Chapitre 3
Les mois qui suivirent, j’entamais de longues recherches et théories sur ce qui pouvait me permettre de saisir et de démontrer ce phénomène. Jusqu’à ce rendez-vous, bassement physiologique, qui me raccrocha à la réalité du quotidien. À l’hôpital, je regardais fixement la vidéocapsule dans le creux de ma main. Face au gastroentérologue, je scrutais l’engin miniaturisé sous tous les angles. Émerveillé devant tant de technologies, j’avais mille et une questions sur cette prouesse d’ingénierie.
Pensant répondre à mes interrogations, le spécialiste me donna les précautions d’usage de l’appareil enregistreur que je devais accrocher en bandoulière durant toute la journée. Le docteur précisa l’heure de mon retour à l’hôpital pour récolter les données de l’appareil et continua à m’abreuver de son protocole en détaillant élément par élément les moyens utilisés. Ce déploiement médical illustrait mon état. Ma santé prenait la tangente et ces problèmes n’étaient peut-être que le début d’une série dont on connaissait déjà la fin. Dès lors, une question, la seule, s’imposa à moi : aurais-je suffisamment de temps pour percer ce mystère ?
Le gastroentérologue fut appelé. Il s’excusa avant de s’absenter, me laissant seul dans son cabinet avec un verre d’eau et le top départ pour démarrer l’enregistrement.
Lorsqu’il revint, je m’étais résigné face à la réalité qui était la mienne. Il fallait que je fasse avec.
La pilule était dure à avaler. Mais je l’avalai tant bien que mal.
Ici, la belle couleur miel du sol a triomphé de l’amoncellement de papiers qui avaient pris place. Je suis resté de longs mois dans cette pièce, au beau milieu d’un chaos de chiffres, de relevés, de calculs qui en recouvraient toutes les surfaces. Oui, Irène, je sais que j’ai abusé en négligeant autant l’appartement. Mais il me fallait étudier ce phénomène après avoir compris que ces disparitions n’étaient pas le produit de mon imagination.
Mes journées, mes nuits étaient exclusivement consacrées à cette quête. J’avais ouvert le canapé-lit et dormais ici même, parmi les ouvrages spécialisés, feuilles de notes et chemises cartonnées. Des milliers de documents avaient envahi toutes les surfaces planes, meubles compris. Deux paperboards se dressaient devant la cheminée et un grand tableau blanc magnétique recouvrait l’estampe accrochée au mur. C’était la seule et unique paroi à être épargnée ; sur toutes les autres, j’avais punaisé des séries de grandes planches papier qui, juxtaposées, étaient noircies de formules intermédiaires ou de calculs de topologie. Hélas, à la relecture de certaines combinaisons, j’ajoutai parfois des modifications au marqueur sans me soucier des limites des feuilles, débordant sur le mur jusqu’aux moulures de stuc qui s’érigeaient comme ultimes remparts.
Toutes ces terminaisons mathématiques qui parasitent aujourd’hui la blancheur des parois disparaitront, après un coup de peinture, semaine prochaine. Et moi avant.
J’ai aimé cette longue période de recherche, laborieuse et intense. Elle avait su me replonger dans mes années de fac. Avant que je n’entame ma carrière de prof. Avant que je ne croise ton chemin. J’étais alors pris de passion pour les maths appliquées à la mécanique quantique. Après une sérieuse mise à jour nécessaire pour combler l’écart des 40 ans qui séparaient mes cours d’universitaire des travaux des mathématiciens d’aujourd’hui, je démarrai mon cycle d'études. Je mettais en rapport congruences, développements asymptotiques et analyses combinatoires pour trouver la formule qui permettait de traduire ce que je voyais de mes propres yeux.
Des théories que je confrontais à la réalité à partir de données tangibles. Le poids moyen de chaque race de poisson, la température de l’eau, son indice pH, le volume total de l’aquarium ou encore l’aire de passage sous le portail firent partie des préalables à ma démarche. Je pus ainsi calculer la vitesse de nage arrière des poissons jusqu’à leur disparition et combiner ces résultats avec la salinité de l’eau, l’heure exacte de leur évaporation, la position géocodée de mon appartement et même, le calendrier lunaire.
Mais le véritable tournant de mes recherches se produisit en revenant de l’hôpital. Plus déterminé que jamais pour comprendre le phénomène, je saisis tous les atouts que j’avais en main pour réaliser une expérience inédite. Après quoi, ce que je ressentais depuis toujours en mon for intérieur se révéla être une vérité scientifique. Rien ne disparait totalement sans laisser de trace, Irène. Je le savais. Je l’avais vécu et je venais de le mesurer. Je me sentais libre d’aller plus loin. Même si les regards extérieurs n’étaient que critiques ou incompréhensions. Tous les regards.
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