CHAPITRE 17 : Cicatrices du Passé
Le week-end s’écoula lentement, chaque instant teinté par la révélation de Jonah sur son passé familial. Lila n’arrivait pas à chasser cette histoire de son esprit : la manière dont il avait parlé de son père, ce mélange de colère et de résignation… Cela la hantait. Elle voyait Jonah différemment désormais : derrière ses riffs de guitare et son apparente désinvolture, il cachait de profondes blessures.
Pourtant, elle savait aussi que son histoire ne justifiait pas la cruauté de ceux qui le jugeaient sans le connaître. Elle avait choisi de rester à ses côtés, quoi qu’en disent les murmures du lycée. Le samedi soir, alors qu’elle feuilletait un vieux magazine de rock (avec Nirvana en couverture) dans sa chambre, elle laissait son esprit vagabonder, se demandant si Jonah écoutait la même cassette qu’elle en ce moment, le casque sur ses oreilles.
Le lundi matin, elle arriva au lycée, la détermination chevillée au corps. Dans les couloirs, quelques élèves la saluèrent poliment, tandis que d’autres détournaient le regard ou ricanaient. Les vestiges de l’affaire « Carter » planaient encore, mais l’atmosphère semblait moins tendue qu’avant.
Elle se dirigeait vers le casier de Jonah, espérant le croiser avant les cours, quand une voix familière la héla :
— Lila, attends !
Se retournant, elle aperçut Emily, ses yeux remplis d’inquiétude. Elle portait un sweat un peu trop grand, et son sac arborait plusieurs badges de groupes pop de l’époque.
— Emily ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Lila, fronçant les sourcils.
Emily baissa les yeux, comme si elle hésitait à parler.
— J’ai entendu Chloé ce matin. Elle disait qu’elle comptait te dénoncer pour avoir « détruit l’équipe ».
Lila sentit une bouffée de colère lui serrer le cœur.
— Me dénoncer ? À qui ?
— À l’administration, expliqua Emily, jouant nerveusement avec la sangle de son sac. Elle dit que tu as enfreint des règles en traînant avec Jonah…
La colère de Lila grandit, mêlée d’incrédulité.
— Jonah n’a rien à voir avec l’équipe, répliqua-t-elle d’une voix amère. Elle est juste furieuse parce que je ne me plie plus à ses exigences.
Emily hocha timidement la tête, évitant de soutenir le regard de Lila.
— Je voulais juste te prévenir… Fais attention.
— Merci, Emily, dit Lila, forçant un bref sourire. Je ferai attention.
Elle la laissa là, troublée, mais reconnaissante qu’Emily ait osé l’informer.
Plus tard, Lila retrouva Jonah sous un arbre à l’arrière du bâtiment principal. Les feuilles bruissaient sous la brise matinale, et les sons lointains d’une radio portable diffusaient une chanson grunge en arrière-plan. Jonah était assis sur un banc improvisé, sa guitare sur les genoux, jouant un riff simple et répétitif.
— Salut, Lila, dit-il en la voyant approcher, un léger sourire éclairant son visage. Je me demandais si tu réfléchissais à nos conversations… ajouta-t-il, en référence à leur discussion sur son père.
— Salut, murmura-t-elle en s’asseyant près de lui.
Il posa sa guitare, remarquant son air préoccupé.
— Tu as l’air tracassée.
— Chloé, soupira-t-elle. Elle veut encore me faire payer.
Jonah esquissa un demi-sourire, comme si la nouvelle ne l’étonnait pas :
— Et tu vas faire quoi ?
Lila le fixa, laissant son regard glisser sur ses traits. Son cœur se calma un peu en voyant la douceur dans ses yeux.
— Rien, décida-t-elle. Je ne jouerai pas son jeu.
Jonah hocha la tête, un mélange de fierté et d’admiration dans le regard.
— C’est sans doute la meilleure chose à faire, admit-il, grattant machinalement une corde silencieuse.
Elle s’adossa au tronc, fermant les yeux un instant pour écouter le vent dans les branches.
— Et toi, comment tu te sens ?
Il prit une seconde avant de répondre.
— Fatigué, avoua-t-il. Mais je vais tenir bon.
La compassion illumina le regard de Lila.
— Tu sais que tu peux me parler, n’est-ce pas ?
Jonah hocha la tête, un sourire timide lui effleurant les lèvres.
— Oui, Lila, je sais.
