CHAPITRE 13 : Épreuve et Échos
Les jours suivants furent marqués par une pression constante. Partout où Lila passait, elle avait l’impression de marcher sur une corde raide, chaque pas la rapprochant d’un potentiel effondrement. Les jugements n’étaient plus de simples murmures : ils s’étaient transformés en regards appuyés, en moqueries lâchées dans un couloir, en petits mots glissés sur son casier.
Jonah, quant à lui, traversait cette tempête avec une tranquillité apparente. Il glissait parmi les élèves comme si leur opinion ne l’atteignait pas, gardant son air calme et son walkman autour du cou. Pourtant, Lila voyait bien, dans la tension de ses épaules ou dans les silences qui ponctuaient ses phrases, que tout cela le touchait plus qu’il ne le montrait.
Un vendredi après-midi, alors que Lila traversait la cour pour rejoindre Jonah près du terrain de basket, elle sentit une boule de papier heurter son épaule. Son estomac se noua aussitôt. Se retournant, elle vit un petit groupe d’élèves ricaner à quelques mètres, trop lâches pour l’affronter directement.
Elle ramassa le papier froissé et le déplia. Les mots griffonnés dessus la frappèrent comme un coup de poing :
"Retourne avec ta clique. Parker ne vaut rien."
Une colère mêlée de tristesse l’envahit, tandis qu’elle tentait de refouler les larmes qui menaçaient de monter. Serrant ce papier entre ses doigts, elle reprit sa marche, la tête haute, jusqu’à ce qu’elle atteigne Jonah.
— Hé, fit-il en la voyant arriver, son sourire s’effaçant immédiatement en remarquant son expression crispée. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Sans un mot, elle tendit le papier. Jonah le lut, son visage se durcissant légèrement. Dans un geste sec, il le froissa à nouveau et le jeta dans une poubelle proche.
— Ce sont juste des idiots, dit-il calmement.
— Mais ils ont raison, murmura Lila, sa voix tremblant malgré elle. Regarde ce que ça fait à ma vie… À nous.
Jonah posa une main sur son épaule, la regardant avec gravité.
— Lila, écoute-moi. Ils ne savent rien. Rien sur toi, rien sur moi, rien sur ce qu’on partage. Ce ne sont que des mots.
Elle chercha du réconfort dans ce regard si sincère, mais la douleur restait là.
— Mais ces mots blessent, Jonah, ajouta-t-elle doucement.
Il hocha la tête, le ton plus doux.
— Je sais. Mais ce qu’on a vaut plus que tout ça, pas vrai ?
Elle inspira profondément, prenant conscience de la solidité que Jonah représentait pour elle.
— Oui… ça vaut tout.
Le soir-même, Jonah invita Lila à une petite fête improvisée dans le garage de Ryan. Ce n’était pas du tout comme les soirées qu’elle connaissait, remplies de tubes pop, de rires stridents et de lumières flashy. Ici, les guitares prenaient la place des haut-parleurs, et on discutait autour de bières tièdes, les vinyles usés tournant sur une vieille platine.
Lila, enveloppée dans un sweat un peu trop grand, se sentait étonnamment à l’aise. Elle s’assit sur une caisse en bois près de Jonah, observant Ryan et Lucas qui débattaient, avec passion, d’un vieux groupe local. Quelques amis de Jonah, visiblement fans de grunge et de rock alternatif, parlaient d’un concert à venir dans un café de Seattle où l’on reprenait des morceaux de Soundgarden.
— Alors, cheerleader, lança Jonah en s’asseyant à côté d’elle, un sourire en coin. C’est un peu différent de tes soirées habituelles, hein ?
— Complètement, répondit-elle, un léger rire franchissant ses lèvres. Mais j’aime bien.
Jonah hocha la tête, satisfait.
— Bienvenue dans mon monde, fit-il, tout en tapotant machinalement les cordes d’une guitare acoustique posée à ses pieds.
