CHAPITRE 12 : Les Premières Fissures

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Le lendemain, Lila arriva au lycée avec un mélange paradoxal d’appréhension et de calme intérieur. La soirée sous les étoiles en compagnie de Jonah, entre confidences et connivence, lui avait procuré une sérénité qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps. Pourtant, une petite voix en elle répétait que cette paix ne durerait pas — pas dans les couloirs de Franklin High, où règne le regard des autres.

Dès qu’elle pénétra dans le hall principal, elle sentit aussitôt les regards peser sur elle comme une chape de plomb. Les chuchotements fusaient, cette fois plus accusateurs encore que la veille. Elle aperçut, au bout du hall, quelques affiches annonçant un concert grunge dans un café local, vestige du bouillonnement culturel des années 90 à Seattle. Mais elle n’eut pas le loisir de s’y attarder.

— Elle est vraiment sérieuse avec ce Jonah ? chuchota une voix de fille derrière elle.

— Elle détruit complètement sa réputation, répondit une autre, le ton chargé de mépris.

Lila inspira profondément, rassemblant son courage pour ignorer ces murmures. Elle rejoignit son casier, s’efforçant de se souvenir de la chaleur qu’elle avait ressentie en regardant la ville avec Jonah. Ouvrant la porte métallique d’un geste un peu brusque, elle saisit ses livres. Quand elle la referma, elle se retrouva face à Chloé.

— On peut parler ? demanda Chloé, le ton inhabituellement posé, même si son regard restait dur.

— Tu veux encore me dire à quel point je commets une erreur ? répliqua Lila, la colère affleurant dans sa voix. Elle se souvenait du dernier ultimatum de Chloé et craignait qu’on lui refasse le même reproche.

Chloé leva les mains en signe d’apaisement.

— Pas cette fois. Juste… allons quelque part où on peut parler tranquillement.

Lila scruta un instant le visage de son amie, cherchant un signe de sincérité. Finalement, elle hocha la tête. Quelques élèves qui passaient ralentirent, curieux, avant de s’éloigner dans un cliquetis de casiers.

Elles sortirent du bâtiment et s’assirent sur un banc près du terrain de sport, la fraîcheur du matin leur rosissant légèrement les joues. De loin, on entendait les cris d’entraînement de l’équipe de football, et quelques rares cheerleaders discutaient à voix basse, jetant des coups d’œil dans leur direction.

— Écoute, Lila, commença Chloé, le regard sérieux. Je sais que tu tiens à ce type. Je le vois bien. Mais tu te rends compte de ce que ça te coûte, pas vrai ?

Lila fixa le sol, serrant les mains sur ses genoux.

— Je sais…

Chloé soupira, se penchant légèrement vers elle.

— Alors pourquoi tu continues ? Pourquoi tu t’accroches à lui ?

Lila releva la tête, accrochant le regard de Chloé. Elle y lut une forme de tristesse, plus que de colère.

— Parce que, pour la première fois, quelqu’un me voit vraiment, Chloé. Pas comme "la fille populaire" ou "Lila Harper, la capitaine", mais juste… moi.

Chloé resta silencieuse un moment, ses yeux s’adoucissant malgré elle.

— Je comprends, Lila. Mais je ne veux pas te voir te brûler les ailes.

Lila eut un sourire triste.

— Parfois, ça vaut le coup de brûler, tu sais.

Au même moment, dans le garage de Ryan, Jonah jouait distraitement quelques accords sur sa guitare pendant que Lucas vérifiait le branchement de son ampli. Ryan, fidèle à lui-même, arborait un air exaspéré, comme s’il endossait le rôle de grand-frère grincheux.

— T’es complètement accro, mec, lança Ryan en posant ses baguettes sur sa caisse claire.

Jonah releva les yeux, un sourire amusé dans le regard.

— De quoi tu parles ?

— De Lila, répondit Ryan en croisant les bras. Sérieusement, tu passes tout ton temps avec elle. Tu crois vraiment que ça va marcher ?

