Ceci n'est pas une critique de livre

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Je ne sais pas trop où en parler vu que le journal a disparu et que, paradoxalement, les nombreux réseaux dont je fais partie (souvent en mode Casper discret) n'offrent pas de tribune pour ce genre de choses. Donc, je le fais ici, dans mon journal. C'est un lieu qui n'empiète pas sur celui des autres, qui n'imposera pas mes lamentations dans l'espace public. Peut-être que personne ne le lira, peut-être que je retomberai dessus dans six mois, en me fustigeant de m'être laissée aller à écrire ce rant qui défigure mon recueil de fiches de lectures critiques. 

Voilà : je ne ne pensais pas que ça m'arriverait un jour, mais je suis complètement démotivée par rapport à l'écriture. J'ai plus envie. Je continue en mode automatique, parce que je n'aime pas l'idée de laisser des projets entamés en suspens (ce qui, paradoxalement, ne me dérangeait pas du tout quand j'écrivais sans partager mes textes) mais c'est plus devenu un devoir qu'un plaisir. Pareil pour mon blog de critiques, qui est peu suivi et peu lu, mais grâce auquel j'ai commencé à recevoir quelques services presses (5 en un an d'existence, ce qui est pas mal pour un blog hyper confidentiel et peu souvent updaté). Instagram, n'en parlons pas. Je m'en sers pour relayer mes chroniques de lecture, garder le contact avec des apprentis auteurs, faire une veille numérique sur le monde édito et embaucher des bêta-lecteurs, mais chaque post est une torture. Faut dire qu'en tant que membre fringuant de la "team des mamies" je sais pas faire, que je n'ai rien d'intéressant à vendre aux millenials et que je n'ai pas envie de mettre en scène ma vie, par ailleurs peu glamour. L'idée même d'un insta littéraire me parait une ineptie. Je dois pourtant reconnaitre que c'est efficace : c'est grâce à insta que j'ai trouvé des bêta-lecteurs pour relire la toute dernière version de mon roman (je n'avais trouvé de volontaires nulle part ailleurs, même pas sur les forums d'écriture) et c'est encore grâce à insta que j'ai eu l'info pour le speed-editing des Imaginales avant tout le monde, ce qui m'a permis d'être dans les 50 premiers à envoyer le dossier (j'envisage d'ailleurs avec une certaine appréhension de me retrouver à pitcher mon roman - où il est beaucoup trop question de sexe extraterrestre - à une gamine de l'âge de mes étudiants)... tout ça pour dire qu'aujourd'hui, pour espérer exister sur le "marché", il faut passer par ces réseaux, même s'ils facilitent le spleen égotique.

Sauf qu'en fait, les réseaux me pèsent. Même écrire - ce qui était ma plus grande joie dans la vie - me pèse.