Pour un instant, Lila oublia tout : les jugements, les regards, la pression du lycée. Ici, dans la pénombre du garage, entourée de gens qui vibraient pour la musique et la liberté qu’elle offrait, elle n’était pas « Lila Harper, la cheerleader populaire ». Elle était simplement… elle-même.
Mais la paix ne dura pas. Le lundi matin, à son arrivée au lycée, Lila aperçut une foule regroupée autour du tableau d’affichage principal. Son cœur se serra, comme si elle sentait déjà la catastrophe se profiler.
S’approchant, elle découvrit, punaisée au centre du tableau, une photo d’elle et Jonah prise à la fête dans le garage. Sur le cliché, ils riaient, leurs visages proches, visiblement heureux. Au-dessus de la photo, en grandes lettres rouges, un seul mot :
"TRAÎTRES".
Un nœud se forma dans le ventre de Lila. Autour d’elle, les murmures et les rires redoublèrent. Certains la dévisageaient, d’autres secouaient la tête d’un air désapprobateur.
— Eh bien, Harper, fit une voix moqueuse derrière elle. Tu t’amuses bien dans la basse-cour, pas vrai ?
Elle se retourna pour découvrir Carter, les bras croisés, un sourire suffisant plaqué sur le visage.
— Tu te donnes beaucoup de mal pour ruiner ta réputation, mais bravo. T’as réussi.
Lila voulut répondre, mais aucun mot ne vint. Sa gorge se serra, ses pensées se bousculaient. La foule entourait la scène, attendant le prochain rebondissement.
— Ça suffit, intervint une autre voix, plus rauque, plus calme.
Jonah apparut à ses côtés, son regard sombre fixé sur Carter.
— Tu crois que tu fais quoi, Carter ? demanda-t-il, d’une voix posée mais chargée de tension.
Carter haussa les épaules, un sourire encore plus narquois sur les lèvres.
— Juste exposer la vérité.
— La vérité, c’est que tu es jaloux, répliqua Jonah en avançant d’un pas. Jaloux parce que Lila ne veut rien avoir à faire avec un idiot comme toi.
Le silence tomba autour d’eux. Carter perdit son sourire un instant avant de le retrouver, plus froid.
— T’es rien, Parker. Tu le sais, pas vrai ? T’es juste un raté.
Les poings de Jonah se serrèrent, mais avant qu’il ne riposte, Lila posa une main sur son bras.
— Laisse tomber, Jonah, souffla-t-elle, la voix tremblante mais déterminée. Ça ne vaut pas la peine.
Jonah inspira, luttant contre sa colère, puis recula d’un pas, prenant la main de Lila dans la sienne.
— Viens, on s’en va, lâcha-t-il fermement.
Sous les regards étonnés des élèves, ils quittèrent le couloir sans se retourner.
Dans un coin isolé du campus, près d’un vieux préau couvert de graffitis, Jonah se tourna vers Lila.
— Tu vas bien ? demanda-t-il, le ton plus doux maintenant qu’ils étaient loin du tumulte.
Elle hocha lentement la tête, mais des larmes brillaient dans ses yeux.
— Je suis juste… fatiguée, murmura-t-elle, comme si tout ce poids moral l’éreintait au plus haut point.
Jonah passa un bras autour de ses épaules, l’attirant doucement contre lui. Elle sentit la chaleur rassurante de son corps, apaisant un peu le chaos qui régnait en elle.
— On va traverser ça, Lila. Ensemble.
Elle ferma brièvement les yeux, inspirant sa présence et se raccrochant à cette promesse.
— Oui… ensemble, répéta-t-elle, dans un souffle.
Pourtant, une peur persistante murmurait au fond d’elle : combien de temps pourraient-ils tenir face à ce monde qui semblait vouloir les séparer ? Derrière la détermination qu’elle affichait, un flot d’incertitudes la tourmentait. Mais, en cet instant, la main de Jonah dans la sienne lui rappelait que, parfois, la force de deux était suffisante pour affronter une tempête entière.
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