Chapitre deux : Je suis sans arme./Inermis sum.
Je venais de descendre la dernière marche de l'escalier et je me dirigeais, le cœur lourd, vers cet homme qui m'avait acheté. Une fois la dernière marche franchie, je traversai le grand hall et je me figeai en le voyant assis sur le bord de la fontaine. Je ne m'attendais absolument pas à tomber sur lui si rapidement. Je pensais qu'il serait dans un grand bureau élégant et puant la richesse pour me faire passer un entretien et pas nonchalamment installé en plein dans la cour centrale, la main dans l'eau, sa veste retirée, paraissant plongé dans ses pensées. Alors que je le détaillais en ce court instant, il me parut presque inoffensif et je pouvais admettre que cet homme était beau, vraiment beau. Alors pourquoi acquérir un esclave pour son plaisir ? Avec son nom, sa richesse et son physique, il ne devait pourtant pas manquer d'occasions d'avoir ce genre... de relations. Tout le monde devait être à ses pieds...
Il dut sentir ma présence ou m'entendre arriver car il se tourna vers moi et son regard me parcourut, me provoquant un frisson de dégoût. Je ne voulais pas qu'il me regarde de cette manière ou encore pire, qu'il essaie de me toucher... La colère mélangée à la peur montait en moi mais je ne devais pas le montrer. Il ne fallait pas que je m'attire des ennuis, pas déjà... Il sembla satisfait de ce qu'il voyait et un léger sourire, toujours avec cette petite pointe moqueuse, naquit sur ses lèvres. Ses yeux plongèrent alors dans les miens et ne me quittèrent plus, puis il se leva et se dirigea vers moi.
Mon cœur se mit alors à battre la chamade, j'hésitais à reculer mais je savais que je ne pouvais pas me sauver, pas maintenant. J'avais vu tous les hommes qui gardaient cette demeure et pour le premier jour où j'arrivais en ces lieux, je savais également que mon nouveau dominum[1] serait sur ses gardes en ce qui me concernait... Si je voulais avoir une chance de pouvoir m'enfuir, je devais bien étudier cet endroit, trouver une cachette ou un accès isolé qui n'était pas surveillé, trouver également le meilleur moment, un moment où il y aurait moins de gardes et où cet homme ne serait pas présent... Oui, pour l'instant, il était trop tôt pour cela si je voulais réussir mon coup, cette fois. Je voulais être libre, coûte que coûte.
Il ne s'arrêta qu'à quelques centimètres de mon corps et leva une main qu'il commença à passer dans mes cheveux mais mon réflexe fut d'échapper à son contact et de reculer brusquement. Sa main resta suspendue un instant.
-Tu n'aimes pas être touché, n'est-ce pas ?
Pour seule réponse, je tournai la tête de droite à gauche. Je l'entendis soupirer.
-Je n'ai pas encore entendu le son de ta voix. Quel est ton nom ?
J'hésitai un petit instant et je me décidai à lui répondre. Ce n'était pas dans mon intérêt de lui résister pour quelque chose d'aussi futile pour le moment.
-Je... m'appelle Nathan Roze.
Ses yeux se mirent à briller.
-Nathan, c'est un joli prénom. Roze... Cela sonne comme les fleurs que tu as l'air de tellement aimer, me dit-il dans un sourire.
Il me dévisagea encore durant de longues secondes avant de me dire de le suivre jusqu'à son bureau. En entrant dans la pièce, je me dis que je ne m'étais pas trompé sur mes attentes car son bureau correspondait à ceux que j'avais déjà vus : grand, luxueux, aux couleurs sombres et illuminé par une énorme fenêtre. La différence que je pouvais noter était l'absence totale de photos. Et si je me fiais à ce que j'avais vu de la demeure jusqu'ici, il n'y avait aucune photographie de posée sur un meuble ou d'accrochée sur les murs. Non, rien... Et puis, il n'y avait pas que cela, ce qui me frappait en y pensant, c'était que cette maison manquait de chaleur, elle paraissait somptueuse et froide à la fois. Je commençais à me poser des questions. Était-il comme ces pervers qui m'avaient acheté ou... était-il différent ?
Arrête d'être naïf, Nathan ou tu vas encore être déçu !
-Bien. Assieds-toi, m'ordonna-t-il en me montrant le siège devant le bureau.
Il s'assit en face de moi, emplissant la pièce de sa carrure. Il était vraiment imposant. Son odeur vint jusqu'à moi. Il sentait... bon. Un parfum d'homme mélangé à son odeur à lui. Oui, c'était agréable. Et surtout, ça me changeait de l'odeur habituelle de moisi de la pièce dans laquelle j'étais enfermé ou encore de l'odeur répugnante de sueur de mon esclavagiste...
-Alors... Je connais ton âge, ton nom... À combien de dominorum[2] as-tu appartenu ?
