Orée

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Habituellement, la forêt de l’Orion était un endroit féérique. A l’instar des contes pour enfants, on pouvait y entendre les oiseaux chanter, les feuilles danser et les cours d’eau chatoyer de mille couleurs. Même durant la saison des froids, les frondaisons couvraient le lieu d’une ombre rassurante et intimiste.

Si un voyageur s’aventurait au cœur de ce bois verdoyant, il pouvait y découvrir une forteresse. La grandeur de ses tours n’avait d’égal que la somptuosité de ses murailles. Le lierre y grimpait et tendait la main à une kyrielle de fleurs bigarrées. Une aura magique en émanait. Et ce n’était pas étrange car ce fort abritait l’avenir des magiciens de Koordie. La plus grande école au service du Lion.

Hélas, avec la décadence de la magie lors de la bataille, la forêt avait perdu de son charme habituel. A l’orée du bois, les trois compagnons prirent un temps pour constater les dégâts. Aussi terne et morbide qu’une sépulture, l’aspect de ces arbres faisait froid dans le dos.

— C’est si triste de voir la nature ainsi affligée par la disparition de la magie, s’exprima Aurore.

— Messagère, dites-vous que c’est pour réparer cela que nous traversons le royaume.

— Au moins, nous n’aurons pas à affronter la faune locale, relativisa Owen. Cette dégradation a dû les faire fuir.

Comme seule réponse, le ventre de la jeune fille gargouilla. Owen suggéra de prendre une pause ici, avant de pénétrer dans la forêt. Ils devaient déjeuner et prendre des forces. La forêt pouvait être parcourue de bout en bout en une demi-journée. Cependant, ils avaient pour objectif de rejoindre la sortie nord du bois.

Par cette voie, ils suivraient un chemin certes plus long, mais par contre plus sûr. Aurore demanda si, malgré tout, ils passeraient près de la forteresse des apprentis magiciens. Owen acquiesça.

Les trois voyageurs s’installèrent sur un gros rocher plat pour remplir leur estomac. Pour la première fois de la journée, Théodore dut supporter le regard sombre du chevalier errant. Une Hyène… Que devait-il faire ? Que lui imposait son devoir, son honneur ? Se taire, se décharger de toute implication dans le passé commun à leurs deux factions ou implorer l’absolution.

Envouté par le chuintement du bois à proximité, Théodore se perdit dans son introspection.

Comme si elle lisait dans son esprit, Aurore mit le sujet sur le tapis.

— Ne serait-il pas nécessaire de crever l’abcès ? entama-t-elle. Depuis qu’Owen a évoqué son appartenance à la caste des Hyènes, vous ne daignez plus vous parler ni même vous regarder. Théodore, je sens que ce sujet vous tracasse. Y a-t-il un conflit entre les Hyènes et les champions de la foi ?

Owen ricana mauvais. Le mépris suintait de ses pupilles.

— Ah ! Le peuple et son ignorance. Pour une messagère, tu n’es pas au courant de grand-chose.

Théodore resta cloitré dans son mutisme. Il sentit qu’Owen aurait pu lui cracher dessus pour cette couardise.

— Gamine, reprit Owen. Désires-tu entendre la version de la victime, ou celle du bourreau ?

— Eh bien ! Théodore ne semble pas disposé à parler, alors allez-y.

Owen décida de n’épargner à Aurore aucun détail. Le conflit s’était déclaré lors de « l’inique procès d’Ulurès ». C’était ainsi que les chevaliers errants nommaient cet abject évènement, ayant eu lieu douze ans plus tôt.

Aurore l’interrompit pour se faire confirmer que cette appellation était liée à l’archipel d’Ulurès, loin au nord. Owen opina du chef. Onze chevaliers errants de la caste des Hyènes avaient été dépêchés sur ce territoire pour y analyser la géopolitique.

Le régime apparaissait à ce moment-là déchiré entre deux partis. Les politiciens à la tête d’Ulurès se montraient ouverts à un armistice avec le royaume de Koordie et à un partage du savoir magique. Mais toute une partie de la population se prétendait, au contraire, complétement fermée à ce genre d’alliance. Pour eux, les guerres avec Koordie étaient encore trop récentes.

Le rapport fut établi tel quel par les Hyènes. Les conseillers royaux de Koordie n’entendirent et ne retinrent que la possibilité d’entériner un accord de paix avec l’archipel septentrional.

Présomptueuse ou insouciante ? Owen ne put placer d’adjectif précis sur leur conduite. Le résultat fut là : ils envoyèrent en Ulurès un groupe de magiciens haut placés, protégés par d’émérites champions de la foi.

La mission des diplomates paraissait simple. Cependant, ils avaient totalement omis la présence de personnes dont les plaies causées par la guerre suintaient encore abondement.

— Les magiciens n’ont pas pu rentrer sur le territoire ? s’enquit Aurore.

— Oh, si ! Ces pervers les ont laissés fouler leurs terres. Ils les ont cordialement accueillis et ont refermé la chausse-trape derrière eux.

Lors de la cérémonie de la signature du pacte de paix, des assassins étaient intervenus. Sans différenciation, ils avaient décimé koordiens et uluriens. Malgré leur entrainement et leurs compétences, les champions de la foi n'avaient pu rivaliser face à la férocité des meurtriers.

Une missive fut envoyée en Koordie, pour expliquer la situation. Afin d’éviter un scandale et de brusquer le peuple koordien, il fut alors décidé de garder sous silence cette triste journée. Pire, dans l’optique d’éviter de maculer la réputation des magiciens et l’honneur des champions, la faute fut imputée aux Hyènes intervenues plus tôt sur le territoire.

Leur procès fut réalisé en catimini. L’inique procès d’Ulurès. Pour marquer l’exemple, toutes les Hyènes durent revenir en Koordie.

— Nous eurent l’obligation d’assister à leur mise à mort. Je suis sûr que, au fond de leur cœur putride, les dirigeants des champions jouissaient de pouvoir nous infliger un tel supplice. Les relations entre nos factions n’ont jamais été faciles. Mais ce procès marqua l’apothéose de notre antagonisme.

— C’est… inconcevable.

— Et pourtant véridique.

— Théodore, aviez-vous connaissance de cette histoire ?

Owen se préparait à affronter le champion. Ici et maintenant, ils concrétiseraient la haine qu’alimentaient leur faction l’une envers l’autre depuis si longtemps. Mais lorsque Théodore releva la tête, des larmes coulaient le long de ses joues. Ses yeux criaient au désespoir et imploraient le pardon.

La colère d’Owen s’effrita comme un mur vermoulu, et laissa place à un dégoût indescriptible. Pas uniquement pour le champion, mais également pour lui-même.

— Aarh ! Sois maudit, champion. Que la mort t’emporte loin de moi.

Owen cracha ses dernières phrases en empaquetant ses affaires pour reprendre la route. Entre le pleureur et l’irascible, la jeune fille affichait un sourire exultant. L’abcès avait été percé.

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