Prologue
« Une légende raconte que dans une lointaine contrée vivait la déesse de la vie, de la terre et de la mer. Elle apparut, un jour, alors que la Terre n’était faite que d’eau, elle créa des îles pour les hommes, des arbres aussi hauts que des châteaux, des animaux aussi étranges les uns que les autres. Puis, elle créa les hommes, nos ancêtres, qui explorèrent les îles et en firent leurs foyers
Mon arrière-grand-père, comme son père avant lui, avait vogué sur les mers lointaines. Il avait voyagé d’île en île, mais aucune ne lui donnait satisfaction. Il voyagea encore et encore jusqu’à ce qu’un jour, il tomba sur un archipel désert, petit et silencieux. Intrigué, il descendit sur le sable chaud dont la couleur ressemblait à celle de l’or. A moitié enfouie sous terre, il trouva une pierre tombale où étaient gravés des écrits d’une langue inconnue. Il frôla la stèle et tout à coup, la terre se mit à trembler ! La pierre explosa en poussière ! La mer s’accumula sur l’île ! Le tonnerre gronda dans le ciel –pourtant calme avant son arrivée. L’eau engloutit l’archipel...Et mon arrière-grand-père avec…
-Ohh…Se désolèrent les enfants.
-Néanmoins ! Il retourna à la surface, il nagea à en perdre haleine ! Mais les dieux étaient contre lui…Des vagues de plus de sept mètres l’enfoncèrent dans les profondeurs de l’océan. Il s'imagina mourir, il fut sur le point d’abandonner. Mais une lueur jaunâtre attira son attention. Elle brilla si fort qu’il crut devenir aveugle, il se rendit compte qu’il se rapprochait de la lumière. L’eau l’envoyait vers elle. La mer l’éjecta, il se retrouva à tomber dans le vide et ce qu’il vit le fit rêver durant toute sa vie ; une île, une grande île flottait dans le ciel, une verdure incroyable, des vaisseaux étranges et gros comme des collines l’entouraient, des animaux tels qu’il n’en avait jamais vus volaient au gré du vent. Et au milieu, juste au centre se situait une gigantesque montagne aussi lisse qu’une planche, aussi brillante que le soleil…C’était la Montagne d’Or.
-Waw ! Et après ?! Cria un enfant.
-Il sombra dans le chaos…Mais il se souvenait d’une seule chose ; une chevelure de soie, aussi fine qu’une toile d’araignée. Lorsqu’il se réveilla, il était sur son île natale, dans une barque avec comme seul objet, cette bague que je porte à mon doigt.
-Je veux trouver cette île ! Cria un gamin d’à peine neuf ans.
-Haha ! Oui, mon neveu, tu vogueras sur les mers et réalisera le rêve de ton père.
-Je trouverai la Montagne d’Or et j’apporterai ses richesses ici !
-Je n’en doute pas une seconde, haha !
-Les enfants ! »
Ces derniers se retournèrent et virent leurs mères leur faire signe de rentrer. Il se faisait tard, la lune était déjà haute dans le ciel étoilé, la brise fraîche du soir et l’odeur petrichor ne faisaient qu’attiser l’envie de rester dehors. Le village était éclairé par des lampes en métal dont la bougie enflammée ne fondait jamais –une invention du fou du village. Certains magasins fermaient tandis que d’autres venaient à peine d’ouvrir. Les femmes et les enfants quittaient les rues pour retrouver le confort des maisons, laissant les hommes occuper la bourgade.
Odal admirait cette vue qu’il aimait tant. Il avait combattu pour elle, afin de l’offrir à sa famille et à sa descendance. Il avait tout misé sur cette paix.
Déjà dix ans s’étaient écoulés depuis la grande guerre. Il y avait eu des milliers de morts ; femmes, enfants et hommes, personne n’avait échappé au courroux des dieux. Ces derniers étaient venus vers eux en tant que négociateurs. Ils leur reprochaient de salir la Terre, souiller leur innocence et leurs bonnes intentions. Ils n’avaient rien écouté, ils avaient continué à faire ce qu’ils voulaient. Les dieux les avaient avertis nombre de fois, en vain. Alors, la guerre avait été déclarée.
