Chapitre 4

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  Avec le recul, aujourd’hui, je comprends la réaction de Sophie ; son inquiétude. Mais lui expliquer l’objet de mes recherches ou pire encore, ce que j’avais vu, aurait précipité son jugement. J’avais bien tenté de la mettre sur la voie, le jour où elle me rendit cette autre visite. Mais tu la connais aussi bien que moi, Irène. Quand elle a une idée dans la tête… À bien y réfléchir, son avis était déjà tranché ce jour-là.

Sitôt entrée, elle avait laissé tomber son sac.

— Mais Papa, qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?

— Rien. Je cherche des informations.

— Papi, tu fais des cours ? demanda le petit bonhomme sans plus savoir où donner de la tête.

— Jules, prends ton smartphone et va dans le couloir s’il te plait, intervient Sophie, les yeux errant dans le salon, noyés dans le fatras de feuilles qui inondait la pièce. Des informations ? Mais, mais quoi ? Lesquelles ?

— Je reprends mes études.

— Quoi ? Tes… tes études ? Tes études de quoi ?

— De maths, bien sûr ! lui répondis-je, en soulevant un des premiers brouillons au sol qui en recouvrait un autre. Le jour de leur visite, je cherchais l’addition d’endomorphismes que j’avais calculés au début de mes recherches et que je comptais reprendre.

— Tu dors ici ? T’as pas retrouvé les clefs de la chambre ?

— Bien sûr que j’ai les clefs. Elles sont toujours dans ma poche.

— Mais… T’as déplié le canapé-lit !

— Parce que c’est plus pratique. Si j’ai une idée…

— Et tous ces bouquins par terre ?

— Ah… ça, c’est collector, lui répondis-je en ramassant mon encyclopédie des mathématiques. Spontanément, je lus à voix haute un passage de Galilée, en postface de celle-ci, pour mieux la convaincre de ma démarche : « On ne peut comprendre l’univers si d’abord on n’apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage math… »

— Les Post-its sur les vitres ! Sur les aquariums… Tes poissons ?!

— Y a plus de poisson.

— Et t’as plus d’aquariums non plus dans l’entrée, papi ?

— Exact Jules. Comme il n’y avait plus de poisson…

— Tous les poissons, ils disparaissaient ?

— Jules ! Je discute avec papi. Profites-en pour regarder ta conjugaison sur ton smartphone, s’il te plait. Il n’y a plus de poissons. L’action est précise et achevée. Donc, ils ?

— Ils ont disparu.

— C’est ça, confirma-t-elle en saisissant une des premières notes à ses pieds. Un tableau de données.

— Oui, ta mère a presque raison, continuais-je, amusé et obnubilé par cette suite de courbes que je cherchais.

— Papa, Jules apprend le passé à l’école et il a du mal à faire la différence entre passé composé et imparfait. Alors s’il te plait…

— Bien sûr. Mais, réfléchi un instant à la phrase. S’« ils ont disparu », ce n’est plus le cas dans le présent. Et si quelque chose peut disparaitre, il faut alors entendre que cette chose est apparue ou réapparaîtra.

Un silence s’imposa. J’arrêtai de scruter le sol et de soulever mes dossiers un instant. Sophie semblait prendre peur. Sa petite moue renfrognée faisait des soubresauts. Ses yeux s’embuèrent. Elle me regardait fixement, avec peine et détachement.

— Sophie… Je voulais juste m’amuser avec les mots et leur logique.

— C’est maman, c’est ça ? Papa, c’est normal.

— Non non. C’est pas ça. Ta mère… j’y pense tous les jours. C’est comme si elle était toujours avec moi. Finalement, Irène non plus, elle n’a pas vraiment disparu.

— C’est tes résultats, alors ? Ils sont pas bons ?

— Je ne sais pas. La capsule n’a pas marché.

— Comment ça ? Tu l’as prise au moins ?

— D’après le médecin, c’est un problème de caméra. Mais je vais bien.

Elle se contenait. Je m’approchai d’elle. Je voulais la prendre dans mes bras quand mon pied glissa sur des feuilles. Elle me rattrapa. Puis dégagea le tas de notes sur lequel j’avais glissé. Les informations que je cherchais, précisément !

— Super ! Tu les as trouvées. Merci ma…

— T’allais tomber ! Tu vas te faire mal en butant sur… sur tous ces putains de livres ! Toutes ces feuilles, là !!! Mais merde, papa, qu’est-ce que tu fous !!? Je comprends pas ! Je te comprends plus !

Elle fondit en larmes. Je la pris dans mes bras. On resta un bref moment l’un contre l’autre. Je levai les yeux au ciel et fis un sourire de réconfort à Jules qui était resté dans l’entrée. Il me le rendit. Puis Sophie se raidit à nouveau.

— Bon, papa… j’étais passée dans le coin pour te déposer quelques courses et te parler d’un sujet important. Visiblement, c’est pas le moment. Je repasserai.

— Si tu veux. Mais ne t’inquiète pas. Je vais bien, insistais-je, tout en voyant que je parlais dans le vide. Eh, regarde-moi : ma tête va bien. Je ne débloque pas.

Elle ramassa son sac et prit un mouchoir pour s’éponger les yeux.

— Ok. Ce que j’ai ramené, je te le dépose dans la cuisine ou elle est dans le même état ?

— Euh… oui, laisse-les là, c’est préférable. Je vais les ranger moi-même.

— Bien. Ta chambre, c’est pareil ? Ça fait des mois que je n’y ai pas mis les pieds.

— C’est un autre style, mais tu ne l’aimeras pas plus, confirmais-je avec un humour très personnel qu’elle ne partagea pas.

  Elle me fit une bise, repartie avec Jules et la conviction que je n’avais plus toute ma tête. Cette visite impromptue marqua un tournant pour ma fille. Elle était venue me parler de leur projet outre-Atlantique et voulait me faire part de son hésitation à se séparer de moi de plusieurs milliers de kilomètres.

En repartant d’ici, elle vit la séparation comme une solution.

Elle revint deux semaines après, seule, pour évoquer New York. Et les Alizés.

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