#9 - L'Arbre
La Vie n’est qu’une longue succession de deuils de soi.
Parfois l’écorce brûle plus qu’elle ne mue,
Parfois c’est la chair plus que l’écorce,
Les os, encore, certaines fois.
D’être touchée, meurtrie par tout,
Malmenée, mal à propos, tout le temps,
Hurler, menacer de s’en aller à tout bout de champs,
Pour se convaincre d’être capable vainement
De se choisir, de se chérir, de s’aimer finalement.
Ne pas savoir se protéger,
se sécuriser,
se choisir.
Ne pas savoir, dans les agissements des autres,
Les leurs laisser,
Se tenir solide debout dressée,
Dire à tous je suis là,
Et j’ai le droit.
Dire à ces gens, ta réaction est à toi,
Ta réaction ne me touche pas.
Qu’est-ce que je voudrais savoir faire ça.
Savoir être cela,
Un arbre debout.
Un arbre ancré debout,
Regardant les trains, les vaches,
malmené par la seule hache placée.
Combien voudrais-je que le vent des Hommes
Glisse autour de moi, et sur mes feuilles,
Combien aimerais-je observer sa débâcle,
Ses brisures en volutes charmantes.
Combien rêve-je de ne plus m’arracher du lieu,
Pour fuir, ou me laisser plaquée au sol,
Malmenée, au pied d’un barbelé mauvais.
J’aimerai me tenir debout, juste me tenir debout.
Mais je n’y arriverai jamais.
Debout c’est trop haut,
Et puis c’est trop loin.
Se déplier, en entier ?
Incongru.
Je voudrais me tenir debout,
Etre sûre de ne faire ombre,
Sûre de pouvoir, d’avoir le droit.
Je voudrais me tenir debout,
Parvenir à me dresser,
Ouvrir mes ailes, ouvrir ma voix,
Ou me taire, et rester là, sans broncher,
A regarder, observer que le monde s’adapte.
Ma présence est légitime,
j’ai le droit d’exister.
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