Aujourd’hui, tout était différent ; pas de guerre, pas de mort, pas de sang. Rien, seulement le calme et le silence.
« -Bonsoir, Odal.
-Dagmar ! Comment te portes-tu ?
-Je vais bien, je te remercie. Je viens reprendre mon fils.
-Haha, bien sûr, Ansfrid est juste-là à combattre une pauvre plante.
-Je vois…Dis-moi, que leur as-tu raconté cette fois-ci ?
-Une anecdote de mon enfance ; l’histoire de mon arrière-grand-père. Sourit-il de toutes ses dents. »
Il l’avait dit sur un ton joyeux, fier de son histoire. Pourtant, lorsqu’il rencontra les yeux de la femme, il perdit son sourire. Dagmar était une femme pleine de vie et d’amour. Souriante, charmante et intelligente, tout le contraire de son défunt frère qui l’avait prise pour épouse. Il l’avait connue avant même que son frère ne pose ses yeux sur elle ; ils étaient proches, ils s’entendaient sur presque tout et il la connaissait sur le bout des doigts. C’était une femme spontanée et joyeuse. Alors lire la colère et la déception dans ses yeux turquoise, n'était-ce pas étrange? Il se redressa sur sa chaise et prit un air sérieux. Elle avait quelque chose à lui dire.
« -Odal, je te prie de ne pas lui raconter cette histoire, non, de ne pas du tout lui raconter des histoires sur les îles et les mers. Il en devient fou, il ne fait que parler de voyage et d’or, qu’il trouvera une île déserte pour construire son propre village comme nos ancêtres l’ont fait. Arrête de lui bourrer la tête avec ces idées farfelues, ce n’est qu’un enfant, il n’a pas encore l’âge pour connaître l’histoire de son pays et encore moins celle de sa famille…Ca m'inquiète…
-Pardonne-moi, ce n’était pas mon intention…Mais il faut avouer que c’est grâce à ces récits que son cerveau fonctionne de par lui-même. Regarde-le Dagmar, regarde à quel point il est épanoui, son envie d’explorer le pousse à bien travailler à l’école, à t’obéir au doigt et à l’œil, à éviter de te décevoir juste pour que tu puisses accepter de le laisser partir, il espère qu’un jour tu puisses le libérer de ton amour maternel…
-C’est ce qu’il t’a dit ?
-Il parle dans son sommeil.
-Je ne veux pas, Odal, je refuse ! Je ne veux pas qu’il parte sans l’ombre d’espoir d’un retour, je ne peux me permettre de le perdre, pas lui !
-Tu l’empêche de vivre son rêve !?
-Je l’empêche de mourir ! Il ne sait pas ce qui l’attend loin de ce village : des monstres, des pirates, des voleurs. Pire ! Des dieux ! Ils le tueront en une fraction de seconde ! Je ne peux pas me permettre une telle souffrance !
-Te permettre ? Alors il s’agit de toi ? Tu le gardes dans tes bras seulement pour que tu puisses vivre sainement ? Alors que lui son seul désir est de découvrir le monde ? Tu ne peux l’en empêcher, il est aussi têtu que moi.
-Regarde les conséquences de ton entêtement, tu es aveugle d’un œil et tu n’as plus de jambes ! Je ne veux pas le voir assis sur une chaise à scruter les passants… »
Odal se tut. Alors c’est ce qu’elle pensait de lui ? Un vieux rêveur cloitré chez lui. Ces propos le blessèrent venant d’une personne qui était supposée le comprendre. Il concevait sa peine. Voir son mari quitter le port et ne plus jamais revenir était une souffrance qu’elle n’avait jamais pu surpasser.
