Chapitre dix : Je suis méprisé./Despicior.

10 minutes de lecture

Alea jacta est[1] !

Voilà les mots que je me dis en passant la porte de la grande salle remplie de voix et d’une légère musique rythmique. De nombreuses personnes étaient présentes, ce qui allait rendre mon calvaire encore plus dur à supporter. Subir une humiliation devant tant de monde… Aurai-je la force de m’en remettre ?

Allez, Nathan ! Tu as une mission ! Du haut de leur tour d'ivoire, ces gens-là ont l’habitude de regarder des esclaves nus et battus ! Tu y arriveras. TU VAS Y ARRIVER.

Je me portais ces encouragements alors que nous passions devant tous ces gens à moitié allongés sur des couchettes, un verre à la main, entourés de plateaux de nourriture et d’amphores de toutes sortes. Selon la tradition, des ensembles de trois lits entouraient une table basse et tout ce qu’elle contenait. Au centre de la pièce, les trois lits étaient pour la famille du Gouverneur et les invités se trouvaient autour. Le lit de gauche, le lectus imus[2], était pour le maître de maison, le Gouverneur Wolf, et mon dominus[3] se trouverait sans doute sur le lit central, le lectus medius[4], qui honorait les invités. Des esclaves des deux sexes portant les tenues habituelles étaient présents et servaient ceux qui l’exigeaient. D’autres se tenaient debout contre le mur, sans bouger, telles des statues figées sans vie, attendant qu’on leur donne des ordres, prêts à s’animer si cela se produisait.

Certains invités me jetèrent un regard et je ne vis aucun étonnement dans leurs yeux. Avaient-ils l’habitude d’assister à ce genre d’événements durant les soirées qu’organisait le Gouverneur ? Cela ne m’étonnerait guère… Quelles horreurs le tyran pouvait infliger à ses esclaves ? Je préférais ne pas le savoir…

Wolf continuait de marcher devant moi comme si de rien n’était. Il finit par s’arrêter devant une petite estrade sur laquelle il me fit grimper à sa suite. Alors qu’il se retournait et venait me décrocher la laisse accrochée à mon collier, il plongea son regard dur dans le mien.

-Rappelle-toi, Nathan. Je n’éprouve aucun plaisir à te faire souffrir. Obéis-moi, ne tente rien de stupide et ce sera vite fini. Dans deux jours, nous repartirons et tu seras de nouveau en sécurité.

« En sécurité » ?! Il pensait réellement que je me sentais en sécurité avec lui dans sa demeure alors que son statut de domini[5] lui donnait tout pouvoir sur moi ?!! Il pouvait me violer, me battre, me tuer et la loi était de son côté, il en avait parfaitement le droit ! Ha, les riches… J’en avais limite envie de rire. Envie qui me passa assez rapidement lorsqu’il me fit mettre à genoux, dos aux invités.

-Ne bouge pas, m’ordonna-t-il.

Il m’attrapa fermement les poignets pour les mener jusqu’à la barre noire et épaisse se trouvant devant moi. Elle était clouée au mur et des menottes s’y trouvaient reliées par de courtes chaînes. Mon cœur s’accéléra subitement. Tout se mettait en place, ma punition allait commencer. Jusque-là, j’avais du mal à le réaliser vraiment, j’avais l’impression que ce n’était pas réel, j’avançais comme je le ferais dans un rêve étrange. Mais de me retrouver complètement nu et attaché, vulnérable, me réveilla d’un coup et je commençai à paniquer. Il me fallut prendre plusieurs grandes inspirations pour ne pas me mettre à gigoter dans tous les sens afin d’essayer de m’extraire de cette barre, ce qui n’aurait servi de toute façon à rien ! Je me retrouvai ainsi accroupi à attendre la suite dans une ambiance festive. Quel monde répugnant…

-Ha, Ethan ! Je vois que tout est prêt ! C’est bien, fit la voix du Gouverneur. Attends encore un peu avant de lui administrer sa punition. Tous mes invités ne sont pas encore arrivés.

-Bien. Comme vous le désirez, père.

Cet enfoiré de tyran avait l’air de bonne humeur, si je me fiais à la tonalité joyeuse contenue dans sa voix. De le comprendre me redonna de la force. Jamais je ne lui montrerai ma peur ! Il voulait que je sois humilié ? Alors je resterai fier en lui montrant qu’il pouvait me faire tout ce qu’il voulait, jamais il n’arriverait à m’atteindre, jamais il n’arriverait à me briser ! Je me redressai, la tête haute dans une posture qui ne me montrait pas soumis à attendre dans la peur, recroquevillé, mais au contraire, le dos bien droit sans chercher à me soustraire à ce qui allait suivre et surtout, sans pleurs alors qu’au fond de mon cœur, je savais que les larmes auraient pu couler abondamment face à cette situation.

J’attendis ainsi ce qui me sembla être une éternité. Même si ça me terrifiait, je voulais tellement en finir ! Entendre que derrière moi, tous faisaient la fête comme si tout était normal, qu’il n’y avait rien de bizarre à avoir sous les yeux, une personne attachée et nue attendant son châtiment, allait me rendre dingue !