Revenons un peu en arrière. Peu de temps après avoir commencé à partager mes textes sur wattpad et Scribay (c'était en juillet 2019), je me suis mis à envisager l'édition. Je me suis rapidement rendue compte que lire beaucoup ne suffisait pas : je ne connaissais pas du tout ce milieu qui, comme tous les milieux socio-professionnels, possède ses réseaux d'influence, ses codes et ses règles. Les gens qui parviennent à se faire éditer maitrisent ces codes. C'est d'ailleurs ce qui différentie un auteur wannabe à un auteur expérimenté. Alors, je me suis inscrite à deux forums d'écriture, mais aussi sur twitter et sur insta dans le but de glaner des infos sur le monde éditorial. J'ai suivi des auteurs déjà publiés, des acteurs du monde de l'édition SFFF comme des bloggeurs, des éditeurs, des chroniqueurs, même des libraires. Plus j'en apprenais, plus je me disais que je pouvais moi aussi "en être". Petit à petit, mes soumissions aux maisons d'éditions se sont affinées. J'ai retravaillé mon manuscrit un bon paquet de fois, mais aussi mon pitch, mon synopsis, avec l'aide occasionnelle de personnes inconnues qui passaient dans mon ciel littéraire comme des étoiles filantes, lumineuses et importantes, avant de disparaitre dans les tréfonds du net : les relecteurs sur Scribay, tout d'abord, mais aussi quelques éditeurs, des gens sur les forums, qui, comme moi, cherchent à se faire publier. J'ai eu des moments de désespoir et de doute, comme cette fois où un juge de concours littéraire amateur a descendu mon roman en m'accusant de plagier des grosses franchises bien viriles de space-opera ou de dévoyer ce "genre noble qu'est la SF" avec ma romance impudique. Mais j'ai eu aussi des moments d'espoir, comme ce printemps dernier où j'ai franchi l'étape du redouté comité de lecture (les lecteurs les plus sévères du monde, vous pouvez me croire !) chez trois ME le même mois, et qu'une éditrice m'a contacté pour me dire qu'elle voulait publier mon roman. Je suis alors entrée dans une grosse phase de doute : cette éditrice spécialisée dans la romance contemporaine et feel-good avait-elle vraiment lu mon roman, qui se passe dans le monde cruel d'un futur impitoyable ? Allait-il trouver son lectorat dans sa ME pastel et rose bonbon ? Finalement, après plusieurs semaines de tergiversations et de discussions sur les forums (où l'on m'a majoritairement conseillé de reculer), j'ai décidé d'attendre. Des anonymes de "bon conseil" m'ont assuré que je prenais la bonne décision, que je pouvais viser plus gros, que je tenais un bon filon, que la gloire m'attendait peut-être au tournant. À ce jour, j'ai contacté plus de 36 maisons d'édition : je crois avoir fait un bon tour du paysage éditorial français en SFFF ou romance fantastique. Les trois-quart ne m'ont jamais répondu. Et à côté de ça, je vois tous les jours des annonces de publication d'un nouvel auteur qui a la moitié de mon âge chez ces mêmes ME, ou d'une traduction d'une saga anglo-saxonne qui mêle romance un peu chaude et SFFF d'un point de vue féminin sans que ça ne gêne personne. Depuis un an, j'oscille entre le "y a pas de raison que tu n'y arrives pas" et le "tu n'es pas au niveau". J'ai perdu tout plaisir à écrire : toutes mes sessions se sont orientées vers un but concret, en essayant de construire mes textes de façon à ce que ça puisse plaire à un lectorat hypothétique. J'ai même fait une dépression. Et je sais par expérience qu'à moins que je ne laisse pas tout tomber pour repartir dans ma vie d'avant, ça ne va pas s'arranger. Il y a une bonne dizaine d'années, le jeu de rôle en ligne sur Tumblr m'avait amenée à la même situation. Après l'euphorie de la fusion virtuelle avec des passionnés sur la même longueur d'ondes (des gens que je ne rencontre jamais irl) et l'explosion de créativité qui a suivi, j'avais basculé dans un monde imaginaire aux murs de miroir déformants dont il a été très dur de sortir. Il m'avait fallu pour ça disparaitre brutalement des réseaux dans lesquels j'étais impliquée et tout laisser tomber (les gens dont j'étais devenue si proche de l'autre côté de la terre n'ont jamais su ce que j'étais devenue, et vice-versa).

Cela fait quelques mois que je suis beaucoup moins active sur Scribay et Wattpad : avoir été beaucoup bêta-lue m'a convaincu que je n'avais moi-même aucune légitimité pour juger les textes des autres (je ne le fais plus que sur les romans publiés, du point de vue du client) J'ai même arrêté de mettre à jour certaines histoires, qui sont pourtant terminées depuis belle lurette et dorment sur mon ordinateur comme des princesses en attente du baiser. Comme bien d'autres ayant atteint cette phase sur les plateformes, je me dis : à quoi bon ? On écrit avant tout pour soi. C'était ma philosophie, en tout cas. Écrire pour les autres, et de manière professionnelle, c'est totalement autre chose. Ici sur Scribay, vous le savez tous. Qui sur ce site n'a jamais été frustré de ne pas avoir de lecteurs, de ne pas voir son roman édité ? Et après ? Qu'est-ce que ça va changer dans notre vie ? Rien, dirait-on. Mais il y a un autre sentiment que vous connaissez tous ici, hormis la frustration : c'est le bonheur incommensurable de constater que cette petite partie de notre univers intérieur que nous dissimulons dans la vie de tous les jours a réussi à toucher un inconnu, quelque part sur Terre. Ce sentiment annihile tous les doutes et pousse, malgré tout, à continuer.

Au fil des mois, je me suis fait une raison : je sais bien que je ne serais pas le nouveau Ruocchio ou la nouvelle Tanith Lee. J'ai compris également que je ne serais sans doute jamais adoubée par une ME, petite ou grosse (pas avec le Vaisseau Noir, en tout cas) Le succès - tous ceux qui ont fait de la compétition sportive le savent - c'est comme une odeur qu'on renifle, une molécule volatile qu'on sent arriver : à partir du moment où la "gagne" est là, elle ne fait que s'accumuler. Le contraire est vrai aussi. Bien sûr, je n'ai pas à me plaindre : j'ai eu quelques petites réussites. Mais j'ai compris également que ces romans que je donne à lire ici resteront au fond du placard et que si je veux faire partie des élus un jour, il va falloir que je passe la vitesse supérieure et revoie complètement mon style, trouve ma voix. Est-ce que j'en ai envie ? Est-ce que je veux vraiment qu'écrire ne soit plus un plaisir mais un boulot, une corvée ? Je ne sais pas. Je ne pense pas. C'est déjà extraordinaire de pouvoir partager ces ébauches imparfaites de ce que j'ai au fond du cœur ici, avec vous. Une chance énorme. Les auteurs d'avant internet n'avaient pas cette opportunité (bon, ils se faisaient publier plus facilement, me diriez-vous).

Fin du rant. Je pense qu'on est tranquille pour six mois, au moins !

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