Mais ce lundi ne se termina pas dans la quiétude. Vers la fin des cours, alors que Lila et Jonah marchaient vers le parking, ils remarquèrent un attroupement près de la voiture de Jonah. Les visages moqueurs, les téléphones braqués dans leur direction firent aussitôt grimper la tension.
Jonah accéléra le pas, le cœur probablement déjà serré. Ce qu’il découvrit le laissa sans voix : sa vieille Ford était couverte de graffitis en rouge vif. Des insultes comme "RATÉ", "DÉGAGE", et "VERMINE" ornaient la carrosserie.
Lila porta une main à sa bouche, horrifiée. Jonah, lui, resta figé, les poings serrés, les épaules raides, comme retenant un cri de rage.
— Qui a fait ça ? lança Lila, la voix tremblante.
Un rire froid résonna derrière eux.
— Ce n’est pas évident ? fit Carter, adossé à sa propre voiture, entouré de quelques membres de l’équipe de football.
Jonah pivota vers lui, le regard incendiaire.
— C’est toi ?
Carter haussa les épaules, un sourire suffisant plaqué sur ses lèvres.
— Peut-être, peut-être pas. Mais est-ce que ça change quelque chose ?
Lila sentit Jonah bouger, comme s’il s’apprêtait à bondir, mais elle posa sa main sur son bras.
— Jonah, non…
Il la regarda, son visage crispé par la frustration, avant de se retenir à grand-peine.
— Ce n’est pas fini, Carter, grogna-t-il, la voix menaçante.
Carter ricana.
— Oh, mais si, Parker. Tu ne fais que traîner tout le monde vers le bas. Tu ferais mieux de disparaître.
La colère de Lila monta en flèche, mais cette fois, Jonah la retint d’une main protectrice sur l’épaule.
— On s’en va, dit-il, tentant de garder son calme malgré la rage dans sa voix.
Ils quittèrent la scène sous les rires et les moqueries, laissant la Ford taguée à la merci des regards malsains.
Le soir, Jonah expliqua tout à Lucas et Ryan dans le garage où ils répétaient d’habitude. Lucas, le bassiste, fulminait, prêt à en découdre. Ryan, plus silencieux, n’affichait qu’une colère froide.
— Alors, c’est tout ? On fait rien ? s’emporta Lucas, sa voix résonnant dans l’espace confiné.
Ryan haussa les épaules, la moue renfrognée.
— On va se battre, c’est ça ? Ça réglera quoi ? rétorqua-t-il, sans cacher son agacement.
Assis sur un ampli, Jonah fixait le sol, luttant contre sa propre fureur.
— Peut-être qu’il a raison, murmura-t-il, sourdement.
Lucas secoua la tête, choqué.
— Jonah, ils ne s’arrêteront jamais si on ne réagit pas.
Jonah leva alors les yeux, le regard plus dur qu’à l’ordinaire.
— Ils s’arrêteront quand on leur montrera qu’on est plus forts. Pas en leur sautant dessus, mais en avançant quand même, malgré tout.
Un bref silence tomba. Lucas resta perplexe, Ryan demeura renfermé, et Jonah, déterminé, comme s’il se raccrochait à un plan plus subtil.
De son côté, Lila passa une soirée mouvementée. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, l’image de la voiture taguée lui revenait. Elle repensait aussi à Jonah, qui avait retenu sa colère face à Carter. Comme il était courageux, songea-t-elle, et comme il semblait porter un lourd fardeau.
Au beau milieu de la nuit, incapable de trouver le sommeil, elle se leva et alluma la petite lampe sur son bureau. À côté de ses manuels traînait un carnet de croquis, qu’elle n’avait pas ouvert depuis un moment. Au son discret d’une cassette jouant un morceau de Pearl Jam dans son walkman, elle commença à dessiner.
Les heures s’écoulèrent, et peu à peu, la page se remplit de formes abstraites, d’éclats de couleur représentant sa colère, sa tristesse, mais aussi son espoir. Au centre, elle esquissa un mot, un simple message :
"Jonah, on est invincibles."
Elle posa son crayon, contemplant son œuvre un instant. Malgré la fatigue, elle se sentit apaisée, comme si cette page lui rappelait que, même si Carter et ses acolytes persistaient, elle ne plierait pas. Aux côtés de Jonah, elle se sentait prête à affronter n’importe quelle tempête.
Et tandis que la lune déclinait lentement dans le ciel, elle referma son carnet, un léger sourire sur les lèvres. Le véritable combat ne faisait sans doute que commencer, mais au moins, elle avait la certitude de ne plus être seule pour l’affronter.
Annotations
Versions