Des cris, des pleurs, du sang. Voilà en quoi se résumait le cauchemar d’Ansfrid.

Il se leva d’un bond, en sueur. Essoufflé, il essaya de calmer son rythme cardiaque avant de jeter un œil à Aage. Ce dernier était toujours endormi. En même temps, il faisait toujours nuit. Les nuages camouflaient le ciel, signe qu’un orage se préparait.

Ansfrid but une gorgée d’eau, puis quitta sa couette. Depuis son arrivée ici, il dormait mal. Les souvenirs de ses compagnons, le scénario vécu juste avant leur mort, tout lui revenait le soir. Il les oubliait un instant, durant la journée quand il était occupé à s’entraîner. Du moins, il se permettait de les oublier quelques heures.

Il s’en alla de la forêt et partit rejoindre la colline où son entraînement avait commencé. Il s’installa au bord et admira l’horizon, sombre. Il ne voyait presque rien, mis à part la petite plage en dessous de lui. Il resta là plusieurs minutes avant de se décider d’aller dormir. Au moment où il se releva, le vent souffla d’un coup, le tonnerre gronda et la pluie tomba à flot. C’était comme ce jour-là ; le jour de son arrivé. Les souvenirs lui revinrent au galop ; son île, son oncle, sa mère, ses compagnons…Lorsqu’il s’apprêtait à s’en aller pour de bon, il crut entendre un cri. Un cri provenant de la plage. Il revint sur ses pas et vérifia par de-là la colline.

En bas, couché sur la plage, un corps minuscule jonché le sable. Croyant que c’était un enfant du village, Ansfrid accourut vers lui. Il le prit dans ses bras et le secoua, mais l’enfant ne réagissait pas. Pris de panique, il partit vers le village et ne prit pas la peine de réveiller Aage. Il dormait comme une marmotte.

Par chance, le médecin ne fermait jamais. Quel que soit l’heure, quel que soit le jour, il acceptait les malades. De ce fait, Ansfrid fut accueilli chaleureusement dans le cabinet. Il posa l’enfant sur le lit et raconta la situation au soigneur. Ce dernier n’attendit pas longtemps avant de l’examiner.

Maintenant que l’enfant était entre de bonnes mains, Anfrid prit le temps de le contempler. Il s’était avéré que c’était une gamine d’à peine dix ans. Elle avait de très courts cheveux blancs, une peau mate et un signe rectangulaire de chaque côté de ses joues, d’une couleur bleu pâle. Elle portait des habits amples, plutôt colorés, un mélange entre le vert, le jaune, le beige et le bleu. Des blessures et égratignures étaient également présentes sur son petit corps, au niveau de ses jambes et ses pieds, ainsi que ses mains et bras. Perplexe, il attendit le verdict du médecin.

« Cette enfant a dû tellement souffrir. D’après ses blessures, j’en déduis qu’elle a été battue. Certaines des marques ma laissent croire qu’elle a été fouettée, frappée par des coups de fer. Vous voyez la petite égratignure sur son cou ? C’est une trace de couteau.

-Vous voulez dire qu’elle a faillit être égorgée ?

-C’est cela. Cette enfant est louche, je ne pourrais même pas deviner ses origines par son physique. Les peaux mates existent bel et bien, mais ils n’ont pas des cheveux aussi blancs. Par ailleurs, ces dessins sur son visage me disent qu’elle vient d’un village reculé, même sous développé. Qui, de nos jours, se tartinerait le visage avec de la peinture ? Et porterait ce genre de vêtements ? Ansfrid, pour votre sécurité, emmenez-la à Aage. Il saura quoi en faire. Pour l’instant, allez dormir, elle restera chez moi. »

Le lendemain, le vieux sage se leva en s’étirant, un sourire aux lèvres. Il se tourna vers son disciple pour lui demander s’il était prêt à entamer cette nouvelle journée, mais Ansfrid n’était pas présent. Sa couche était pliée et rangée, ses bottes n’étaient pas là non plus. Aage s’apprêtait à ranger ses affaires lorsque la voix de son disciple l’interpella.

« Tu es matinal aujourd’hui. Dis Aage, toujours de bonne humeur.

-On peut dire ça, je dois vous montrer quelque chose, ou plutôt quelqu’un. C’est plus au moins important, d’après le soigneur.

