#8 : Des transports légitimes
Où l'on m'explique qu'il serait préférable que je renonce à ça
Souhaitable que j'entende qu'aimer dans ma situation
Est une épiémotion. Un vertige inutile.
Où l'on m'explique que je suis grande, n'ai plus à redouter
Que je peux me défendre, n'ai plus à me dérober
Pour pleurer. Qu'il est temps de m'aimer.
Où l'on m'explique que mes émotions sont amies
Qu'il me faut accueillir, choyer. Pilotes, boussole.
Et souviens-moi qu'elles m'ont toujours guidée
Qu'elles savent, elles.
Où l'on m'explique que lui n'est que repère.
Un poteau, qui tant qu'il vit là, personne je ne vois.
Que par lui, je n'avance pas.
Je comprends rien.
Vois pas comment un phare pourrait m'empêcher d'avancer
Une étoile, nuée de têtards pourrait dissiper.
Comprends pas comment certains sentiments pourraient être inexacts
Comment certains seraient à suivre aveuglément, certains seulement.
On m'explique que l'aimer est une conséquence
De mon histoire, de ma vie, de mes choix.
Qu'un amour comme ça n'en est pas
Que seuls des amours absurdes sont des transports légitimes.
On m'explique que je ne l'aime pas
Que ce n'est pas lui, que ce n'est pas moi
Que mon élan est illusion, la preuve : je n'ai encore rien dit.
Il ne sait rien et c'est comme ça.
Des preuves je n'en ai pas.
Quelles qu'en soient les raisons
J'emmerde ceux qui osent juger de la valeur de mon sentiment.
Aimer n'est pas forcément le dire
Aimer n'est pas forcément le vivre
A deux comme vous, comme dans les livres.
Mon droit est le choix de subir.
Trouvez celui qui aime sans logique, sans conte ni malédiction.
Trouvez cet illuminé qui aime sans dessein.
Trouvez-le, disséquez-le, on ne sait jamais, vous pourriez avoir loupé un truc essentiel.
Et une fois mort et vous rassurés, expliquez-moi l'amour avec vos mots et critères propres d'oursins secs.
Expliquez-moi les émotions à suivre et celles à sourire
Expliquez-moi les valables à vivre, les stériles à aimer
Par quel ordre absolu couver les vôtres, écorcher les autres ?
Pourquoi faudrait-il les trier ? Comment trier ?
La tâche est trop grande. Injustifiée.
C'est votre monde.
Désormais, en effet, je ressens.
Plus que d'aucuns certainement, et plus que ceux qui gisent pour expliquer.
Je ressens, je vibre avec l'intention d'en faire une vie chaque jour
Accueillir, choyer cette météo contrastée,
Vivre en île chahutée grouillant de sources et de forêts.
Je suis vivante.
Vais pas ficher mes nacres et mes tourbes, mes roses et mes cuirs
Les vivre à m'en nourrir et ne plus vous en parler.
-N.
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