Départ

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 L'aurore caressait leur nuque, revivifiant leurs muscles et leur entrain. La dernière barque accosta près du ponton en latte de bois. Certains des enfants frottaient leurs yeux chassieux tandis que d’autres bâillaient à s’en décrocher la mâchoire. Il n’avait pourtant pas été difficile de les réveiller ce matin ; ils s’étaient tous montrés particulièrement coopératifs. Selon Théodore, leurs entrainements intensifs et parfois draconiens pour devenir de véritables magiciens justifiaient ce comportement docile.

Quatorze maitres se partageaient l’apprentissage de cent sept enfants. Owen espérait que passer d’une troupe de trois voyageurs à une armée de cent magiciens inaptes ne ralentirait pas trop leur allure. La route vers le nord de la forêt s’avéra plus abordable que la première partie.

Le point primordial qui provoquait cette amélioration était l’extinction du tonnerre magique. Plus aucun portail ne s’ouvrait et plus aucun bruit ne retentissait dans le lointain. Mieux, la faune réapparaissait timidement çà et là. Aurore s’extasia devant un écureuil se faufilant dans son nid, puis courut avec des enfants derrière une hurmitie, qui se creusa un terrier pour fuir les effroyables prédateurs.

Cependant, les nuages menaçaient plus au nord ; simplement pour remémorer à ces voyageurs souriants qu’ils n’étaient pas encore à l’abri du danger.

Tous ces changements positifs, seuls Aurore, Théodore et Owen les perçurent. Mais de l’œil inaltéré des magiciens, qui s’étaient terrés dans leur cocon en se dotant d’œillères, le paysage manifestait un immense chagrin, une blessure consternante.

Partout, la désolation régnait.

Les troncs d’arbres jeunes et forts jonchaient les routes, des tranchées mystérieuses et profondes exhalaient une énergie sordide, et des ravines asséchées remplaçaient les fougueuses rivières d’autrefois. Aurore leur conta le triste sort qu’avait enduré cette forêt. Avec l’énergie du dôme et la disparition de la magie, des portails étaient nés sporadiquement pour absorber les forces incontrôlables. Mais de ces brèches avaient fusé des éclairs dévastateurs. L’annulation du sort défensif avait mis fin à cette rage élémentaire.

Théodore se plaça en tête de peloton, au côté du Maître Grégory. Le champion de la foi possédait de nombreux centres d’intérêt communs avec le magicien de guerre. Il lui dépeignit la bataille sur la plage et l’amère disparition de la magie. Grégory était curieux et attentif au moindre détail. Selon lui, le royaume n’avait jamais connu de crise si rude.

Owen marchait derrière les enfants. Les magiciens, privés de leurs pouvoirs, n’étaient pas en état de protéger les apprentis si un ennemi survenait. Si Théodore surveillait l’avant, Owen prenait logiquement soin des dernières rangées.

En milieu de matinée, Aurore le rejoignit. Elle arborait son fameux sourire narquois et son air calculateur. Elle allait le cuisiner. Encore une fois. Owen s’y prépara.

— Alors, chevalier ! Il semblerait que votre cœur de glace fonde progressivement en notre compagnie.

— Que veux-tu dire, jeune fille ?

— Ne deviez-vous pas simplement prendre le même chemin que le nôtre, et pourchasser les Worgros pour leur donner votre vie ?

— C’est toujours le cas.

— Non ! Sinon, vous n’auriez pas « traversé les enfers », comme vous dites, sur une barque avec Théodore et moi. Rien ne vous obligeait à nous accompagner sur l’îlot de la forteresse. Pourtant, vous étiez le premier dans la chaloupe.

Owen ne trouva rien à répondre.

— Vous avez risqué votre vie pour ces magiciens. Pour ces enfants. Et vous avez fait face au danger, un sourire grandiose sur les lèvres.

— Je n’ai pas souri.

— Si. Votre vraie nature a refait surface. Vous n’êtes pas un vrai taciturne ou acariâtre de nature. Votre cœur souffre terriblement, et cela je le comprends. Qui pourrait se targuer de ne rien ressentir dans votre situation. Mais accomplir votre devoir illumine vos traits. C’est de ce visage dont est tombée amoureuse Marie, j’en suis persuadée.

— Si elle voyait mon visage aujourd’hui, elle prendrait ses jambes à son cou.

— Je ne pense pas, non. Les enfants, eux, n’ont pas craint votre visage blessé. Car ce qui compte, c’est ce qui émane de vous. Ce que vous décidez de montrer aux autres. Alors, préférez-vous qu’ils voient un blessé de guerre morose et renfermé, ou un chevalier honorable et fiable ?

— Parfois, tu parles comme l’un de ces sages de Forléo. C’est à se demander si l’une de ces vieilles reliques clairvoyantes ne s’est pas réincarnée dans la peau d’une jeune adolescente.

— Oui, c’est à se demander !

Devant la mine interdite du chevalier, Aurore s’esclaffa sans retenue. Même Théodore, à l’autre bout de la file, leur jeta un regard interrogateur.

— Je voulais simplement vous dire merci, chevalier. Merci de votre aide.

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