-Que se passe-t-il ?

-Je vous expliquerai en route. Rogue nous attend. »

En chemin, Anfrid lui raconta les évènements de la veille, n’omettant pas les doutes du médecin. Après la description de la fillette, Aage pâlit et avala durement sa salive, mais ne laissa rien paraître. Une chose que son disciple remarqua, ce qui a tiqué sa curiosité. Qui était cette fille ? D’où venait-elle ?

Arrivés devant la maison du docteur Rogue, le vieux sage arrêta Anfrid.

« Quoi qu’il arrive, ne te mêle pas de ça.

-De quoi parlez-vous ?

-C’est un conseil que je te donne, reste ici. »

Puis, il entra, laissant un Ansfrid intrigué. Ce dernier grogna dans sa barbe. Il voulait savoir pourquoi cette gamine provoquait autant d’émotions chez Aage, pourquoi la craignait-il au point de le dispenser ? Malheureusement, il n’obtiendra aucune réponse avant un bon moment. Comme le bon élève qu’il était, Ansfrid s’assit sur le banc à côté de la maison et attendit. Il espérait entendre quoique ce soit à travers la fenêtre, mais rien.

Cela faisait plusieurs minutes qu’il scrutait les passants, essayant de deviner ce qui les occupaient à cet instant. Il s’arrêta sur un petit garçon qui courrait et zigzaguait entre les citoyens, un sac qui avait l’air bien remplit en mains. Il criait à tout le monde de faire attention et lançait des « désolé » timides lorsqu’il percutait quelqu’un. Ansfrid déduit qu’il devait être en retard pour les cours. Un instant qui lui rappela sa tendre jeunesse, où tous ces maux n’existaient pas encore. A l’époque, il y avait toujours eu sa mère et lui, accompagnés de son oncle et sa femme ainsi que ses cousins. Ils vivaient tous en paix et les rires embellissaient leurs existences. Il avait toujours été en retard en cours, avec Walfrid bien sûr, son partenaire de crime et ces deux-là se faisaient toujours réprimander par le cadet. Ce souvenir arracha un sourire sans joie à Ansfrid. Putain, qu’est-ce qu’ils lui manquaient !

« Hé oh ! La Terre appelle Ansfrid ! »

Il sursauta à l’entente de la voix aiguë –trop même- de Yuko. Celle-ci était penchée sur lui, les yeux remplis d’inquiétudes. Depuis son arrivée sur cette île, la jeune fille avait toujours pris soin de lui tant il l’intriguait. Ses blessures, son état, sa perte de contrôle…Elle a été témoin de tout ça lorsqu’elle regardait son entraînement avec son grand-père en cachette. Si on lui demandait ce qui l’impressionnait chez Ansfrid, elle répondrait sans nul doute sa rapidité à se régénérer. Les blessures du jeune homme guérissaient d’une vitesse ahurissante. Ce fut ce côté-là d’abord qui la rendit curieuse à son égard, puis, au fil du temps, elle s’attacha à lui parce qu’il lui rappelait son grand frère qui avait quitté l’île pour vivre de nouvelles aventures.

« Pardon, Yuko. J’avais la tête ailleurs.

-Je vois ça, à quoi pensais-tu ? Dit-elle sans discrétion en s’asseyant à côté de lui.

-A de simples souvenirs qu'il vaudrait mieux ne pas ressasser. Répondit-il vaguement.

-Quel mystérieux ! Arrête, ça ne te va pas du tout. Plaisanta-t-elle en lui donnant un léger coup de coude. »

Ils se regardèrent d’un air complice, Yuko avait compris qu’elle ne devait pas chercher plus loin. Ansfrid avait ses peines et ses blessures qui ne pouvaient, pour l’instant, pas se refermer. Aage lui avait expliqué brièvement, sans rentrer dans les détails, la situation du brun. Au lieu de chercher à comprendre, elle attendrait qu’il vienne s’ouvrir à elle, de son propre chef et elle le réconfortera, elle se le promit.

« En fait, qu’est-ce que tu fais ici, Yuko ? Demanda Ansfrid après un long moment de silence.

