Chapitre 1
L'homme a créé Dieu deux fois. La première fois parce qu’il en avait besoin.
La deuxième fois sans même s’en apercevoir.
Le robot prit le cadenas. Après quelques secondes d’hésitation, il le tourna dans le bon sens. De son autre main artificielle, il se saisit de la clé posée devant lui sur la table qu’il inséra dedans, et la fit tourner pour l’ouvrir avec la facilité d’un individu habitué à cette manipulation.
Les journalistes présents à la conférence n’en revenaient pas. L’objet que le robot tenait ainsi dans ses mains venait de la poche de l’un d’entre eux. L’équipe qui avait élaboré cette machine ne pouvait pas le savoir à l’avance. Le professeur Osada, l’homme responsable de ce projet, avait demandé à quelqu’un de l’assistance de proposer un objet quelconque et de demander à son robot d’effectuer une tâche simple avec.
Les robots auto-apprenants n’étaient pas une nouveauté au Japon. Certains d’entre eux, en forme d’araignée, avaient ainsi réussi à apprendre à marcher seul, et même à s’adapter à une nouvelle forme de déplacement si on leur démontait une, ou même plusieurs pattes. Mais là, le professeur de robotique et son équipe basée à Osaka, venait de franchir un nouveau pas en termes d’intelligence artificielle.
- Pouvez-vous nous expliquer comment il s’y prend, professeur Osada, lança l’un des journalistes. L’avez-vous programmé pour accomplir des actions simples comme ouvrir un cadenas, ou quelque chose de similaire ?
L’homme prit son temps avant de répondre. Il savait que l’explication qui allait suivre susciterait des réactions.
- En réalité, nous ne l’avons pas vraiment programmé. En tout cas pas pour accomplir un travail particulier. Nous lui avons juste inculqué un programme très sommaire à ses débuts.
Un murmure se fit entendre dans l’assistance.
- Nous lui avons plutôt donné des facultés. La possibilité de modéliser sa position dans l’espace, mais aussi certains sens comparables à ceux des êtres vivants : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, ainsi que la capacité d’analyser par essais et échecs successifs les conséquences de ses actes. Des algorithmes de programmation qui n’ont rien de révolutionnaire en somme...
- Cela ne suffirait pas pour s’adapter aussi rapidement à une situation nouvelle ! Pour accomplir une besogne inconnue sur une simple demande formulée à l’oral.
- Oui. La nouveauté réside dans le fait qu’il est aussi relié en temps réel au réseau mondial, à l’Internet. Il est capable d’explorer de lui-même toutes les possibilités liées à cette grande banque de données que représente le web. Et nous lui avons appris des choses très simples. Comme de lever un bras. Sans lui expliquer qu’il possédait un bras ni comment il pouvait le lever, mais en lui soulevant nous-même le bras.
- Mais comment peut-il faire le tri dans les informations ?
- Il le fait progressivement. Nous avons levé nous-même son bras au début. Pour d’autres actions, il essaye différentes possibilités, et nous le laissons faire lorsqu’il parvient à réaliser ce que nous attendons de lui. S’il s’engage dans la mauvaise voie, nous le stoppons. Comme en lui retenant le bras. Au début, nous nous sommes contentés d’intervenir physiquement dans ses apprentissages. Son niveau de force et de vitesse étant volontairement comparables à ceux d’un être humain plutôt faible, cela n’a pas été difficile. Il est aussi doté de capteurs de retour de force sur chacun de ses membres. Cela lui permet de ressentir le contact avec le monde extérieur. Et surtout, depuis des mois, nous multiplions les situations les plus variées avec lui. Nous lui parlons également beaucoup, et nous lui montrons nous-même comment faire face à plein de situations différentes. Nous avons pris notre temps, tout le temps qu’il fallait, même pour les apprentissages les plus simples au début. Cela a nécessité beaucoup de patience et d’énergie aussi, mais nous y sommes arrivés.
- Vous êtes en train de nous dire que vous lui apprenez à vivre, comme vous le feriez avec un enfant.
- Oui.
- Cela a déjà était tenté sur différentes machines par le passé, mais sans succès professeur. Pour y arriver la puissance de calcul devrait être énorme, puisqu’elle reproduirait le cerveau humain. Un cerveau capable de s’autoprogrammer. Avez-vous mis au point un nouveau processeur pour y parvenir ?
- Il n’y a pas de nouveau processeur.
- Comment ça ?
- C’est juste un programme. Un code, en réalité. Un code, plutôt intrusif… Une sorte de « virus informatique », même si je n’aime pas ce mot. C’est comme une collaboration géante sur la toile, une collaboration de neurones. La structure de son cerveau est formée des liaisons entre tous les ordinateurs et tous les objets connectés éparpillés dans le monde. Il y en a des milliards, et ce nombre est en progression constante. Ses connexions à lui aussi augmentent en fonction de ses besoins de calcul. Comme s’organisent les cellules de notre cerveau au fur et à mesure des interactions avec le monde extérieur. Donc il est partout, et il n’est nulle part précisément. Son cerveau s’adapte à chaque situation nouvelle en créant des connexions supplémentaires sur le réseau. Et en les supprimant quand elles ne sont plus utilisées. Comme pour les êtres vivants, un cerveau plastique qui évolue au fil des besoins et des stimulations. Ce cerveau est capable d’apprendre et de se développer de lui-même en créant de nouvelles connexions ou en les renforçant, et il est capable d’oublier et même de régresser. En tout cas nous l’avons conçu ainsi.
- C’est un peu comme un individu avec un cerveau de la taille de la planète Terre, et dont le corps se trouverait ici, dans cette pièce ?
- Voilà, vous avez tout compris.
La déclaration fut suivie d’un silence.
- Et comment avez-vous appelé cette nouvelle intelligence artificielle ?
-Masato.
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