Humiliante claudication

3 minutes de lecture

Les gouttes de pluie tapotaient son visage tuméfié comme de douces fées lui quémandant de se relever, de ne pas abandonner. Mais, à quoi bon ? Théodore n’était pas à bout de force, mais qui défendrait-il à présent ? Plus aucune vie ne pouvait être sauvée.

Le champion de la foi avait échoué. Il demeurait là, dans son armure aussi lourde que son coeur, seul, au milieu du charnier fumant. Des magiciens, qu’il n’avait pas su protéger, décimés par dizaines, l'enserraient comme autant de reproches lancés à son égard.

Pourtant, rester ici et mourir de faim n’y changerait rien.

Théodore voulut saisir son médaillon mais constata aussitôt le piteux état du bijou magique. Le verre s’était brisé sous l’impact des coups, et la partie encore suspendue à la chainette s’était logée dans la chair de son torse. Ainsi, même le Rugissement du Lion lui avait tourné le dos.

Des sanglots montèrent, mais Théodore les réprima. Ce n’était digne ni de sa fonction ni de son grade. L'Ordre des champions... Qu'en restait-il ce n'était ces exhalaisons étouffantes qui obstruaient le champ de bataille silencieux ?

Contractant ses muscles douloureux, il redressa le buste et réalisa que ses jambes étaient bloquées sous le corps massif d’un mastodonte Worgro. Avant tout géniteurs, ces immenses barbares étaient également de formidables combattants. Théodore lui avait porté le coup fatal avant de s’évanouir lui-même sous le poids du monstre et de ses blessures. Puis ç'avait été le noir, les plaintes aigues et les gémissements devinés. Et, de nouveau l'absence de bruit. Jusqu'à son réveil.

Rassemblant son énergie, le champion creusa le sable pour libérer le bas de son corps de son carcan. Repousser le cadavre sur le côté lui aurait été impossible dans son état. Une douleur électrisante arpenta dès lors ses deux jambes. Celle de gauche s’en remettrait dans les jours prochains, mais celle de droite apparaissait dangereusement gonflée. La déchirure sur son genou n’annonçait rien d’encourageant pour l’avenir de sa carrière militaire.

Après s’être assuré que personne ne l’épiait, malgré la mort environnante, Théodore jura à voix haute. Le sort s’acharnait. S’il ne pouvait plus exercer sa fonction, son utilité serait réduite à néant. À quoi pouvait bien servir un homme qui depuis toujours était entrainé pour la guerre, s’il ne pouvait plus prendre part à cette dernière ?

Durant un long flottement, il plaqua son visage dans sa main. Se perdant dans ses pensées, il se laissa bercer par le crépitement du crachin marin, le bruissement de la houle monotone et le mutisme de l'après-guerre. A dire vrai, il ne réfléchissait pas vraiment. Il attendait de trouver assez de volonté en lui pour entamer ce qui suivrait.

Finalement, Théodore progressa sur son séant jusqu’à la dépouille d’une guerrière ennemie, puis saisit le bâton de mage coincé dessous. En l’absence de magie, cette arme n’était plus qu’une banale branche d’olivier, ce qui conviendrait parfaitement en tant que béquille. Tant bien que mal, il parvint à mettre debout sa lourde charpente endolorie.

Son corps entier était engoncé dans un cocon affligeant. Il ne pouvait même pas se tenir droit. Une toux violente le saisit, lui arrachant une gerbe de sang. Théodore cracha sa bave viciée dans le sable à ses pieds. Quel splendide portrait de valeureux champion ! remarqua-t-il à voix basse.

Non sans peine, il retourna près du cadavre du mastodonte et délogea sa claymore. Enfin, son regard se perdit dans l’horizon. Une plage carmin s’étendait jusqu’aux navires accostés. Quel gâchis !

Et ces misérables déserteurs qui avaient fui par le plateau… Théodore sentait sa haine grandir, mais tout comme ses larmes, il la ravala.

« Discipline, foi, abnégation. »

Ces pauvres gens avaient décampé pour sauver leur vie. La situation était désespérée. Théodore ne pouvait pas les blâmer.

En revanche, le concernant, son devoir n’était pas terminé. S’il pouvait respirer, il avait pour obligation de brandir son arme. Les ennemis étaient entrés à l’intérieur du territoire koordien. Il devait les rattraper et leur faire payer leur affront.

Théodore rengaina la claymore dans le fourreau, qui pendait à sa hanche, et prit la route orientale. Sa démarche et vue tanguaient comme un bateau en pleine tempête, et cette humiliante claudication ne cesserait pas tout de suite.

Annotations

Vous aimez lire Florian Guerin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0