La nuit avait été courte. Allongée sur son lit, Lila n’avait cessé de revoir ce mot peint en rouge vif sur la portière de sa voiture : « PERDANTE ». Même le bruit lointain de la pluie contre sa fenêtre n’avait pu calmer l’orage qui grondait en elle. Elle s’était endormie tard, avec la résolution d’en finir avec cette humiliation.

Le lendemain matin, alors qu’elle se dirigeait vers le lycée, Lila répétait mentalement sa décision. Le mot « PERDANTE » restait imprimé sur sa rétine, symbole de la cruauté de Carter et de ceux qui entretenaient cette hostilité envers elle et Jonah. Pourtant, aujourd’hui, Lila ne se sentait pas faible. Elle était en colère — et cette colère la poussait à garder la tête haute.

En entrant dans les couloirs, elle remarqua aussitôt les regards furtifs, les ricanements étouffés. D’habitude, elle aurait baissé la tête, mais cette fois, chaque pas résonnait comme une déclaration silencieuse : Vous ne m’écraserez pas. Ses bottines, usées mais robustes, claquaient sur le sol carrelé, ajoutant un écho décidé à sa démarche.

Chloé et Emily étaient regroupées près de leur casier. Lila surprit un regard bref d’Emily, teinté d’hésitation, mais aucune d’elles ne l’interpella. Elle passa devant elles sans ralentir, résolue à ne compter que sur elle-même — et Jonah.

Mais c’est Carter qu’elle cherchait vraiment. Elle voulait en finir avec son harcèlement. Elle le repéra rapidement, entouré de ses amis près des gradins extérieurs. Son éternel sourire arrogant illuminait son visage, et il parlait d’une voix forte, comme s’il voulait s’assurer que tout le monde l’entende.

Le cœur de Lila battait plus vite à mesure qu’elle s’approchait, mais sa détermination restait inébranlable. Elle sentit les murmures s’élever autour d’elle, plusieurs élèves curieux de la voir se diriger droit vers l’un des garçons les plus populaires — et les plus redoutés.

— Carter, lança-t-elle d’une voix claire, attirant l’attention de tout son groupe.

Il pivota, surpris de la voir arriver si frontalement.

— Eh bien, Harper. Qu’est-ce que je peux faire pour toi aujourd’hui ? fit-il, le ton mielleux et la posture arrogante.

Elle s’arrêta à quelques pas de lui, croisant les bras sur sa veste en jean.

— Tu vas arrêter. Maintenant.

Carter haussa les sourcils, visiblement amusé.

— Arrêter quoi ?

— D’essayer de ruiner ma vie, répliqua Lila, la voix basse mais ferme. De me harceler, de peindre des insultes sur ma voiture, de propager des rumeurs… Tout ça, c’est fini.

Un rire froid s’échappa de Carter, faisant bouillir le sang de Lila.

— Fini ? Tu crois vraiment que tu peux venir ici et me dire quoi faire ?

Lila ne cilla pas, soutenant son regard avec aplomb.

— Oui, Carter. C’est exactement ce que je fais.

Les murmures montèrent parmi les élèves regroupés autour d’eux. On aurait dit que le lycée entier assistait à la scène, leur attention braquée sur les deux adversaires.

Carter perdit son sourire narquois, agacé par l’assurance de Lila.

— Tu es ridicule, Harper. Tu crois qu’on va te soutenir ? Tu t’es coupée de tes amis, de ton équipe, de tout ce qui te rendait « quelqu’un ». Maintenant, tu n’es plus rien.

Ces mots frappèrent Lila comme un coup de poing au ventre, mais elle refusa de vaciller.

— Peut-être que je ne suis plus la fille que j’étais, déclara-t-elle, la voix plus forte qu’elle ne l’aurait cru. Mais ça ne me rend pas moins déterminée. Et toi, Carter, tu n’es qu’un tyran qui craint de perdre son pouvoir.

Un silence tomba. Quelques élèves échangèrent des regards ahuris, surpris de voir Lila Harper tenir tête au « roi » Carter.