-Voici le dernier invité ! Nous sommes au complet ! Ethan, tu peux te préparer, je vais faire l’annonce ! Ne me déçois pas ! Je veux du spectacle ! s'écria de nouveau le Gouverneur Wolf.

On y était… Mon cœur s’accéléra de nouveau et je repris de grandes inspirations, m’obligeant à rester bien droit.

Pense à ta famille, pense aux gens qui t’aiment. Ne pense pas à ces fous qui veulent se rincer l’œil. Ils paieront, ils paieront tous !

Tout à mes encouragements intérieurs, j’entendis mon dominum[6] monter sur l’estrade pendant que son père prenait la parole.

-Chers invités, grâce à mon fils, nous allons commencer cette soirée par une petite distraction qui, je pense, nous mettra tous en appétit ! Très bonne soirée à tous ! s’exclama-t-il sous les applaudissements.

J’avais si peur que j’en avais la nausée… Alors pour eux, je n’étais qu’une « petite distraction » ? Mon humiliation, ma douleur… Tout n’était qu’amusement ?! Quel monde de fous…

Le cœur battant la chamade, je vis du coin de l’œil mon dominum[7] se diriger vers un tabouret en tissu coloré de pourpre et de violet, et je tournai la tête afin de bien distinguer ce qu’il faisait. Wolf retira sa veste noire qu’il posa dessus mais ce qui m’étonna fut qu’il ne s’arrêta pas là... Je le vis ensuite déboutonner sa chemise et la retirer, révélant sa musculature et son fameux tatouage représentant une tête de loup effrayant, emblème du Gouverneur, montrant et rappelant ainsi à tous son appartenance à la famille la plus importante de notre société et sa légitimité dans tous ses actes.

Un meuble noir se trouvait également non loin du tabouret et Wolf se dirigea vers lui afin d’en ouvrir les portes. Une fois celles-ci ouvertes, le contenu échappait à mon regard mais je devinais aisément ce qui s’y trouvait. Je tournai la tête dans la direction opposée. Peut-être ne valait-il mieux pas que je voie ce qu’il allait en sortir… Mon dominus[8] ne s’y attarda guère et je distinguai rapidement sa silhouette revenir vers moi.

- Écarte les jambes, m’ordonna-t-il.

Non… Hésitant sans doute trop longtemps, il me les attrapa fermement lui-même. Je sentis soudainement quelque chose de froid contre ma peau et je me rendis compte que je ne pouvais plus les bouger. Je regardai comme je le pouvais et découvris qu’il m’avait attaché les chevilles à une barre métallique, m’obligeant ainsi à garder les jambes bien écartées devant tout le monde ! J’en avais envie de pleurer… Tous pouvaient me détailler de leur regard le plus pervers sans problème !

Ressaisis-toi ! Nathan, ressaisis-toi ! Ne les laisse pas gagner !

Sur mon injonction, je repris contenance et attendis la suite avec courage. Elle ne se fit pas attendre… Wolf posa une main sur ma nuque qu’il fit lentement glisser le long de ma colonne vertébrale jusqu’à mes fesses sur lesquelles il s’arrêta. L’une après l’autre, il les caressa, les pressa, et je ne comprenais rien mais ça me dégoûtait de sentir sa main sur mon corps, surtout sur une partie si intime… Qu’est-ce qu’il foutait ?!

Lorsqu’il en eut assez de me tripoter devant tout le monde, je le sentis se redresser et se reculer. Un violent premier coup de fouet s’abattit alors sur mon dos, me surprenant et me faisant crier sous la brûlure de son toucher. Je n’eus pas le temps de reprendre mon souffle qu’un autre me fut administré, suivi d’un autre et ainsi de suite. C’était si dur et si rapide que j’étais incapable de les compter mais mon dos était littéralement en feu et j'avais du mal à respirer sous les douleurs vives qui se succédaient. Malgré les coups que j’avais déjà reçus dans le passé, j’étais pratiquement sûr de ne jamais avoir autant souffert…

Je n’arrivais pas à retenir mes cris, alors je finis par serrer les lèvres pour au moins, les amoindrir mais sous la douleur, je me les mordis jusqu’au sang que je sentis couler le long de mon menton. Mon calvaire me sembla durer une éternité puis un coup ne fut pas suivi d'un autre et je pus enfin essayer de respirer normalement à nouveau. Mon souffle était si court et coupé à chaque coup que je recevais !

Soudainement, je fus attrapé par les cheveux qu’on me tira afin de me faire relever la tête et sans que je ne le prévois, la bouche de Wolf s’empara de la mienne de manière possessive. Le contact fut étonnamment assez doux, humide et chaud. Durant un moment, il bougea ses lèvres contre les miennes dans un baiser dont la délicatesse contrastait étrangement avec ce qu'il venait de me faire subir. Cependant, à mon grand étonnement, il finit par relever la tête sans en avoir passé la barrière de sa langue. Il s’agissait de mon premier baiser et j’étais tout de même reconnaissant qu’il n’exige pas plus…

J'étais tellement sous le choc que je n'arrivais pas à savoir si ce baiser me provoquait du dégoût ou non... Il se passait trop d'événements... Je n'arrivais plus à penser. Mes domini[9] précédents avaient bien presque tous essayé de m’embrasser, eux aussi, mais je les avais toujours repoussés assez violemment pour qu’ils ne retentent pas ! Cette fois-ci, je n'avais pourtant pas réussi à y échapper...