-Et bien, je-… »

La jeune fille laissa sa phrase en suspens et regardait le brun dans le blanc des yeux avant de détourner rapidement les siens vers l’autre côté de la rue. Yuko balbutia quelques mots qui ne vinrent pas aux oreilles du jeune homme, ce dernier mit une légère pression sur son épaule, mais elle bondit sur ses jambes et accourut vers la rue qu’elle fixait.

« Yuko ! »

Ansfrid s’apprêtait à la poursuivre, mais le fracas d’une porte le fit tourner rapidement. Rogue fut propulsé hors de la maison, il se retrouva à quelques mètres plus loin. Les passants s’arrêtèrent et regardaient la scène devant eux, mais le médecin leur hurla de se cacher chez eux le temps de régler la situation. N’attendant pas plus longtemps, les citoyens présents dans la place accoururent chez eux, sauf Ansfrid qui avait rejoint Rogue.

« Que s’est-il passé ?! Où est Aage ?! Demanda-t-il rapidement sous l’effet de l’inquiétude avant de foncer à l’intérieur de la maison.

-Ne te mêle pas de ça ! Lui cria le soigneur. Rappelle-toi de ce que t’as dit l’ancien ! »

C’était trop tard, Ansfrid était déjà dans le bâtiment et ce qu’il vit le pétrifia sur place, pourtant ce n’était pas une scène terrifiante. La fillette planait, les sourcils froncés, ses yeux s’illuminait d’une lueur blanche tandis que les symboles tatoués au niveau de ses joues s’étaient éclairés légèrement de la même teinte. Son bras maigre pointait vers Aage, lui envoyant une pression phénoménale au point de se retrouver à terre. A ce moment-là, Ansfrid se sentit faible, comme si ses forces le quittaient petit à petit. La gamine se tourna doucement vers lui, s’apercevant enfin de sa présence, elle tendit son autre bras vers lui, prête à lui envoyer un coup comme elle l’avait fait pour Rogue. Soudain, son regard s’adoucit et laissa son bras en l’air, ses yeux s’écarquillèrent légèrement avant de s’évanouir et de tomber sur le sol. Toutefois, elle ne le toucha pas. Tandis que la pression qui brusquait Aage disparut, un homme d’une longue chevelure écarlate rattrapa la petite fille, désormais endormie. L’inconnu la posa sur le lit et aida le vieil homme à se relever. Aage le remercia avant d’être submergé par la beauté de ses yeux cristallins, ces yeux dont il ne se lassait jamais de regarder, ce sont les yeux de…

« Eldrid ? Chuchota Ansfrid de peur que sa pire crainte ne s’éveille. »

L’inconnu se retourna et fit face au jeune homme. Aucun doute, cette tignasse de feu, cette peau pâle et ces yeux d’une couleur étrange, il les reconnaitrait entre mille ! C’était bel et bien Eldrid.

« Alors comme ça, tu as survécu ? Tu es plu solide que je ne le pensais. Dit le concerné. Je te félicite, ce n’est pas tout le monde qui résiste à ma téléportation.

-Où sont-ils ?! Qu’en as-tu fait ?! Cria le brun, fou de rage.

-Eldrid…Murmura Aage en tirant le titan par le bras.

-As-tu vraiment besoin d’une réponse ? Je crois que tu le sais très bien. »

Ce fut la phrase de trop. Ansfrid cria de peine et de colère avant que sa conscience ne sombre dans le néant. Son corps se teinta de noirceur tandis qu’il commençait à perdre le contrôle, puis, il bondit sur le roux. Ses intentions se lisaient sur ses yeux qui avaient subitement changé de forme, il voulait le tuer. Cependant, son coup n’atteignit pas son ennemi et Ansfrid, ou plutôt la « chose » qui avait pris le contrôle fut propulsée hors de la maison.

« Je vois que tu n’arrives toujours pas à te calmer, Ansfrid ! »

La « chose » ne répondit pas. Elle s’élança une nouvelle fois sur Eldrid, mais au lieu de se retrouver face à l’homme, Yuko fut en face de lui, les larmes aux yeux.

« Pitié, Ansfrid…Commença-t-elle entre deux hoquets, effrayée.

-Yuko, bouge de là ! Paniqua Eldrid qui s’apprêtait à l’éloigner de la bête.

-Je t’en prie…Ne blesse pas mon frère ! Cria-t-elle. »