— Alors voilà ce que je te propose, reprit-elle. Laisse-moi tranquille. Trouve quelqu’un d’autre à harceler… ou mieux, grandis un peu et arrête tout ça.

Elle se tourna sans attendre de réponse, laissant Carter figé sur place. Derrière elle, quelques applaudissements isolés montèrent, brisant l’atmosphère figée. Carter, l’arrogance brisée l’espace d’un instant, ne trouva rien à répliquer.

Plus tard dans la journée, Lila rejoignit Jonah près du terrain de basket, leur banc habituel à l’écart de l’agitation du midi. Il était assis, griffonnant dans son carnet noir — son refuge créatif. En la voyant, il leva les yeux et sourit, un sourire qui avait le don de calmer les tensions dans son esprit.

— Tu as l’air différente aujourd’hui, remarqua-t-il.

— Différente comment ? demanda-t-elle, s’asseyant à côté de lui. Elle essaya d’ignorer son cœur qui battait encore un peu vite après la confrontation.

— Plus… toi-même, répondit-il, son sourire s’élargissant, comme fier de la voir reprendre le contrôle.

Elle soupira, avant de laisser un léger sourire étirer ses lèvres.

— Je crois que j’ai enfin décidé d’arrêter de me laisser faire, avoua-t-elle, les épaules se détendant enfin.

Jonah posa son carnet à côté de lui, se tournant vers elle avec un air de fierté non dissimulée.

— Alors, qu’est-ce que tu as fait ?

Lila haussa les épaules, jouant machinalement avec la sangle de son sac à dos orné de quelques badges de groupes de rock.

— Je suis allée voir Carter, et je lui ai dit d’arrêter. Pas de détours, pas de négociation.

— Directement ? fit Jonah, impressionné.

Elle hocha la tête.

— Oui. Et tu sais quoi ? Il n’a rien pu répondre.

Jonah éclata de rire, un son rauque qui résonna comme un soulagement dans l’air chargé de tension.

— Voilà la Lila Harper que je connais, plaisanta-t-il, visiblement soulagé de la voir prendre les devants.

Ils restèrent un instant assis, profitant d’une rare éclaircie dans leur quotidien trouble.

Cependant, la journée ne s’acheva pas sans complications. Alors que Lila sortait du lycée, elle aperçut Jonah l’attendant près de sa voiture, où le mot « PERDANTE » restait encore visible malgré ses tentatives de nettoyage. Son cœur se serra un instant : un rappel que tout n’était pas réglé en un claquement de doigts.

En la voyant arriver, Jonah afficha une expression sombre.

— Je vais m’occuper de ça, dit-il en désignant la peinture rouge. J’ai apporté du dissolvant et un chiffon.

— Jonah, ce n’est pas la peine, répondit-elle doucement, touchée par son attention.

— Si, ça l’est, répliqua-t-il fermement, la colère perçant dans sa voix. Il n’a pas le droit de te traiter ainsi.

Lila posa une main sur son bras, attirant son regard.

— Ce n’est qu’une voiture, Jonah. Ça ne me définit pas.

Il la fixa un instant, puis hocha lentement la tête, une lueur d’admiration dans les yeux.

— Tu es incroyable, tu sais ?

Elle sourit, une chaleur agréable l’envahissant.

— Je fais de mon mieux, répondit-elle, humant l’air frais en regardant le ciel gris de Seattle.

Ils montèrent dans la voiture, laissant le lycée derrière eux. Lila sentait encore l’adrénaline parcourir ses veines, mais c’était différent : elle se sentait légère, comme si le poids qui pesait sur elle depuis tant de jours commençait enfin à se dissiper.

Ce soir-là, elle regagna sa chambre avec, dans le cœur, une détermination nouvelle. Malgré les pressions, les insultes et les coups bas, elle avait trouvé la force de faire face — et Jonah, auprès d’elle, lui rappelait qu’elle n’était plus seule.

Demain, une nouvelle bataille l’attendrait sans doute, mais désormais, elle était prête à la livrer, la tête haute, quoi qu’il advienne.