Quelques jours après la confrontation avec Carter, la vie de Lila semblait avoir retrouvé un semblant de calme. Les couloirs de Franklin High, d’ordinaire si oppressants, étaient devenus un peu plus silencieux à son passage. Certes, des élèves continuaient de la toiser avec mépris, mais les rumeurs ne résonnaient plus autant. Elle avait gagné une petite victoire en tenant tête à Carter, et cela lui donnait l’impression que, peut-être, la tempête s’apaisait.

Pourtant, au fond d’elle, elle restait sur ses gardes. Plusieurs mois de tension ne pouvaient s’envoler en quelques jours. Jonah, quant à lui, semblait plus serein, comme soulagé que Lila ait pris sa défense. Tous deux passaient plus de temps ensemble, marchant dans les couloirs ou discutant près du terrain de basket, suscitant encore quelques regards.

Ce calme apparent fut rompu un matin, lorsque Lila ouvrit son casier et y trouva une enveloppe anonyme. L’écriture maladroite sur le papier la mit aussitôt en alerte. Elle jeta un coup d’œil furtif autour d’elle, mais personne ne semblait la regarder. Son cœur battit plus vite, et elle déchira l’enveloppe avec des gestes un peu tremblants.

"Tu penses avoir gagné, mais tu n’as encore rien vu. Tu devrais vraiment réfléchir à qui tu fréquentes. Jonah ne vaut pas mieux que les rumeurs qui circulent sur lui."

Les mots la frappèrent en plein cœur, mêlant colère et peur. Elle scruta le couloir, tentant de repérer un regard complice ou un sourire narquois, mais rien. Qui avait pu écrire ça ? Et surtout, que signifiait ce « Jonah ne vaut pas mieux » ?

Ne voulant pas céder à la panique, Lila glissa la lettre dans son sac, serrant les lèvres. Pas question de leur donner la satisfaction de la voir s’écraser, pensa-t-elle en refermant le casier d’un coup sec.

Plus tard dans la journée, elle rejoignit Jonah près du terrain de basket, leur point de rendez-vous habituel. En approchant, elle remarqua immédiatement qu’il était différent : assis sur le banc, les épaules voûtées, le regard perdu dans le vide. Cela ne lui ressemblait pas.

— Jonah ? appela-t-elle doucement.

Il releva la tête, sans arborer son sourire habituel.

— Salut, lâcha-t-il d’une voix atone.

Lila s’assit à côté de lui, posant sa main sur son bras.

— Ça va ? demanda-t-elle, l’inquiétude étreignant sa poitrine.

Jonah soupira, passant une main dans ses cheveux sombres.

— Pas vraiment.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Un instant de silence s’écoula, puis il finit par parler, la voix basse :

— Ryan veut arrêter le groupe.

Lila écarquilla les yeux, surprise.

— Pourquoi ?

— Il dit qu’on ne va nulle part, expliqua Jonah, sa voix marquée par la déception. Que tout ça n’est qu’une perte de temps.

Elle sentit son cœur se serrer en voyant la peine dans ses yeux. La musique était tout pour Jonah, sa façon de s’exprimer.

— Et Lucas ? Il est d’accord avec lui ?

— Lucas veut continuer, mais sans Ryan, on n’a pas de batteur. Et trouver quelqu’un d’autre, ici à Franklin High, c’est presque impossible.

Lila posa une main réconfortante sur son bras. Le contact semblait l’apaiser un peu.

— Vous allez trouver une solution, j’en suis sûre. Vous êtes trop bons pour tout laisser tomber maintenant.

Jonah esquissa un sourire triste.

— Parfois, être bons ne suffit pas.

Toute la journée, la lettre trouvée dans son casier la hanta. Le soir venu, Lila, assise à son bureau, ne parvenait pas à se concentrer sur ses devoirs. Les mots « Jonah ne vaut pas mieux que les rumeurs » résonnaient dans son esprit. Elle décida alors de le confronter. Enfilant son blouson, elle se rendit au garage où Jonah répétait habituellement avec Ryan et Lucas.

