CHAPITRE 20 : Avant la Tempête
Le vendredi arriva plus vite que prévu. En début d’après-midi, Jonah, Lucas et Ryan se rendirent dans l’entrepôt situé en périphérie de Seattle. Ce lieu, autrefois utilisé pour stocker du matériel, avait été transformé par leurs soins : des palettes empilées en guise de scène, quelques spots récupérés par Ryan pour éclairer la scène, et des guirlandes lumineuses – que Lila avait installées – créaient une atmosphère plus intime au milieu des murs nus.
Dans un coin, un vieux lecteur de cassettes jouait doucement une compilation rock, histoire de mettre l’ambiance pendant qu’ils ajustaient leurs instruments. L’odeur de poussière, de métal et de peinture se mêlait au parfum sucré des sodas apportés par Lucas. Sur une table improvisée, on voyait quelques flyers qui traînaient, arborant la mention « Soyez prêts à entendre quelque chose de réel ».
À 19h30, les premiers groupes d’élèves commencèrent à arriver. Certains, en chemises à carreaux ou vestes en jean, affichaient clairement leurs affinités musicales ; d’autres, plus classiques, semblaient curieux de découvrir cette initiative hors normes. Lila, postée près de l’entrée avec Jonah, ne pouvait s’empêcher de ressentir un mélange d’excitation et d’angoisse.
Parmi la foule, on reconnut des amis de Lucas et Ryan, mais aussi plusieurs cheerleaders et joueurs de l’équipe de football. Lila aperçut même Chloé et Emily : Chloé, bras croisés, regard sceptique, et Emily, l’air un peu impressionné. Jonah posa une main légère sur l’épaule de Lila, son sourire nerveux se reflétant dans ses yeux.
— Ça commence à ressembler à quelque chose, souffla-t-il en voyant la salle se remplir.
Lila hocha la tête, sentant son cœur battre à toute vitesse.
— On va leur montrer, Jonah, murmura-t-elle, déterminée.
À 20h pile, l’entrepôt était bien rempli, des murmures et des conversations résonnaient contre les murs en béton nu. Jonah monta sur scène avec Lucas et Ryan. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’il ajustait sa guitare électrique. On entendait déjà des applaudissements d’encouragement çà et là.
Il se pencha vers le micro, la gorge un peu nouée :
— Salut tout le monde, dit-il d’une voix rauque. Merci d’être venus. Ce soir, on ne va pas parler longtemps… on va jouer.
Un léger murmure d’approbation parcourut la foule. Jonah jeta un bref coup d’œil vers Lila, postée près de la scène, son regard brillant d’encouragement. Ryan s’installa derrière sa batterie, prenant une grande inspiration, tandis que Lucas vérifiait les branchements de sa basse.
— Alors, c’est parti, lança Jonah, avant d’attaquer le premier morceau.
La musique explosa dans l’entrepôt, emplissant chaque recoin de riffs puissants et de rythmes envoûtants. Jonah jouait avec une intensité nouvelle, comme s’il déversait toute sa colère refoulée et sa passion dans ces accords. Lucas et Ryan suivirent, alternant entre passages mélodiques et ruptures plus agressives.
La foule réagit immédiatement : certains hochaient la tête en rythme, d’autres se mettaient à danser ou taper du pied sur le sol en béton. Même les plus sceptiques paraissaient fascinés par l’énergie brute du groupe. Lila, circulant entre les gens, observait les réactions avec satisfaction. Elle vit Chloé se tenir à distance, incapable de masquer une lueur d’admiration, et Emily, littéralement captivée.
Au fond, Carter et son groupe demeuraient appuyés contre un mur, silencieux. Leur attitude de mépris n’était plus aussi assurée qu’auparavant, ce qui fit sourire Lila intérieurement.
Au milieu du set, Jonah attrapa à nouveau le micro, essuyant la sueur sur son front. Son tee-shirt usé et sa chemise en flanelle trahissaient à la fois l’époque et son style.
— Cette prochaine chanson, annonça-t-il, sa voix résonnant dans le grand espace, est pour tous ceux qui ont été jugés, critiqués ou mis de côté. Vous savez qui vous êtes.
Lila sentit son cœur s’emballer quand il la regarda. Le morceau débuta lentement, dans un riff doux mais chargé d’émotion, avant de s’intensifier peu à peu. Les paroles, écrites par Jonah, parlaient de résilience, de l’importance de trouver sa voix et de ne jamais renoncer à être soi-même.
La foule se laissa emporter. Même ceux qui étaient venus par simple curiosité semblaient touchés par la sincérité qui émanait de la scène. Chloé, quant à elle, fronça les sourcils, mais ne pouvait cacher une certaine admiration. Emily, à ses côtés, esquissa un sourire discret.
Quand la dernière note s’éteignit, un silence presque sacré régna quelques secondes avant que la foule n’explose en applaudissements et cris d’enthousiasme. Jonah, Lucas, et Ryan échangèrent un regard, sourires fatigués mais emplis de fierté. Lila, émue, monta sur scène. Sans un mot, elle étreignit Jonah, provoquant des acclamations encore plus fortes.
Non loin, Carter quitta l’entrepôt en silence, accompagné de son groupe, l’air fermé. Mais pour Lila et Jonah, leur départ ne signifiait pas la moindre défaite. Ils avaient réussi : ils s’étaient exprimés librement, et le public avait répondu présent.
Le lundi matin, au lycée, l’atmosphère avait changé : Jonah et Lila n’étaient plus seulement des cibles de moqueries, mais aussi des élèves respectés pour avoir organisé ce concert et prouvé leur détermination. Dans les couloirs, certains élèves les saluaient ou leur adressaient des sourires, comme s’ils avaient gagné une forme de reconnaissance.
Même Chloé, bien que toujours distante, ne paraissait plus nourrir la même rancœur. Emily discuta brièvement avec Lila, la félicitant pour le concert. Bien sûr, tout n’était pas rose : Carter demeurait hostile, mais il ne pavoisait plus. Ses sarcasmes s’étaient raréfiés, comme s’il avait perdu une bataille cruciale.
Pourtant, Lila et Jonah savaient que ce n’était qu’une victoire dans un champ de bataille plus vaste : celui du regard des autres, des attentes familiales ou sociales, et de leurs propres démons intérieurs. Ils avaient gagné en respect, mais leurs adversaires restaient tapis dans l’ombre, à l’affût de la moindre faiblesse.
Un après-midi, alors qu’ils traversaient la cour, main dans la main, Jonah murmura :
— On a gagné cette manche, Lila. Mais je sens que la partie est loin d’être finie.
Elle lui sourit, serrant ses doigts un peu plus fort.
— C’est pas grave, tant qu’on avance ensemble, répondit-elle, la voix calme mais pleine de détermination.
Le concert avait marqué un tournant : désormais, ils pouvaient regarder Franklin High avec un peu plus de confiance. Et même si la suite réservait sans doute d’autres tempêtes, ils se savaient plus forts qu’avant, mus par l’envie de défendre leur vérité et leur place dans un monde qui avait longtemps voulu les faire taire.
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