Chapitre 10
Ansfrid fut éjecté plusieurs mètres plus loin. Il se releva douloureusement et jeta un regard déterminé vers Aage.
Ce fut le troisième jour depuis le début de son entraînement. Pour l’instant, le seul développement que le jeune homme eut acquis était la lecture des mouvements du vieux sage. Mais cela ne lui permettait pas d’esquiver les attaques pour autant.
Aage dépassait les quatre-vingts ans, toutefois, il restait un adversaire de taille. Il n’avait pas été doux avec son nouveau disciple, et ce, depuis le tout début de l’entraînement. Trois jours consécutifs où Ansfrid prenait coup sur coup, attaque sur attaque, sans jamais les éviter. Et malgré sa rapidité à émettre des stratégies, aucune d’elles n’a porté ses fruits.
Ce fut le cas à ce moment-là. Ansfrid essaya une énième fois de dévier la paume de son maître, mais il l’a reçue droit sur le front, ce qui fit l’effet de le projeter en l’air. Il tomba sur le dos, lui arrachant un cri de douleur.
« Arrêtons pour aujourd’hui. Déclara Aage en voyant le soleil se coucher. Va te laver, le dîner sera prêt dans quelques minutes. »
Il partit, laissant le brun reprendre son souffle.
Ansfrid resta plusieurs minutes couché sur la terre dure de la montagne. Il inspirait et expirait à grande bouffée. Puis, il se redressa et contempla l’horizon. Les rayons de soleil déchiraient le peu de nuages présents dans le ciel. Les couleurs se mélangeaient et créaient un tableau à en couper le souffle. Et les bruits des vagues s’écrasant contre la corniche. C’était tout simplement paisible.
Il ne faut pas se méprendre, la douleur de ses pertes est toujours présente. Cependant, le passé reste au passé et il se devait de le laisser à sa place. Pas au point de les oublier, non. Seulement d’avancer et s’habituer à la douleur. Voilà tout.
Après s’être nettoyé, Ansfrid rejoignit Aage dans sa maison. La table fut bien garnie ; des pommes de terres sautées, de la viande de lapin, du lait de chèvres, du beurre et du pain. Ansfrid avait l’habitude de manger plus que ça lorsqu’il était dans son île. Mais depuis son voyage, il chérissait chaque bien qui lui était donné, infime soit-il.
« Tu as été pas mal, aujourd’hui. Commença Aage, fourrant du pain dans sa bouche. Bien que tu n’aies point réussi à contrer mes attaques, tu as été remarquable en les lisant.
-Arrêtez vos mensonges, à quoi bon lire vos mouvements si je ne peux même pas, ne serait-ce que les esquiver. Se plaignit le disciple.
-C’est déjà un bon début. Tu l’as fait en seulement trois jours, alors que se passera-t-il d’ici dix mois ? Sourit le maître. Dans la vie, il faut abandonner la négativité et se tourner vers l’optimisme. Demain, nous irons aux chutes Isfall où tu apprendras la maîtrise de soi. »
Couché sur son lit, Ansfrid ne tarda pas à s’endormir.
Le lendemain, il était à peine quatre heures du matin qu’Aage et Ansfrid se trouvaient au-delà des grandes montagnes. De là où ils étaient, ils apercevaient une vue magnifique ; une immense forêt dont les arbres recouvraient tout le sol. Les rivières coulaient à leur rythme et des plantes étranges, mais belles poussaient ici et là. Et haut dans le ciel, des bêtes d’une forme inconnue virevoltaient au gré du vent.
Arrivés devant une grande chute d’eau, Ansfrid se laissa bercer quelques secondes par la douce mélodie. Elle le rendit nostalgique ; les coins tels que celui-ci de son île lui manquaient.
« Commençons. Dit Aage en enlevant sa cape. »
Bien que maigre, le corps du vieux sage avait des muscles bien tracés, orné de plusieurs cicatrices. La plus imposante était celle présente sur son torse ; elle le traversait depuis son épaule gauche jusqu’à sa hanche droite.
Aage pénétra dans le petit lac et appela Ansfrid à faire de même. Tous deux restèrent dans une position de combat pendant des minutes et des minutes.
