L'entrainement

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Une demande inopinée de la part d’Owen le revêche, et pourtant presque prévisible en un sens. Théodore hocha la tête, s’arc-bouta sur sa claymore pour se redresser et prit ses distances. En face de lui, la Hyène dessina des appuis convenables dans le sable pour ses pieds puis dégaina. Un entrainement.

Owen s’alarmait de sa perte de contrôle lors de sa rixe fortuite avec les enfants. Son handicap à l’œil l’avait mis en mauvaise posture et il avait dû répliquer, de façon exagérée. A cela s’additionnaient leurs impairs lors du combat contre le mastodonte. Ce ne devait plus se produire, il lui fallait apprendre à combattre avec un œil en moins.

— Peut-être acquerrai-je, pour ma part, la faculté de manier l’épée tout en épargnant ma jambe, fit Théodore, avec un entrain feint.

D’un côté, l’entrainement les ferait progresser tous les deux ; d’un autre, les élancements dans le bas de son corps atteignaient leur paroxysme après l’harassante marche d’aujourd’hui. Cette souffrance malicieuse se cramponnait à ses nerfs, et le mettait en émoi. Parviendrait-il à garder son sang-froid, en croisant le fer avec ce déserteur ?

Malgré la saison hivernale, qui tirait à sa fin, le soleil de l’après-midi les faisaient suer. Owen souhaita savoir si, pour Théodore, un échauffement était nécessaire. Le champion lui répondit qu’ils s’échaufferaient ensemble, avec quelques échanges.

Owen engagea le duel amical, d’une frappe de taille. Théodore se contenta de contrer puis d’envoyer une offensive similaire. A chaque crissement de fer, de nouveaux enfants s’ameutaient pour admirer les échanges véloces. Aurore accourut mais, rassurée de constater que ce n’était pas une querelle, s’assit dans le sable et raconta aux apprentis magiciens l’histoire de ces guerriers.

A chaque entrechoc, le suivant venait avec plus de vitesse. Finalement, les deux hommes s’écartèrent l’un de l’autre et reprirent leur souffle. Owen proposa alors un vrai combat. Théodore approuva mais Aurore leur interdit de se porter mutuellement des coups trop dangereux.

— Il est difficile de ne pas être dangereux lorsqu’on manipule une épée, commenta Owen, un sourire sardonique sur les lèvres.

Théodore n’ajouta rien. L’échauffement leur avait permis de se juger, de s’évaluer l’un et l’autre. Le champion le surpassait sans conteste : plus fort, plus solide, plus d’allonge et plus serein. Les seuls points que Théodore craignait d’Owen étaient son imprévisibilité et son manque d’honneur. Ces deux travers risquaient de lui causer du souci.

Une fois n’était pas coutume, Théodore laissa Owen amorcer la joute. Le chevalier chargea donc tête baissée, comme il avait la mauvaise habitude de le faire. Le champion frappa largement devant lui, afin d’obliger le chevalier à faire une pirouette sous la lame ou à s’éloigner. Owen opta pour la première option. Juste à temps, Théodore ramena son épée et bloqua le coup d’estoc de l’acrobate.

A l’accoutumée, un guerrier dans la même posture qu’Owen aurait fait le choix de prendre du recul pour mieux riposter. Mais le chevalier ne se souciait que peu des bonnes pratiques et il enroula son bras gauche autour de la claymore. Coincé et désarçonné par l’acte incongru, Théodore encaissa avec sa mâchoire le pommeau de l’épée d’Owen. « Quel salaud ! » songea Théodore en chancelant vers l’arrière.

Quel spectacle offraient-ils aux enfants ? Une vulgaire bagarre d’auberge ?

Un fait s’avérait, en revanche : cette crapule compensait de mieux en mieux son champ de vision rétréci.

— Alors, tu commences à douter ? s’enquit Owen, sur un ton prétentieux en écartant les bras en croix.

Les enfants retinrent leur respiration, dans l’attente de la réponse du champion.

— A douter de ton sens de l’honneur, oui !

Le chevalier partit d’un grand éclat de rire avant de rependre le combat. Il effectua un roulé-boulé jusque devant le champion, feinta un coup sur le flanc gauche puis virevolta pour se retrouver presque derrière Théodore. La lame se logea derrière ses deux genoux et le força à s’infléchir.

Théodore avala la douleur qui électrisa tout son corps déjà endolori, et se releva pendant que le chevalier paradait devant le public d’enfants. Il l’avait frappé sur sa pire blessure. Cet infâme gredin ! Son manque de vergogne dépassait l’entendement. Il allait le regretter.

Ses représailles s’élaborèrent dans son esprit à une vitesse vertigineuse, et Théodore se sentit presque honteux en sentant ses lèvres s’étirer. Il réitéra son ample coup horizontal et, comme prévu, Owen roula sous la lame. Cette fois, au lieu de parer l’attaque, Théodore saisit de son gantelet de cuir la lame. Avec sa force, il n’eut aucun mal à l’arracher de la poigne du chevalier. Théodore rendit le coup de pommeau à Owen : en plein dans son épaisse balafre.

La Hyène tomba à la renverse, geignant comme un précieux humilié. Théodore brandit sa claymore, s’apprêtant à l’enfoncer dans le sable juste à côté de la tête du chevalier. De quoi lui ancrer dans le crâne qu’il lui était de loin supérieur. Mais, alors qu’il se croyait vainqueur, le champion négligea le coup de pied du chevalier. Son genou supplicié cracha son venin cuisant dans tous ses autres membres.

Théodore gémit à son tour. Sa cible venait de changer : l’épée finirait droit dans le front du chevalier. La lame lacéra l’air, dans un vrombissement impressionnant.

Maitre Grégory s’intercala entre les deux adversaires. Il bloqua le bras de Théodore, le désarma et le cloua au sol. De sa montagne de triomphe, Théodore chuta jusque dans une fange d’humiliation. Oui, il venait de jeter l’ignominie sur son nom.

Derrière le magicien de guerre, Théodore aperçut le regard d’Aurore. Sa honte atteignit alors des sommets inimaginables.

Sentant les larmes monter, il ferma les yeux. Décidemment, il n’était pas si fort et solide que cela.

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