II. 1 - Ooooaaaaiiii !

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“ Seraya, rapport sur le ravitaillement ?

— Deux jours, pas plus, et ce sera régime soupe à l’oignon pour tout le monde, peut-être une demi patate s’ils aiment les champignons…

— Génial.”

Philae, comme toujours, prenait ses notes, elle tenait tout sur des parchemins. Derrière elle se tenait Fargast, convalescent, mais avec un peu plus de couleur. Elle lui appliquait quelques soins. Derrière le jeune homme, deux masses allongées inertes, puis un gars le bras en moins, au bord de rejoindre ses confrères.

“ Il va s’en sortir celui-là ?”

Demanda Seraya, sans trop d’espoir, sur un ton trop froid pour parler de mort. Philae tourna la tête vers la personne indiquée, même si elle savait très bien de qui elle parlait.

“ Il est vraiment solide, j’ai presque envie d’y croire. Va demander à Jorrello où en sont les trous.”

Seraya sortit de la tente et se dirigea vers l’extérieur du campement. Entre deux figuiers, le caporal Jorrello Phassen s’attelait à creuser deux tombes. Elle s’approcha, les bras croisés.

“ Philae te demande où tu en es ?

— C’est pas pressé, ils ne vont pas moisir en deux heures quand même ? Pour lui répondre, je dirais que d’ici un quart d’heure c’est plié. Pas du grand luxe, ça, c’est sûr, mais c’est déjà ça.”

La gestionnaire du ravitaillement parut méditative.

“ Quelque chose te tracasse ? demanda-t-il, l’air sérieux.

— Ils étaient tout jeunes, on venait tout juste de les recruter.

— Après tout ce temps, tu ne t’habitues pas à la présence de la mort ?

— J’ai parlé à l’un des deux, un soir, il me racontait ses rêves… Enfin, laisse tomber, j’ai toujours un peu de mal, oui, à accepter qu’une étincelle s'éteigne comme ça. Tu t’imagines toi mourir ? Pas moi.

— Non, franchement non, je ne serais pas avec vous si j’avais retrouvé du travail à Carême déjà…

— Tu aurais largement pu t’en aller depuis.

— Tu parles, une fois que t’as goûté à la vie d'hordier, rien ne peut plus te faire bander…”

Son franc-parler déclencha un petit ricanement de la part de Seraya. Elle secoua la tête, l’air de le traiter d’immature, puis se dirigea vers le feu de camp, après avoir bien précisé la réponse à Philae. Gwynneth s’y trouvait, en pleine discussion avec Dallen.

“ … en cas de désaccord, c’est là que tu dois montrer que…”

Dallen s’arrêta quand Seraya s’installa avec eux. Cette dernière mit les mains en évidence.

“ Ne vous arrêtez pas, je ne fais que profiter de la chaleur.”

Celui que l’on surnommait le Corbeau, de par ses boucles ébènes et sa nature froide et observatrice, refusa de continuer sa discussion et préféra se lever pour s’éloigner.

“ Laisse tomber, il est sur les nerfs, il est persuadé que la petite est dangereuse.

— L’étrange gamine d’Aeriphos ? Elle a sauvé Trynna, mais ça reste une créature dont on n’a aucune idée de l’origine ou de quoi que ce soit d'autre d’ailleurs.

— Mais comme tu dis, elle a sauvé un de nos membres… De toutes manières, je ne convaincrai jamais Dallen, il doit être en compétition avec Nalric pour le titre de la plus grosse tête de mule.

— Ne m’en parle pas.”

Seraya poussa un profond soupir bien trop emprunt de lourds souvenirs. Il fut un temps où elle et Nalric se courtisaient, quand ils n’étaient encore que trop frais pour comprendre qu’une relation hordienne n’était vouée qu’à l’échec. Elle avait rejoint Aeriphos et Nalric dans leur tentative de fonder une horde quand elle les rencontra jadis dans sa ville natale de Dragonveil. Là-bas, elle s’occupait d’une auberge, héritée de son père. Cependant, le travail seul ne lui convenait plus, son frère ne l’aidant jamais, préférant la picole. Au fur et à mesure, elle accepta de partir avec les deux, et regretta bien vite quand elle frôla la mort quelques jours après… Heureusement que les Lames d’Extrême Ouest les croisèrent à ce moment.

Elle et Nalric se rapprochèrent très vite par la suite, une sorte de relation haine-amour, fusionnelle puis destructrice. Elle y mit un terme et depuis, ils ne se parlaient que rarement.