Combien ? Bonne question... J'étais devenu un esclave quand j'avais 15 ans. Lorsque le monde avait changé, je n'avais que 9 ans. Mon père occupait alors un poste important dans une Université. Il avait écrit et publié des livres réputés sur l'antiquité et le Gouverneur Wolf qui connaissait son travail, avait fait appel à lui pour mettre en place les nouvelles lois qui allaient gérer notre société. Au début, ma famille avait donc été à l'abri de sa folie. Malheureusement, les choses avaient fini par changer...
Lorsque mon père s'était réellement rendu compte de la manière dont son travail et ses études servaient le Gouverneur, il avait essayé de démissionner mais le tyran n'acceptait pas le rejet... En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, je fus enlevé à mes parents et remis au réseau d'esclavage mis en place une fois qu'il avait pris le pouvoir. C'était la punition de mon père. Le Gouverneur lui avait laissé ma mère et ma sœur, ma chère petite sœur, et je devinais sans peine que la menace planait toujours sur lui, une menace qui concernait sûrement ma sœur si mon père ne lui obéissait plus...
Depuis, j'avais été acheté plusieurs fois mais combien exactement ? Parfois, je ne restais que quelques jours chez mon dominum[3] et parfois, quelques semaines...
-Tu ne le sais pas, n'est-ce pas ?
En entendant sa voix grave, je sursautai et relevai les yeux vers lui.
-Ce n'est pas grave. En quelque sorte, tu m'as répondu. Je devine qu'il y a eu de nombreux dominos[4]... Depuis quel âge es-tu dans le réseau ?
-J'avais 15 ans.
Il me regarda un moment avant de reprendre :
-Je devine également que tu n'as pas été obéissant pour avoir eu tellement de dominorum[5] que tu n'arrives pas à t'en rappeler le nombre...
Sa voix avait une intonation dure, tout d'un coup.
-Je vais mettre les choses au clair dès maintenant. Si tu m'obéis, tu auras une vie assez agréable et confortable, je ne suis pas du genre sadique à aimer faire souffrir mes esclaves. Par contre, je suis exigeant et j'aime que l'on m'obéisse, alors si tu me déçois, que tu tentes quoi que ce soit qui ne serait pas bon pour toi, tu seras puni en conséquence et crois-moi, je te ferai regretter tes mauvais choix... Est-ce que c'est clair ?
Son regard était si dur en cet instant que mon cœur battait à toute allure et mon ventre se crispait. Je me sentais encore plus prisonnier, désormais. Mon espoir de pouvoir partir rapidement d'ici s'envolait avec ses paroles. Mais... Je devais garder espoir ! Tout n'était pas fini ! S'il me traitait bien, peut-être... Oui, peut-être que j'aurai une chance de pouvoir m'échapper plus tard, lorsque sa surveillance serait un peu relâchée ! Il fallait que je garde espoir. Je voulais revoir ma famille, leur dire que j'étais toujours en vie. Je me souvenais encore avec précision du jour où l'on m'avait enlevé aux miens. Ma mère pleurait et criait aux hommes qui me tenaient de me lâcher, et mon père suppliait mais rien n'y avait fait. Le Gouverneur ne revenait pas sur ses décisions, il voulait faire de mon père un exemple et être obéi sans contestation.
En sentant une main m'empoigner fermement le menton pour lever durement mon visage, je sursautai violemment. Des yeux noirs, durs et sombres comme la nuit, plongèrent alors dans les miens. J'étais si absorbé dans mes pensées que je ne l'avais pas vu s'approcher de moi !
-Je t'ai posé une question. Est-ce que tout est clair ou dois-je déjà te faire une démonstration de la manière dont je punis les personnes qui me déçoivent ?
Je déglutis. Sa voix était dure et menaçante.
-Non... C'est... très clair.
Il me regarda encore un moment, détaillant mon visage puis, paraissant satisfait, me relâcha et se redressa mais au lieu de repartir s'asseoir, il resta proche de moi, en s'appuyant contre son bureau, ce qui me mettait très mal à l'aise. J'étais sûr qu'il le faisait exprès...
-Bien. As-tu des compétences particulières ? À quoi t'assignaient tes anciens domini[6] ?
Je baissai la tête et rougis violemment. Que devais-je répondre ? Il sembla s'apercevoir de ma gêne car il reprit la parole.
-À la vente aux enchères, il a été dit que tu étais pourtant vierge... Devais-tu satisfaire les désirs de tes dominorum[7] d'une autre manière ?
Quoi ? Je relevai la tête brusquement et plongeai mes yeux dans les siens. J'étais choqué de ce qu'il suggérait et plus rouge qu'une tomate bien mûre !