Le vieux appréciait son disciple. Même s’il aurait aimé qu’il soit un tout petit peu curieux. Ansfrid ne posait jamais de questions, il écoutait son maître sans jamais répliquer. Lui faisait-il confiance à ce point? Il répondrait que non, que tout n’était que question d’espoir. Oui, Aage était le seul espoir d’Ansfrid. Il était le seul qui pourrait l’aider à améliorer sa force et évoluer sa puissance, mais surtout, à maîtriser la chose qui était en lui.
Son maître le lui avait annoncé bien avant son entraînement, qu’il regorgeait une puissance malveillante en lui. Une chose dotée de grands pouvoirs, mais très dévastatrice. Aage ignorait pourquoi une telle force était présente chez son disciple, toutefois, c’était la raison pour laquelle il lui avait proposé cet entraînement. Seuls les dieux savent ce qu’il adviendrait du monde si Ansfrid ne la maîtrisait pas.
« L’eau est une source reposante. Rien qu’à entendre le son de la chute, ton corps se tranquillise. Expliqua Aage. Tu es trop nerveux lors des combats, tu stresses à l’idée de recevoir des coups et c’est ce qui t’empêche de les esquiver. L’excitation est un défaut à neutraliser. Tu veux attaquer, mais tu es lent. Tu veux être rapide, mais ton corps ne te suit pas. Tout est question de savoir et de contrôle. Connais tes faiblesses et tu pourras contrôler ta force. »
Sans crier gare, Aage frappa Ansfrid d’un coup de poing au ventre. Le brun faillit vomir son petit déjeuner. Il allait répliquer avec un coup de pied, mais il fut projeté sous l’eau. Lorsqu’il remonta à la surface, son maître lui faisait face.
« Rester calme est l’astuce. Ça ne sert à rien de paniquer dans un combat. Je t’ai frappé, tu as eu mal, tu as essayé de contre-attaquer, sans succès. Tu as été excité une nouvelle fois. Un autre défaut chez les combattants, c’est qu’ils dépendent de leur vue. Pourtant, ils ont été bénits par d’autres perceptions. L’odorat te permet de sentir l’odeur de ton adversaire, ne me regarde pas comme ça, il reste un atout incontournable.
-Vous me conseillez de renifler mes ennemis ? Demanda Ansfrid, perplexe.
-Chaque humain à une odeur propre à lui. De là où je suis, tu ne peux rien sentir, mais si je me rapprochais pour te frapper, une nouvelle odeur se présenterait dans l’air.
-Donc si, un jour, j’ai des yeux crevés, j’userai mon odorat…
-L’odorat est la dernière perception à utiliser. N’oublie pas que tu as également l’ouïe. Cette dernière vient directement après la vue. Si tu te concentres assez, tu entendras les pas de ton ennemi, ou même la direction d’une épée fendant l’air. Commençons par ces deux-là, puis je t’apprendrai ce qui reste. Prépare-toi. »
Aage se jeta sur son disciple. Celui-ci, comme la veille, ne put se protéger les coups du vieux.
« Laisse-toi faire ! »
Ansfrid essayait, mais son corps ne pouvait se laisser frapper sans riposter. C’était inconscient. Plusieurs minutes s’écoulèrent et le brun fut à bout de souffle. Aage soupira avant de fouiller dans son sac et en sortir une légère écharpe.
« Bande-toi les yeux, comme ça tu te focaliseras sur ton ouïe et odorat. De mon côté, je diminuerai ma vitesse. »
Le disciple ne posa pas plus de question et fit ce qui lui avait été demandé de faire, même s’il fut moins confiant. Et il eut raison, le résultat fut bien pire ; il avait reçu tous les coups d’Aage. Ce scénario se répéta durant une longue semaine. Et aujourd’hui, l’effet sera le même.
Il était minuit passé. Ansfrid était seul, au milieu de la forêt. La chute n’était pas loin, son bruit atteignait les oreilles du brun. Les yeux bandés, il respirait calmement. Son corps était rempli de blessures légères et de boue. Il se mit en position défensive et attendit.
En une fraction de seconde, Ansfrid se retrouva accroupis, bloquant le poing d’Aage. Ce dernier sourit, puis riposta avec d’autres coups. Le brun réussit à parer quelques-uns, mais prit d’autres de plein fouet. Il se releva rapidement et se focalisa sur ce qui l’entourait. L’absence de sa vue était un handicap, néanmoins, il s’était légèrement habitué. Il écouta les bruits de pas furtifs de son maître. Ce dernier avait augmenté sa puissance et sa vitesse, contrairement au début où il n’utilisait que le quart de sa force.