Lorsqu’elle arriva, elle trouva le garage plus silencieux que d’ordinaire. Seule une lumière tamisée éclairait l’endroit, où Jonah, assis sur une caisse, grattait distraitement sa guitare électrique. Il releva brusquement la tête en entendant la porte s’ouvrir.

— Lila ? fit-il, surpris de la voir. Il posa sa guitare sur le côté, l’observant avec attention. Tu as l’air… tracassée.

Elle referma doucement la porte, un nœud dans la gorge.

— Jonah, il faut qu’on parle.

Il se redressa, fronçant les sourcils.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Lila sortit la lettre de son sac et la lui tendit, le cœur battant. Jonah la parcourut en silence, ses sourcils se fronçant davantage à chaque ligne.

— C’est quoi, ça ? demanda-t-il en relevant les yeux vers elle.

— Je ne sais pas. Quelqu’un essaie de me faire douter de toi, expliqua-t-elle doucement, sa voix tremblante malgré ses efforts pour rester calme.

Jonah serra la mâchoire, froissant légèrement le papier entre ses doigts.

— Qui a écrit ça ?

— Je n’en sais rien. Mais… Jonah, est-ce qu’il y a quelque chose que tu ne me dis pas ? murmura-t-elle, l’air troublé.

Il fixa le sol, visiblement pris de court.

— Lila, je…

Il s’interrompit, cherchant ses mots. Puis, d’une voix plus basse :

— Il y a des trucs que les gens racontent sur moi, des choses que je préfère oublier…

Lila sentit son estomac se nouer.

— Comme quoi ?

Jonah passa une main dans ses cheveux, mal à l’aise.

— Quand j’étais plus jeune, mon père buvait beaucoup. Il était… violent. Et un jour, j’ai… perdu le contrôle.

Lila retint son souffle, ses yeux rivés sur Jonah.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— J’ai essayé de le confronter, continua-t-il, la voix plus rauque. Ça s’est terminé par une bagarre. Il est parti après ça, et depuis, il ne revient qu’occasionnellement.

Le cœur de Lila se serra de compassion.

— Jonah… je suis désolée.

— Ne sois pas désolée, répliqua-t-il aussitôt, relevant un regard dur vers elle. Ce n’est pas ta faute. Mais certains ici pensent que parce que j’ai grandi dans ce chaos, je serais comme lui.

Lila posa une main sur son bras, son regard exprimant toute sa compassion.

— Je sais que tu n’es pas comme lui.

Il la regarda un instant, ses traits s’adoucissant sous l’effet de sa bienveillance.

— Merci, murmura-t-il.

Pourtant, au fond d’elle, Lila savait que cette confidence ne découragerait pas ceux qui cherchaient à saboter leur lien. La lettre était probablement le début d’une nouvelle vague de rumeurs, plus insidieuses encore.

En sortant du garage, Lila sentit un mélange de détermination et de crainte. Jonah avait révélé une part douloureuse de son passé, mais elle craignait que cette histoire ne serve d’arme à leurs détracteurs. Si Carter ou d’autres apprenaient la vérité, ils s’en serviraient pour détruire Jonah, songea-t-elle, serrant les poings.

Cette nuit-là, dans sa chambre, elle réalisa à quel point ce combat ne faisait que commencer. Elle et Jonah allaient devoir faire front, plus unis que jamais, pour résister aux coups bas que certains ne manqueraient pas de porter. Son regard se posa sur la lettre anonyme, reposant sur sa table de chevet. “Jonah ne vaut pas mieux…” Non. Elle ne les laisserait pas salir Jonah sans rien faire.

Avec Jonah à ses côtés, elle se sentait assez forte pour affronter les défis à venir. Mais ils devraient rester vigilants et solidaires, car la fin de ce CHAPITRE n’était pas encore écrite.