Chapitre 9

8 minutes de lecture

Un éclair déchira le ciel. L’averse fit rage. Aucun bateau ne vogua sur cette mer déchaînée. Un autre éclair fendit les nuages, et au loin, telle une comète, une chose s’écrasa sur une île. Sur le sable mouillé, une sphère bleuâtre se fissura doucement avant d’exploser entièrement. Ansfrid en sortit.

Bien que toujours faible, il se redressa péniblement en gémissant de douleur. Il se mit sur ses genoux, puis observa les alentours. Le noir et la pluie ne l’aidèrent point à identifier le lieu. Il se leva en se tenant la côte droite, étrangement douloureuse, et marcha le long de la plage. Il apercevait des silhouettes d’arbres, de rochers et même de montagnes, mais pas d’humains. Il appela faiblement le nom de ses cousins, ainsi que ses compatriotes. Personne ne répondit. Il longea le rivage sans se soucier d’attraper une fièvre.

Il continua d’appeler Walfrid, Wilfrid, Erling, Hjalmar et Folker, espérant que l’un d’entre eux lui répondra. Il arriva devant un immense palmier qui avait perdu toute sa droiture à cause du vent, Ansfrid chercha du regard un visage familier. N’importe lequel, il voulait seulement se savoir en compagnie d’un de siens.

Tremblant comme une feuille, son corps ne le supportait plus. Sa cote agonisait. Soudain, une quinte de toux le prit, il toussa au point d’en cracher du sang. Le brun contempla cette substance à moitié visible et ne put s’empêcher de verser des larmes. Etait-ce fini de lui ? Allait-il mourir ici ? Il ne pouvait pas se le permettre, pourtant ! Il devait rejoindre ses amis, sa famille, sa mère qui l’attend…Ce danger n’a été que le fruit d’une idée irresponsable et stupide ! Il devait se lever et chercher ses confrères. Ils étaient quelque part dans cette île, il en était sûr !

Ansfrid souffla un bon coup avant d’essayer de se relever, en vain. En mettant toute la force qu’il lui restait, il n’arrivait pas à se mettre sur ses jambes. Puis, sa vision devenait floue, sa tête tournait et il ne sentait plus son corps.

Il sombra dans un trou noir.

Il pensait avoir péri, quitté ce monde funeste pour la race humaine. Mais il se réveilla dans une cabane remplie de plantes en tout genre. Le drap qui le couvrait était soyeux, il le caressa du bout des doigts, appréciant la douceur. Ansfrid n’arrivait pas à se lever, et encore moins à tourner sa tête, bien trop lourde.

Il ne se souvint de rien, ni des évènements de la vieille, ni ceux qui la précèdent. Sa mémoire était comme vidée. Son seul souvenir était le sourire de sa mère, qui l’encourageait à prendre le large. Le brun referma ses yeux, il avait encore sommeil. Mais un coup à la porte le réveilla.

Quelqu’un entra et s’assit sur la chaise à côté du lit. Ansfrid ne put distinguer le visage de cet inconnu, mais il constata qu’il devait être vieux à cause des rides présentes sur ses mains.

« Je pensais vous avoir perdu pour de bon, cher monsieur. »

Sa voix était vieille et frêle, elle ressemblait à un chuchotement. Le blessé ne répondit pas et continua d’observer le plafond en bois.

« Je vous ai trouvé, il y a quelques jours, couché sur la plage, inconscient. Continua le vieux. Avec de telles blessures, je craignais que vous ne soyez plus en vie, mais les dieux vous ont accordé une autre chance.

-Ne me parlez pas de dieux. Rétorqua Ansfrid sur la défensive.

-Pourtant, ils vous ont béni d’une seconde vie. Soyez reconnaissant au lieu de leur porter rancune.

-Qui êtes-vous ? Et où suis-je ?

-Oh, où sont mes bonnes manières ? Je me présente, Aage, le moine de ce temple. Et vous êtes sur l’île de Modrost. C’est ici que tous les…Vous n’êtes pas en état de vous lever, monsieur !

-Je n’ai pas de temps à perdre ic-argh ! »

Ansfrid retomba sur le lit en se tordant de douleur. Il cracha une nouvelle fois du sang, salissant le drap de soie. Le vieil homme se positionna devant lui et l’aida à se réinstaller sur la couche. Le dénommé Aage lui apporta une tasse d’eau fumante aux lèvres et lui demanda de la boire.

La boisson était affreuse. Ansfrid faillit la vomir tant le gout était immonde.

« Dites-moi, si je peux me le permettre, que faisiez-vous dehors sous un temps pareil ?

-Je ne sais pas. Répondit le malade après s’être calmé. Je ne m’en souviens plus.

-Beaucoup de voyageurs perdent la mémoire en arrivant ici. Mais ne vous en faites pas, la tisane que vous avez bu aide à se rappeler de choses que nous ne devons pas oublier. Par contre, elle contient un effet soporifique... »

Aage ne continua pas sa phrase en apercevant que son nouveau protégé dormait comme un loir. Il quitta la pièce, laissant le jeune homme se reposer.

Du feu, de l’eau, une tempête, des monstres et un titan. C’est ce qu’Ansfrid voyait dans son rêve. Il bougeait dans tous les sens et transpirait fortement. Soudain, il se réveilla sous un cri de terreur. La respiration saccadée, le brun observa ses mains tremblantes et puis, une sensation de chaleur le prit tout à coup. Il quitta le lit et rejoignit la porte en titubant. Il l’ouvra et eut un moment de recul lorsqu’il découvrit qu’il était à plusieurs mètres au-dessus du sol.

