Isabeau Partie 1
Elle regardait par la fenêtre. Les jardiniers s’affairaient sur les pelouses et dans les allées de la propriété, profitant des premiers jours du printemps pour tout remettre en état, après la longue nuit de l’hiver. Il faisait beau, l’air était doux. Isabeau respira profondément, fermant les yeux, s’imprégnant de cette odeur si particulière de la terre après un long sommeil, devenue chaude, prête à porter la vie, sensation qu’elle connaissait depuis l’enfance, mais qui à chaque fois l’étonnait, lorsqu’elle ressurgissait comme par magie, mêlée aux sensations nouvelles qui peu à peu s’affirmeraient jusqu’au pic âcre de l’été.
Son regard remontait l’allée, décrivant une courbe au delà d’un bosquet aménagé à l’anglaise, puis, passant le pont, allait à Combrigal, la vieille demeure de ses parents.
- Vous rêvez Isabeau !
Elle n’aimait pas son prénom. Aussi loin que remontait sa mémoire, elle était Isa. Pour elle, ses deux sœurs, son frère et ses amis, Isa. Depuis bientôt trois longues années pourtant, elle était devenue Isabeau, et elle n’avait pu s’y habituer.
Isabeau revint mentalement dans l’espace qu’elle occupait, ce bureau, au deuxième étage de l’immeuble de verre que l’entreprise, du temps de son père, avait fait construire, tout au fond des immenses jardins de Combrigal, déplaçant les cahutes, les tas de bois et de feuilles mortes où elle sautait enfant, pour bâtir le siège social de ce qu’il convenait certainement d’appeler, désormais, son empire.
- Je suis à vous Martin ! Avouez tout de même que notre beau printemps mérite aussi mon attention. Nous tenons, Martin, parce que nous sommes inspirés. Vos chiffres, vos contrats, ne sont que des habits, des oripeaux qui recouvrent notre âme. Et notre âme à nous, les Combrigal, c’est la beauté, l’émotion. Des soieries aux composites, de la mode ou l’aéronautique aux jardins de Combrigal, quelle différence pour nous ?
Martin sourit. Ces sorties d’Isabeau le réjouissaient toujours, lui rappelant la petite Isa qu’il prenait sur ses genoux, lorsqu’il venait travailler avec son père. Il se souvenait aussi de l’adolescente rebelle, qui plus tard avait choisi d’étudier la philosophie, une façon, qui sait, de dompter sa nature, elle qui avait de toute évidence une âme rêveuse. Mais comment enfermer le rêve dans le concept ? Le vieux Martin, ce vieux lion grisonnant de Martin, se réjouissait de voir le lionceau s’ébrouer sur les pelouses de Combrigal.
- Votre père le voulait déjà ainsi, Isa.
Isabeau regarda son interlocuteur, partagée entre des sentiments contradictoires.
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