Les jours qui suivirent le concert furent loin d’être aussi simples que Lila et Jonah l’avaient espéré. Bien que leur performance ait impressionné nombre d’élèves, elle avait aussi réveillé d’anciennes rancœurs et attisé la tension sous-jacente. Dans les couloirs de Franklin High, on continuait de parler du show « improvisé dans l’entrepôt », mais on chuchotait tout autant autour de Carter, resté étrangement silencieux depuis la soirée.

Un matin, un élève de première, portant un vieux t-shirt à l’effigie de Pearl Jam et un walkman autour du cou, aborda Jonah près des casiers :

— C’était incroyable, Jonah, dit-il, un sourire admiratif sur son visage. Votre musique… elle m’a vraiment touché.

Jonah, gêné par l’attention, hocha la tête avec un léger sourire :

— Merci. Ça compte beaucoup pour nous.

Pour Lila, la situation était plus compliquée. Si certains cheerleaders, intrigués par son initiative, l’abordaient timidement, d’autres continuaient de la regarder comme une traîtresse. Chloé, notamment, conservait une distance polie mais froide, tandis que Carter demeurait mystérieusement discret.

Emily, en revanche, avait commencé à se rapprocher de Lila. Un jour, elles s’assirent ensemble dans la cour, à l’ombre d’un vieux panneau d’affichage couvert de flyers de concerts. Emily tourna nerveusement son bracelet, baissant parfois le regard.

— Tu as été incroyable, Lila, dit-elle doucement, la voix teintée d’une admiration sincère.

— Merci, Emily, répondit Lila, touchée de la voir ainsi.

Emily hésita avant d’ajouter :

— Je crois que Chloé t’en veut encore… mais je pense qu’elle est impressionnée, même si elle ne l’avouera jamais.

Lila haussa les épaules, un voile de tristesse effleurant son regard :

— Ce qu’elle pense n’a plus autant d’importance pour moi, confia-t-elle.

Pourtant, au fond, Lila savait que l’ombre de Carter planait toujours, menaçante.

Quelques jours après le concert, des rumeurs plus sournoises refirent surface. Non seulement sur Jonah, mais aussi sur Lila :

— « Elle a fait tout ça pour se faire remarquer. »

— « Elle manipule Jonah, c’est juste un coup de pub. »

Lila, blessée par ces mots, tentait de garder la tête haute. Jonah, lui, semblait plus préoccupé que jamais. Un soir, alors qu’ils étaient assis dans la voiture de Lila, garée sur une colline surplombant la ville embrumée de Seattle, il serra les poings.

— Carter est derrière tout ça, dit-il d’un ton amer, observant les lueurs de la cité au loin.

— Pourquoi ? s’exclama Lila. Il a perdu, non ? Pourquoi continuer ?

Jonah serra les mâchoires, la lumière du lampadaire extérieur laissant deviner la tension sur ses traits.

— Parce que c’est tout ce qu’il a. Si les gens commencent à nous respecter, il perd son contrôle.

Le lendemain matin, en arrivant au lycée, Lila découvrit un nouveau graffiti sur son casier : « FAUSSE REBELLE. »

Une vague de colère la submergea. Elle se tourna aussitôt vers Jonah, qui se trouvait à quelques casiers de là. Voyant les mots, il fronça les sourcils, son visage se fermant.

— On doit faire quelque chose, Jonah, lança-t-elle, la voix tremblante de rage.

— Pas encore, murmura-t-il, posant une main apaisante sur son épaule.

— Alors quoi ? On attend qu’ils aillent plus loin ?

Jonah la fixa, déterminé :

— On attend qu’ils se montrent.

Mais la situation s’envenima plus vite qu’ils ne l’auraient cru.

Le vendredi suivant, Jonah reçut une convocation au bureau du principal. Lila, inquiète, l’attendit près de la porte, le cœur en ébullition. Quand il sortit enfin, son expression sombre en disait long.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Lila, attrapant son bras.

— Ils m’accusent d’avoir volé du matériel dans la salle de musique, grogna-t-il, serrant les mâchoires.

— Quoi ? s’écria-t-elle. C’est absurde !

Jonah hocha la tête, les yeux assombris :

— Quelqu’un a placé des câbles audio et des amplis dans mon casier. Le principal dit qu’il n’a pas le choix : il doit enquêter.

Lila sentit son estomac se tordre.

— C’est Carter. Ça ne peut être que lui.

Jonah soupira, passant une main dans ses cheveux bruns :

— Peut-être, mais il n’a laissé aucune preuve.

Au fil des jours, cette enquête provoqua une onde de choc dans le lycée. Certains élèves, déjà méfiants, en profitèrent pour relancer de vieilles rumeurs sur le passé de Jonah avec son père. Même ceux qui avaient salué leur concert semblaient hésiter à le défendre ouvertement, craignant de se mettre Carter à dos.

Dans le garage, Lucas et Ryan, bien que solidaires de Jonah, restaient prudents.

— On sait qu’il n’a rien fait, dit Lucas, les bras croisés. Mais s’il s’avère qu’on s’en mêle trop, ils pourraient s’en prendre au groupe.

Lila, postée à côté de Jonah, sentit la rage monter :

— Vous n’allez pas le laisser tomber ? tonna-t-elle.

Ryan secoua la tête, l’air inquiet :

— On ne le laisse pas tomber, Lila. Mais on doit être malins. Si on accuse Carter sans preuve, ça se retournera contre nous.

Un soir, alors qu’ils discutaient dans la voiture de Lila, garée comme souvent sur une colline surplombant les lumières de Seattle, Jonah émit une idée.

— On doit le confronter directement, lâcha-t-il.

Lila fronça les sourcils, hésitante :

— Confronter Carter ? Comment ?

Jonah haussa les épaules, esquissant un sourire froid :

— S’il est coupable, il finira par l’avouer. On crée une situation où il n’a pas d’autre choix.

Lila le fixa, partagée entre appréhension et curiosité.

— C’est risqué, Jonah… il peut riposter.

Jonah hocha la tête, le regard voilé par la colère rentrée.

— Tout ce qu’on fait l’est, mais on ne peut plus subir en silence.

Sous le ciel nocturne, alors que des bribes de musique grunge s’échappaient d’une radio dans la rue voisine, ils scellèrent ce nouveau pacte : trouver un moyen de faire tomber le masque de Carter.

Leur prochain défi serait plus dangereux, mais au moins, ils ne se laisseraient plus piéger par des manigances sans riposter.