Jonah posa sa guitare, toisant Ryan d’un air calme :

— Et pourquoi ça ne marcherait pas ?

— Parce que vous êtes dans deux mondes différents. Elle est la fille populaire, Jonah… et toi, t’es… toi, rétorqua Ryan, le ton direct mais pas totalement hostile. On dirait qu’il essayait de le protéger d’une déception à venir.

Jonah sentit sa mâchoire se serrer. Avant qu’il ne réponde, Lucas, accroupi près de l’ampli, intervint :

— Laisse-le tranquille, Ryan. Si ça marche, tant mieux, et si ça casse, c’est son choix.

Ryan haussa les épaules, sceptique, mais on lisait aussi une pointe d’inquiétude dans son regard.

— J’espère juste que tu sais dans quoi tu t’embarques, mec.

Jonah ne répondit pas, mais il s’empara de son médiator et gratta une corde, comme pour couper court à la discussion.

L’après-midi, Jonah attendait Lila près du terrain de basket. Sous le ciel gris typique de Seattle, on devinait que la pluie pourrait s’inviter à tout moment. Quand Lila arriva, il remarqua aussitôt l’ombre de fatigue dans ses yeux, mais son sourire, dès qu’elle l’aperçut, illumina son visage.

— Salut, ajouta-t-elle doucement en s’approchant, passant une main dans ses cheveux pour cacher son trouble.

— Salut, répondit-il, un sourire en coin. Comment ça va ? Il la détailla du regard, notant l’air soucieux qu’elle essayait de dissimuler.

Elle haussa les épaules, son expression mêlant lassitude et gratitude.

— Ça va… je crois.

Jonah fronça les sourcils, l’observant attentivement.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Lila soupira, s’asseyant sur un banc en métal, un peu usé par le temps et l’humidité.

— Juste… les gens. Leurs jugements, leurs attentes. Parfois, c’est… beaucoup.

Jonah hocha la tête, compatissant. Il savait mieux que personne ce que c’était que d’être jugé.

— Tu sais que tu n’as rien à leur prouver, pas vrai ?

Elle esquissa un maigre sourire, baissant les yeux sur le sol bétonné :

— Oui, mais… ça n’empêche pas que ça fasse mal.

Il posa une main réconfortante sur la sienne. Un geste simple, mais qui lui apportait ce sentiment d’être comprise.

— Je suis là, dit-il, le ton posé.

Elle releva le regard, et malgré la fatigue, ses traits s’adoucirent en croisant ses yeux.

— Merci, Jonah.

Ils demeurèrent là, un moment, ignorant le monde autour d’eux. Quelques élèves passaient en riant, d’autres jetaient des regards en biais, mais eux semblaient hors d’atteinte, comme dans une bulle fragile où seul comptait cet instant.

Mais ce répit fut de courte durée. Le lendemain matin, quand Lila arriva au lycée, elle trouva un papier scotché sur son casier. Son cœur se serra aussitôt, comme si elle redoutait déjà ce qu’elle allait lire. Avec précaution, elle détacha la feuille et parcourut les mots griffonnés en grosses lettres noires :

“TRAÎNE AVEC LES LOSERS, DEVIENT UNE LOSEUSE.”

Une vague de colère et de honte la submergea. Alors que des rires étouffés s’élevaient dans le couloir, elle sentit ses mains trembler. Lila lutta pour ne pas laisser les larmes couler devant tout le monde, mais la boule dans sa gorge grandissait.

Finalement, elle s’éloigna précipitamment, serrant le papier froissé dans sa main, et se réfugia dans les toilettes. Entre les murs aux tuiles décolorées, elle tenta de reprendre son souffle, mais les larmes qu’elle avait contenues coulèrent finalement. Le miroir lui renvoya l’image de ses yeux rougis, et elle se sentit vulnérable, comme mise à nue devant la cruauté anonyme de certains.

Au fond d’elle, elle savait que ce n’était que le début de la tempête.

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