Surpris, Ansfrid observa autour de lui et aperçut des maisonnettes construites sur d’immenses arbres, des ponts les reliaient les unes aux autres. Avec une tête de poisson, d’étranges bêtes volaient au gré du vent. Les feuilles des arbres étaient d’une grandeur à en couper le souffle et les fleurs d’une beauté ! Il eut de nouveaux vertiges.

« Je suis content de vous revoir réveillé. Dit la voix épuisée d’Aage.

-Cela fait combien temps que je m’étais endormi ?

-Une journée entière. »

Ansfrid tomba des nu. Il se précipita à l’intérieur de la chambre où il chaussa ses bottes et mit sa veste. Il fut sur le point de s’en aller quand Aage lui conseilla de rester allongé.

« J’apprécie votre gentillesse, mais je dois retrouver mes camarades.

-Vos camarades ? Je crains que ce ne soit pas possible.

-Je vous demande pardon ?

-Vous étiez le seul à être tombé dans cette île, il n’y avait personne d’autre. »

Ce fut la goutte d’eau en trop. Ansfrid attrapa le vieux par le col et le bouscula, il se retrouva sur lui, le poing prêt à frapper.

« Vous savez quelque chose, n’est-ce pas ? Cria le brun, ses membres tremblaient une nouvelle fois. Où sont-ils ? Que leur est-il arrivé ?

-Voulez-vous vraiment entendre ça ? Répondit Aage d’un ton calme. »

Ansfrid se tut. Il relâcha l’homme et se leva, il vacilla loin de lui avant de percuter un mur. Il se laissa tomber. Il avait une petite idée, mais était-il prêt à l’entendre ? Prêt à écouter cette annonce qui risque de confirmer ses pensées les plus douloureuses ? Une boule à la gorge, le brun baissa la tête. Non, il n’était pas prêt.

« Tous les habitants de cette île sont des religieux, nous croyons aux dieux et nous les obéissons. Vous êtes tombé du ciel, dans une sphère que nous ne connaissons que trop bien. C’est le titan Eldrid qui vous a envoyé.

-Taisez-vous…

-Il nous a informés que vous étiez le seul survivant…

-Taisez-vous !

-…Que les autres ont péri durant leur voyage…

-Fermez-la !

-…Ils sont morts. »

Ansfrid pleurait déjà. Les larmes coulaient abondement, ses dents claquetaient entre elles à cause des tremblements et sa respiration se saccadait. Il avait mal au cœur, comme si quelqu’un s’amusait à lui enfoncer un poignard. Aage s’avança vers lui, voulant poser une main réconfortante sur l’épaule du jeune homme, mais ce dernier l’en empêcha. Ansfrid se leva d’un bond et fit les cent pas dans la pièce. Il n’arrivait pas à se calmer. Et comme si ça allait changer quelque chose, il déchira le drap, frappa la chaise d’un coup de pied, brisa l’étagère près de la fenêtre, jeta le verre sur le sol et frappa le mur en bois.

Qu’avait-il fait ? Tout le monde a été tué par sa faute, s’il n’avait pas perdu conscience, il aurait pu les sauver, tous les cinq. Comment regardera-t-il Borglinde en face désormais ? Et la promesse faite à Odal, brisée ! Il ne pourra plus jamais se montrer devant eux. Il n’avait pas protégé ses frères et compatriotes, il était trop faible ! Ansfrid frappa une dernière fois le mur et laissa échapper les sanglots qu’il retenait. Il était seul maintenant, il n’avait plus personne sur qui compter. Comment finira-t-il ce voyage sans eux ? Sans leur aide et conseil ? Sans leurs chamailleries et plaisanterie ? C’est en compagnie de ses sombres songes qu’il resta quelques heures, seul.

« Je comprends votre envie de vous en allez, mais dans votre état actuel, il serait préférable que vous restiez quelques jours. »

Anfrid soupira.

La nuit était déjà tombée. Le ciel était couvert de nuage dont les rayons lunaires les traversaient à peine. Le brun remplissait un baluchon, dans la petite chambre qui lui a été léguée durant ces derniers jours. Il se retourna vers Aage. Il n’avait même pas pris la peine de l’observer ; ce vieux avait une longue barbe blanche, atteignant la même longueur que ses cheveux. Son visage était ridé, ses yeux plissés et son dos courbé. Il marchait à l’aide d’une ancienne canne ornée de quelques symboles incompréhensibles. Aage portait une large tunique noire bordée d’épais traits gris. C’était une tenue que tous les habitants de ce village vêtaient. Malgré le comportement grotesque d’Ansfrid, il était toujours là pour lui tenir compagnie dans sa noirceur et solitude.

« Merci pour tout, Aage. Sourit Onfroy, en lui tendant sa main.

-Je n’ai rien fait, cher Ansfrid. Répondit-il en empoignant la main du jeune homme. Toutefois, je n’accepte pas l’idée de vous laisser partir dans cet état, et même si vous voudrez, un jour, venger vos amis, n’êtes-vous pas un peu faible face à Eldrid ? »

Ansfrid resta silencieux. Aage avait raison, il ne tiendrait pas deux minutes contre ce maître de feu. Avec son maigre entraînement avec Frittjof, il ne maîtrisait pas encore le maniement d’épée et son corps s’était légèrement ramolli. Il soupira une nouvelle fois.

« Donnez-moi dix mois. Dit soudainement Aage.

-Pardon ?

-Laissez-moi vous entraîner pendant dix mois.

-C’est gentil de votre part, mais je n’ai pas de temps à perdre. Même si j’ai perdu mes amis, il me reste toujours une quête à finir.

-Je ne vous demanderai pas plus de détails, mais si vous changez d’avis, vous savez où me trouver. »

Le vieux prit congé.

Ansfrid regarda la silhouette de l’ancien disparaître dans la nuit. Il se tourna vers la fenêtre et observa l’océan.

Annotations

Vous aimez lire N. Kherbani ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0