Oaïna

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 Ils quittèrent la forêt désolée tôt dans la matinée. D’abord leur fallait-il traverser les vastes steppes de l’Orion, avant d’accéder aux Sept Criques. En temps normal, voyager avec une centaine d’enfants sur ces immenses étendues d’herbes aurait été inconscient. Malgré un contexte politique stable, des malfrats indomptables rôdaient en Koordie. Ces plaines aux dénivelés inconstants regorgeaient de bandes de criminels.

Mais les Worgros avaient parcouru les steppes, et fatalement balayé toute présence humaine de ce lieu. Les enfants ne couraient donc aucun danger.

Owen progressait seul depuis un moment, lorsqu’il se sentit observé. Devant lui, l’une des enfants marchait à reculons et le toisait comme si elle lui reprochait toutes les peines du monde. Après un instant de réflexion, sa frimousse lui revint en mémoire. Le chevalier lui avait collée son pied dans l’abdomen, la veille.

Il l’interrogea d’un mouvement du menton. Elle l’interpréta comme une autorisation à quitter les rangs d’apprentis magiciens et à le rejoindre à l’arrière du groupe. Aucun maitre n’interféra dans la décision de la jeune élève. Owen l’observa, comme il aurait observé une étrangeté ambulante. Pourtant, il savait très bien ce qui se passait de la tête d’une fille âgée de presque dix étés. Sa petite Espérance en avait neuf.

— J’ai un bleu, fit-elle, détachée.

— Et sûrement des traces boueuses de bottes sur la robe, ajouta Owen sans la regarder.

— Aussi ! Mon papa est plus grand que toi et, lui, c’est un champion de la foi. Mais il n’a jamais eu à me faire des bleus pour me battre quand nous nous bagarrions.

Un champion… Son père avait dû brandir l’épée sur la plage ouest, trois jours plus tôt. Owen eut une pensée pour toutes les familles déchirées qu’allaient laisser derrière eux les Worgros ; la sienne y compris. Les arrêter était une nécessité absolue.

— Eh ! Tu m’écoutes ? le disputa la jeune fille, les joues gonflées et la mine boudeuse.

— Non, je n’écoutais pas. Désolé.

— J’ai dit que tu me devais une revanche.

— Maintenant ?

— Mais non, gros bêta. Là, je n’ai pas de pouvoirs. Mais quand je pourrai de nouveau utiliser ma magie, je te montrerai mes aptitudes. Tu sais, je peux créer une pluie de cendres dorées, qui brûlent ou soignent selon mon envie ! Maitre Philibert disait que c’était un don extraordinaire et incroyablement rare.

— Grand bien t’en fasse. Et quel est ton nom, Ô vénérable magicienne ?

— Oaïna.

— C’est joli. D’origine torrine ?

— Oui, ma mère est originaire du royaume de Torrin.

Sur cette île-royaume, située à l’est de Koordie, perdurait une coutume vieille de plusieurs siècles ; en fait, depuis l’adoption du langage commun. Chaque prénom était issu de la langue ancienne du royaume. Oaïna signifiait donc obligatoirement quelque objet, concept ou verbe dans le vieux parler du territoire insulaire. Owen posa la question à la jeune fille.

— Persévérance, fit-elle, dans un accès de vanité. Je suis née avec des poumons si fragiles que je ne pouvais pas respirer, m’a dit ma maman. Mais je me suis battue pour vivre et me voilà aujourd’hui ! Mon papa dit toujours que la maladie a fui devant mon entêtement.

Le chevalier ne réprima pas son rire. Par bien des aspects, elle lui rappelait Espérance. Il ne savait pas très bien si cela lui réchauffait le cœur ou l’inondait de peine, mais au moins il se sentait vivant.

— Toi, c’est Owen, c’est ça ?

— Exact. Je suis une Hyène, avoua-t-il, gêné car cette caste n’avait pas la meilleure réputation qui soit.

— Une Hyène, waouh ! Comme le célèbre maitre-assassin Brume.

L’histoire racontait que ce chevalier errant avait, à lui seul, permis de remporter la guerre contre un ennemi de toujours : le royaume d’Issilare. Une seule lame placée sous la bonne gorge et Issilare s’était agenouillé devant Koordie. Owen s’étonna qu’une apprentie magicienne ait entendu parler de cet homme et lui en fit la réflexion.

— Mon papa me raconte souvent cette histoire. Selon lui, c’est la preuve parfaite pour démontrer que la magie ne peut tout résoudre, et que Koordie ne devrait pas se reposer uniquement sur ses acquis magiques. Il me dit que quand je serai magicienne, je devrai garder cette leçon en tête, et ne pas dénigrer les chevaliers.

— Ton père, un champion de la foi, respecte le travail d’une Hyène ? Plutôt insolite.

— Pourquoi ?

Owen ne put s’empêcher de sourire devant la candeur de la jeune Oaïna. Contre toute attente, le chevalier et la jeune fille continuèrent de discuter durant toute la traversée des steppes. Bientôt, s’ouvrirent devant eux les Sept Criques. Midi sonnait et les enfants réclamaient leur déjeuner. Ce serait le dernier repas qu’ils prendraient sur l’île de Koordie ; le pessimisme d’Owen était formel là-dessus. Son cœur espérait pourtant l’inverse.

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