-Non ! Je... Je n'ai pas d'expérience dans ce domaine ! Mais... les domini[8] qui m'achètent ne me voient que comme un esclave destiné à leur plaisir et ils le font toujours dans ce but... Ils ont tous ou presque, tenté quelque chose avec moi mais ma résistance ne leur a pas plu et jusque-là, j'ai eu la chance qu'ils ne me forcent pas plus qu'à subir leurs attouchements répugnants... finis-je en baissant les yeux, je me sentais si humilié de devoir raconter tout ça.
Le silence tomba durant de longues secondes et je n'osai pas le regarder, je gardai mes yeux baissés vers le sol. Allait-il me frapper en sachant que je ne m'étais pas laissé faire par mes anciens dominis[9] ? Alors que j'étais tendu et que je m'attendais à ce qu'il m'attrape violemment et me crie dessus, je l'entendis bouger et faire quelques pas. Il s'éloignait de moi ?!
-Les questions sont finies pour aujourd'hui. Je présume que tu n'as pas dû manger depuis un moment, alors suis-moi.
Quoi ? Je relevai la tête et le regardai avec étonnement, ce qu'il dut remarquer mais en voyant que je ne bougeais pas, j'aperçus bien vite une lueur de colère briller dans son regard, alors je me levai rapidement et le suivis. Sa patience avait l'air assez limitée... Il me mena jusqu'à la cuisine et sortit du frigo un plat de ce qui ressemblait à des pâtes à la bolognaise. Rien que de le voir me donnait envie. Depuis quand n'en avais-je pas manger ? Impossible de me le rappeler...
Il le passa au micro-ondes avant de sortir deux assiettes et des couverts et de les poser sur la table devant moi qui devais le regarder avec des yeux ronds comme des soucoupes ! Je n'avais jamais mangé avec un de mes dominis[10]. Jamais ! Et en plus, il... il mettait la table ! !
Mon étonnement devait vraiment se lire sur mon visage car je l'entendis soudainement rire. Cet homme me regarda un moment, le temps que notre plat soit réchauffé mais ne dit rien. La sonnerie finit par retentir, rompant ce moment gênant.
-Assieds-toi.
J'obéis et il vint déposer l'assiette devant moi avant de s'installer en face. J'attendis qu'il commence à manger avant de faire la même chose. En sentant la première bouchée dans ma bouche, je ne pus m'empêcher de fermer les yeux et de soupirer de plaisir. Quand je les rouvris, je regrettai aussitôt ma réaction. Cet homme était en train de me regarder et je n'aimais pas sa manière de le faire. On aurait dit qu'il y avait comme du... désir dans ses yeux mais cela avait été si rapide, je n'en étais pas si sûr. Alors que j'avalais le contenu de mon assiette avec délectation, je réalisai soudainement qu'à part les hommes de main ou gardes du corps de cet homme, je n'avais vu personne dans cette demeure. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il n'avait pas d'autres esclaves que moi ? Ni même de domestiques ? S'en était-il débarrassé ?
-Tu ne m'as pas complètement répondu tout à l'heure. Quelles sont tes compétences ? Que sais-tu faire ? Sais-tu cuisiner ? Faire le ménage ? Ou autre ?
Je réfléchis quelques secondes avant de répondre.
-Je sais faire à manger, surtout les desserts. Je peux faire le ménage aussi. Mes autres domini[11] m'assignaient souvent aux tâches ménagères.
Je le vis hocher la tête.
-D'accord. Pour commencer, tu aideras au ménage et à la cuisine. Plus tard, lorsque tu m'auras prouvé ton sérieux, je t'assignerai sans doute à d'autres tâches comme le jardinage ou... t'occuper des fleurs.
Les fleurs ? Je ne pus empêcher mes yeux de briller en entendant cela et je le vis sourire légèrement. Il fallait que je fasse attention ! Je devais toujours me tenir sur mes gardes !
N'oublie pas, Nathan, n'oublie pas tous ces hommes qui ont essayé de te violer ! Ne fais confiance à personne si tu veux survivre ! N'oublie pas. Non, n'oublie pas...
Lorsque le repas fut terminé, il me conduisit à ma chambre en m'interdisant d'en sortir avant le lendemain matin et en me donnant l'heure à laquelle je devais me lever, puis il me laissa à mon grand soulagement. Il n'avait rien tenté. Même si je savais que ça n'était qu'une question de temps avant qu'il ne le fasse, je devais admettre que cet homme était vraiment étrange...
[1] Accusatif singulier de « dominus »=maître.
[2] Génitif pluriel de « dominus »=maîtres.
[3] Accusatif singulier de « dominus »=maître.
[4] Accusatif pluriel de « dominus »=maîtres.
[5] Génitif pluriel de « dominus »=maîtres.
[6] Nominatif pluriel de « dominus »=maîtres.
[7] Génitif pluriel de « dominus »=maîtres.
[8] Nominatif pluriel de « dominus »=maîtres.
[9] Datif pluriel de « dominus »=maîtres.
[10] Datif pluriel de « dominus »=maîtres.
[11] Nominatif pluriel de « dominus »=maîtres.
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