Elle vivait encore le moment de son départ. Elle descendait au port et fixait l’horizon comme si ça aiderait sa peine à s’éteindre. Elle imaginait la vue d’un bateau au loin, dans un sale état peut-être. Elle imaginait un homme sur le nid de pie à scruter l’horizon à l’aide d’une longue vue, elle imaginait un homme souriant retournant enfin à la maison. Son homme disparu depuis huit ans.
La disparition d’un frère n’était pas facile non plus. Il voyait sa mère mourir à petit feu, son père sombrait dans le noir, et lui ? Que dire de lui ? Cinq ans qu’il faisait son deuil, cinq ans qu’il oubliait de vivre sa vie. Il était dans un état dépressif. Le déclic était la mort de ses parents. Il n’arrivait plus à pleurer, son corps n’avait plus de larmes en réserve. Mais au lieu de sombrer encore, il s’était repris en main. A quoi bon pleurer un mort s’il ne revenait pas ? La vie continuait, c’était ainsi. Alors il avait avancé seul, il avait pris un baluchon et quitté le village et repris le voyage de son frère. Contrairement à ce dernier, il revint, mais dans un piteux état.
« -Fais ce que tu veux, c’est ton fils après tout. Mais ne viens pas pleurer lorsqu’il quittera le foyer.
-Merci, Odal. »
La mère et le fils laissèrent l’homme seul dans sa maison. Ses yeux plongèrent dans la noirceur du ciel et de ses petits éclats de lumière. La brise fit virevolter ses longues mèches ébène.
Il réfléchit à cet échange. D’un côté, Dagmar avait raison, envoyer Ansfrid à sa perte juste pour réaliser un rêve éphémère, n’était-ce pas trop injuste ? Par contre, Odal ne voulait pas que le garçon oublie cette excitation qu’il ressentait en ce moment. Celle de voyager, celle de découvrir le monde. Il ne voulait pas qu’il ressemble aux autres enfants de son âge, guidés par leurs parents ennuyeux ne connaissant rien de la vie. Il ne pouvait s’empêcher de penser à lui. Le père d’Ansfrid ne l’avait vu qu’une seule fois après sa naissance, le petit ne le connaissait qu’en photo. Cette dernière datait d’il y a très longtemps, son père était dans sa vingtaine. Une période où il ne connaissait pas encore sa mère.
Il avait des cheveux bruns ébouriffés, une peau mate comme celle d’Odal et des yeux bruns. Ansfrid ne ressemblait guère à son père mise à part la couleur de ses cheveux. Il tenait tout de sa mère ; peau claire et pure, de grands yeux turquoises, la même ride qui apparaissait au-dessous de son œil droit lorsqu’il souriait et le même intellect. En revanche, son caractère ne ressemblait pas à celui de ses parents. Du haut de ses trois ans, lorsque Dagmar était occupée, c’était Odal qui prenait soin de lui, il lui apprenait à parler comme un homme, à boire comme un homme et à manger comme un homme. Il lui enseignait l’art de la pêche, la chasse et la cuisine pour qu’il sache se débrouiller en grandissant.
Cependant, Odal se maria et il eut deux garçons. Autrement dit, il n’avait pu passer du temps avec son neveu, il devait prendre soin de sa petite famille quelques années. Mais il n’oublia jamais Ansfrid. Il avait sept ans lorsqu’ils reprirent contact. Odal lui apprit les quelques leçons que le petit avait oubliées et, petit à petit ils, redevinrent le duo qu’ils étaient, accompagnés bien évidemment de ses deux cousins ; Walfrid et Wilfrid.
« -Je prie pour qu’il ne t’arrive rien. Chuchote-il. »
Il entendit des pas tout près de la maison et un rictus se dessina sur ses lèvres. Sa famille venait de rentrer. Il observa ces êtres qui embellissaient sa vie désormais ; Walfrid tenait la main de sa mère en marchant lourdement alors que son frère était dans les bras de Borglinde, sa femme.
« -Je prie pour qu’il ne vous arrive rien… »
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