Aage vint derrière Ansfrid et le roua de coups. Le disciple se défendit du mieux qu’il le pouvait, en vain. Et en quelques minutes seulement, le brun se retrouva à terre.
« Ca suffit pour aujourd’hui.
-Grand-père ! Cria une voix féminine. Combien de fois devrais-je te le répéter ? Vas-y doucement ! Regarde dans quel piteux état tu l’as encore mis.
-Haha, désolé Yuko, mais un entraînement reste un entraînement, n’est-ce pas Ansfrid ?
-Ne t’en fais pas, petite tête. Répondit le concerné. Je ne ressens presque rien.
-C’est ce que tu dis tout le temps avant de tomber dans les pommes. Dit la jeune fille, agacée. »
Les deux hommes sourirent. Yuko était la petite-fille d’Aage, elle avait deux nattes ébène, des yeux bruns et une peau de porcelaine. Elle n’avait pas hérité de la force de son grand-père comme les villageois l’espéraient. Mais elle reste tout de même forte avec ses pouvoirs d’enchantements.
« Je vous jure, si vous continuez comme ça je ne vais plus vous soigner ! Dit-elle en lançant un enchantement de soin sur Ansfrid.
-Oui oui, c’est ce que tu as dit la dernière fois. Ria Aage en s’asseyant près du feu.
-En fait, je me demandais…Commença Ansfrid. Quel genre de pouvoir utilisez-vous, maître Aage ?
-Mm, comment te l’expliquer ? Tu peux dire que j’utilise un booster. Je créé une sorte de pression pour augmenter la force de mon poing. Comme tout à l’heure, j’ai utilisé l’air, je l’ai compressé au niveau de mon coude puis relâché d’un seul coup. C’est une capacité que je peux maîtriser comme bon me semble.
-Il n’y a pas de limite alors ?
-Tous les hommes ont été créés avec une poche d’énergie. Cette poche se remplit ou disparaît selon son utilisation. Ceux qui ne l’ont jamais utilisé finissent par la perdre à tout jamais. Par contre, si d’autres la stimulent, elle évolue et augmente. Mais elle n’est pas illimitée, elle se vide après un long moment d’utilisation.
-Et donc, en ce moment, vous êtes à sec. Conclut Ansfrid.
-Haha ! Pas tout à fait.
-Grand-père a été bénit de deux poches d’énergie, il peut combattre pendant un mois sans se reposer.
-Qu’êtes-vous, un monstre !? Répliqua le disciple, abasourdit.
-Ne t’étonnes pas pour si peu, il y a des personnes bien plus remarquables. Répondit Aage d’un ton sérieux. Les titans par exemple, c’étaient des hommes assoiffés de pouvoir. Avec un entraînement acharné, ils avaient réussis à obtenir trois poches d’énergie et pour les féliciter, les dieux leur ont accordé une autorité divine dont l’espérance de vie ne diminue jamais. Par contre, certains étaient devenus fous. Ils voulaient encore et toujours plus, devenant des ennemis de l’humanité et des dieux. Pour s’en débarrasser, ces derniers les ont transformés en des choses terrifiantes et extrêmement puissantes ; les Gardiens.
-Vous voulez dire que les Gardiens étaient des hommes au départ !?
-Des hommes corrompus. Ils errent aux environs des portails pour expulser les intrus, qui essaient de s’approcher de leur île. Chaque Gardien doit protéger une île qui lui ait dédiée et ce, au péril de sa vie.
-J’entends cette histoire depuis des années. Râla Yuko. Je pars dormir, j’ai cours demain. Elle disparut dans un éclat de lumière.
-Bonne nuit. Dirent les deux hommes.
-Nous devrions dormir, nous aussi. Conseilla Age avant de s’installer sous sa couette. »
Ansfrid le regarda faire, puis leva son regard vers le ciel. Les étoiles brillaient de mille feux ce soir-là. Il se coucha et se rappela de l’histoire raconté par son maître. Le Gardien qu’il avait rencontré était un humain, dur à croire ! Mais sa pensée fut vite détournée par un nom qui restera ancré dans sa mémoire.
« Eldrid »
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