Nalric, de son côté, se trouvait auprès d’Antorn, commandant de son état. Les deux étudiaient une carte sommaire des contrées environnantes qu’ils avaient récupérée sur le chemin de l’aller.

“ Que penses tu de ce chemin ? Nous pourrions faire un détour par Myr-Avoine, cela rallongerait la route de deux jours, mais cela nous permettrait de nous ravitailler.

— Avec quel carmin ? Nous n’avons plus un rond. Mieux vaut crier un peu famine et se diriger droit vers la Rothegonie pour remplir nos poches avec le contrat, répondit Nalric, qui n’avait clairement pas envie d’attendre plus longtemps avant d’empocher le butin.

— Nous n’aurons qu’à proposer nos services en échange de pain et de vin, un petit village comme celui-ci… Sûrement auront-ils besoin de main d'œuvre, nous sommes en pleine période de moissons.

— Donc tu vas encore nous rabaisser à réaliser des corvées de paysans ?

— Et toi, Nalric, avant d’être hordier, tu étais ..?”

Ce dernier se contenta de maugréer quelques jurons dans sa barbe.

“ C’est décidé, nous ferons un détour par Myr-Avoine.

— Rien ne sert de venir me demander mon avis, si c’est pour ne pas le prendre en compte…

— Oh, mais je le prends en compte, en général j’aime bien aller à contresens de ton avis.”

S’en fut trop pour le jeune homme qui défia son commandant du regard et sortit furibond de la tente. Daygen sortit de l’ombre, il s’assit en face.

“ Je ne comprends pas.

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas, Daygen ?

— Pourquoi tu t’obstines à donner de l’importance à Nalric alors que, manifestement, tu ne l’apprécies pas.

— Qu'est-ce qui te fait dire cela ? Je joue avec sa frustration, c’est tout. Il en a besoin, il doit se confronter à un cadre, comprendre où est sa place…

— Pourquoi te donnes-tu autant de mal à lui faire ça ?

— Il a du potentiel…

— Ah ?”

Nalric trouva Aeriphos derrière les abris du campement. Chaque fois qu’il se sentait mal ou en colère, c’était vers son ami de toujours qu’il se dirigeait. Aeriphos avait ce pouvoir de le calmer ; il ne savait pas si cela provenait de son air niais ou de sa grande empathie.

Le grand blond se trouvait au côté de Rendan (à son grand damne, cet idiot hautain l’insuportait au plus haut point) et de la petite créature.

“ Vous ne voulez pas un peu la lâcher, la pauvre gosse ? Soupira le ronchon en s’approchant.

— Chuuuut ! Elle essaye de parler ! ordonna Rendan, ce qui ne fit que renforcer la rage de Nalric.”

La petite chose poussait des petits bruits, du fond de sa gorge, gutturaux, avec une teinte éclaircie, ils pouvaient distinguer un assemblage étonnant de voyelles.

“ Oooaaaoooiiii !”

Aeriphos poussa une exclamation. Toute fière, elle répéta le même processus en boucle.

“ Oui bravo ! Attends, attends, tu vas même pouvoir choisir ton nom cela veut dire ? Alors ! Comment tu veux te nommer ?

— Non mais c’est pas vrai…”

Nalric, dépité, observa avec apathie la gamine chercher son patronyme.

“ Uuuuueee… iiiiioooo… aaaa !”

Rendan resta un instant pantois, les yeux plissés, tentant de déchiffrer un mot dans cette sorte de vocalise malmenée.

“ Uyoha ?”

La petite fit la grimace, ça ne lui plaisait pas du tout. Elle tapa du pied, secouant ses bouclettes macassar.

“ Non, non, ça ne lui plaît pas, rebondit Aeriphos, plutôt quelque chose comme Uhe-I-Wa !”

Elle écarquilla les yeux et fit mine de vomir, elle paraissait même le traiter de fou.

“ Vous me gonflez avec votre mioche ! Elle n’a qu’à s'appeler Ulaï ou une connerie comme ça…”

Soudain, un grand, gigantesque, grandiloquent rire sortit du petit être qui claqua ses cuisses avec immense joie.

“ Je crois qu’elle aime bien ! s’exclama le grand blond.

— Et bien, tu vois que tu auras servi à une chose dans ta vie ?”

Une envie soudaine prit Nalric de fracasser le joli minois de Rendan, ce ne serait pas la première fois, mais il se freina tout de même devant l’enfant. Il préféra partir de nouveau, tant pis pour Aeriphos, il resterait seul à bouder dans son coin.

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