Wolf se redressa rapidement, si rapidement que je n’eus pas le temps de croiser son regard. Je le vis seulement essuyer le sang qui s'était posé sur ses lèvres. Mon sang... Pendant qu’il s’éloignait, j’entendis des applaudissements s’abattre dans la salle. Les brouhahas reprirent et la musique se fit plus forte. Je n’avais même pas remarqué que le son avait été diminué pendant que l’on me frappait... Au bout d’un moment, ma respiration finit par reprendre un rythme plus régulier et je posai ma tête sur mes bras dont les poignets se trouvaient toujours attachés. Autant essayer de me placer le plus confortablement possible, si je pouvais utiliser ce mot alors que mes chevilles étaient également entravées… Enfin, la punition était accomplie. Je n’avais plus qu’à endurer celle d’être nu et attaché dans une position humiliante durant certainement encore quelques heures…

Effectivement, je restai ainsi durant un très long moment à penser à ma famille ou à somnoler, pris par la fatigue qu’un trop plein d’émotions avait provoqué. Et puis, Wolf finit par venir jusqu’à moi, j’entendis ses pas avant de le sentir me détacher les chevilles ainsi que les poignets. Pendant qu'il s'affairait en prenant son temps, ne brusquant pas mes membres en les dégageant doucement, son odeur envahit mes sens et je ne la trouvai pas répugnante, au contraire, je la trouvai agréable. Il sentait bon son odeur à lui mélangée à son parfum. Pourquoi j’aimais ça ? Il était un dominum[10] aussi répugnant que les autres et l’idée qu’il me touche me révulsait ! Pourtant, je n’arrivais pas à le trouver aussi dégoûtant que mes précédents dominos[11], même après tout ce qu'il venait de me faire…

Il m’aida à me relever, je n’avais plus de force et j’étais engourdi d’être resté dans la même position toute la soirée. De plus, mon dos me brûlait et chaque mouvement ravivait une douleur plus vive. Je me sentais sale, mon sang avait séché sur ma peau. Wolf me tenait fermement contre lui, me soutenant pour que je ne tombe pas. Un autre dominus[12] m'aurait traîné derrière lui sans douceur pour sortir de cette salle.

Comment j’allais faire ? Je n’avais pas abandonné mon projet de tuer le Gouverneur ! Certainement pas après ce que je venais de subir ! Cet homme devait mourir et le peuple en serait certainement libéré ! Une révolte pourrait se mettre en place suite à sa mort ! Tué par un esclave, ce serait hautement symbolique ! Oui… Je regardai autour de moi, le cœur affolé. Il me fallait une arme… Un couteau ferait l’affaire… Plusieurs invités étaient debout, saluant d’autre personnes, ils étaient sur le départ et ils me cachaient sans le savoir la vue sur les tables !

Alors que nous continuions d’avancer, je trouvai enfin ce que je cherchais désespérément : un couteau dans une coupe de fruits à ma portée ! Le Gouverneur n’était pas loin de moi, il me tournait le dos, occupé à parler aux invités devant la sortie. C’était parfait ! Mon cœur battait si fort que j’avais peur que quelqu’un l’entende. Peu importe… Bientôt tout serait terminé.

Dans un geste rapide, je tendis le bras jusqu’au couteau… Ça y était ! Je l’avais en main ! Je la refermai dessus pour le cacher. Encore quelques pas et je serai assez près du tyran… Les nombreux Gardiens qui se trouvaient dans le bâtiment et même devant la porte, ne tarderaient pas à arriver et à me tuer mais ça m’était égal à présent. Les dés étaient jetés. Comme disait le dicton qui sonnait si bien en cet instant : « Si vis pacem, para bellum[13]. ». Et j’espérais de tout mon cœur que mon geste serait le déclencheur d’une révolte du peuple.

Je serrai plus fort le couteau dans ma main, plus que quelques pas…

-Na… Nathan ? C’est toi, mon garçon ?

Cette voix… Mon cœur rata un battement. Je me figeai. Wolf s’arrêta en même temps que moi. Abasourdi, je me tournai vers cette voix qui me semblait si familière.

-Papa ?...

[1] ="Le sort en est jeté!"

[2] ="lit du bas"

[3] Nominatif singulier= "maître".

[4] ="lit central"

[5] Génitif singulier de "dominus"="maître".

[6] Accusatif singulier de "dominus"="maître".

[7] Accusatif singulier de "dominus"="maître".

[8] Nominatif singulier de "dominus"="maître".

[9] Nominatif pluriel de "dominus"="maîtres".

[10] Accusatif singulier de "dominus"="maître".

[11] Accusatif pluriel de "dominus"="maîtres".

[12] Nominatif singulier="maître".

[13] ="Si tu veux la paix, prépare la guerre."

Annotations

Vous aimez lire Asylene ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0