait les mains dans les poches de son jean, comme s’il défiait la brise. À chaque pas, ils entendaient le léger claquement de leurs chaussures contre les trottoirs humides, un écho discret de leur complicité naissante.
Arrivés au pied d’une petite colline, ils découvrirent la vue sur Seattle : la ville des années 90, où le grunge dominait la scène musicale et où chaque quartier vibrait encore du son de Nirvana ou de Pearl Jam, s’étendait sous leurs yeux comme un vaste océan de lumières tremblotantes. Jonah s’arrêta et s’assit dans l’herbe humide, tapotant du plat de la main pour inviter Lila à le rejoindre. Le parfum de la terre mouillée remontait, mêlé à celui de la nuit.
Elle hésita un instant, puis s’installa près de lui, sentant aussitôt le froid de la terre traverser son pantalon.
— C’est beau, murmura-t-elle en balayant du regard la mer de lampadaires et de néons.
— Ouais, répondit Jonah, mais son attention était entièrement tournée vers elle, comme si la vue la plus fascinante se tenait juste à côté de lui.
S’apercevant de la fixité de son regard, Lila esquissa un sourire légèrement gêné.
— Quoi ? fit-elle, un peu nerveuse.
Jonah haussa les épaules, son sourire se faisant plus léger.
— Rien. Je crois juste que je comprends pourquoi tout le monde est obsédé par toi.
Une rougeur monta aux joues de Lila, et elle détourna brièvement les yeux vers les lumières de la ville.
— Je ne suis pas si spéciale, tu sais, répliqua-t-elle, tentant de masquer son trouble.
— Tu l’es, répondit-il simplement, comme s’il ne pouvait concevoir d’autre vérité.
Le silence qui suivit n’avait rien de gênant. Le bruit lointain de la circulation, le doux sifflement du vent dans les arbres et le scintillement des lumières conféraient à la scène une aura presque irréelle, comme si l’instant s’était figé dans une bulle intime.
Après quelques secondes de recueillement, Lila brisa le silence, sa voix un peu tremblante :
— Est-ce que ça te manque parfois ?
Jonah fronça les sourcils, prenant conscience qu’elle n’était pas légère en posant cette question.
— Quoi donc ?
Elle haussa les épaules, son regard se baissant sur ses mains, où elle jouait nerveusement avec la manche de son sweat.
— De ne pas… appartenir. Au lycée, je veux dire.
Jonah laissa passer un temps, semblant peser chaque mot avant de répondre.
— Je pense que j’ai arrêté d’essayer d’appartenir il y a longtemps. C’était plus facile comme ça.
— Mais ça ne te rend pas triste ? insista-t-elle, relevant un peu la tête pour sonder son expression.
Il plongea son regard sérieux dans le sien.
— Non, parce que je préfère être moi-même, même si ça veut dire être seul, plutôt que de devenir quelqu’un d’autre juste pour plaire.
Un frisson traversa Lila. Cette sincérité la touchait profondément, rappelant la raison pour laquelle elle se sentait si bien à ses côtés.
— Je voudrais pouvoir penser comme toi, murmura-t-elle, comme une confession.
— Tu le peux, répondit-il, sa voix se faisant plus douce.
Leurs regards s’accrochèrent, et pendant un instant, tout ce qui n’était pas eux sembla disparaître : la froideur de la nuit, le jugement de Chloé, les mots durs de Carter, même la cité lumineuse qui s’étendait sous leurs pieds. Il ne restait que cette complicité, cette sensation d’avoir trouvé quelqu’un qui nous comprend.
Sans réfléchir, Lila se pencha légèrement, réduisant la distance qui les séparait. Jonah ne bougea pas, mais elle sentit son regard glisser sur elle, comme s’il l’encourageait à franchir cette barrière invisible. Leurs lèvres se rencontrèrent dans un baiser doux, hésitant, mais terriblement sincère. Une chaleur agréable l’envahit, balayant le froid qui s’infiltrait dans ses vêtements. Jonah posa une main légère sur sa joue, approfondissant le baiser avec cette retenue qui montrait combien il respectait le moment.
Quand ils se séparèrent, Lila peinait à retrouver sa respiration, mais elle ne fuyait pas son regard.
— Désolée, murmura-t-elle, même si le sourire qui illuminait son visage la trahissait.
Jonah passa une main dans ses cheveux, comme pour masquer son propre émoi.
— Ne sois pas désolée.
Ils restèrent là, assis côte à côte, tandis que la nuit poursuivait sa course au-dessus de la ville. Le vent reprit soudain un peu de force, faisant danser les mèches de Lila. Mais le silence restait paisible, comme si chacun savait ce que l’autre pensait.
Sur le chemin du retour, ils marchèrent l’un à côté de l’autre. Leurs mains se frôlaient parfois sans se tenir, leurs pas créant un rythme discret sur le trottoir. Chaque fois que leur peau s’effleurait, Lila sentait un courant électrique lui parcourir l’échine, et elle s’étonnait de trouver ça si agréable.
Quand ils arrivèrent devant la maison de Lila, une petite bâtisse éclairée par un unique porche, elle se tourna vers Jonah, remarquant la douceur qui ne quittait pas ses yeux.
— Merci pour ce soir, Jonah, dit-elle dans un murmure.
Il hocha la tête, un demi-sourire éclairant toujours ses traits.
— Merci à toi.
Elle gravit les quelques marches du porche, puis, avant de pousser la porte, jeta un dernier regard par-dessus son épaule. Jonah était resté au bord du trottoir, les mains dans les poches de sa chemise en flanelle, la suivant du regard avec une sérénité qui semblait inébranlable. Elle lui sourit, puis disparut à l’intérieur, le cœur plus léger qu’elle ne l’avait jamais ressenti.
Dans sa chambre, Lila s’assit près de la fenêtre, observant les étoiles au loin. Le souvenir du baiser, la sensation de la main de Jonah sur sa joue, tout cela la replongeait dans un état d’euphorie calme. Elle savait que les jugements et les rumeurs ne disparaîtraient pas comme par magie, que Chloé et Carter persisteraient dans leur vision étroite. Mais, pour la première fois, elle n’en avait plus peur.
Parce que désormais, elle avait trouvé quelqu’un qui voyait au-delà de tout ça — et qui, surtout, l’aidait à se voir elle-même autrement. Elle se coucha finalement, un sourire gravé sur ses lèvres, prête à affronter ce que demain lui réserverait.
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