Volonté

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 Des empreintes noires et filantes de flammes s’ancraient dans le sol après son passage. En triomphant de ses champions, Owen et Théodore avaient contrarié le suzerain-sorcier. Il semblait déterminé à en terminer personnellement avec eux. Le champion rejoignit le chevalier. La coopération n’était pas leur fort, mais mieux valait faire face à ce monstre de feu à deux qu’en solitaire.

 Derrière le Worgro, la harde fulminante et tonitruante se resserrait, tout en restant à distance comme s’ils craignaient le feu de leur chef. Faits comme des rats, les humains reculaient avec précaution. Dans les mains du suzerain-sorcier, deux épées entièrement composées de feu incarnat se matérialisèrent. « Garahane ! » tempêtait-il se rapprochant.

Owen peinait à tenir son épée avec ses doigts brisés. Faiblir revenait à périr. Il ne pouvait se permettre de laisser tomber maintenant. A ses côtés, Théodore ne trahissait pas son Code. Auguste dans sa posture et sans peur dans son comportement. Sa claymore se tenait prête à fuser.

 — Essayons de faire mieux que la dernière fois, contre le mastodonte, suggéra Owen, un sourire carnassier sur les lèvres.

 — Il serait difficile de faire pire. Hélas, j’ai bien peur que cette fois-ci, même avec toute la bonne volonté du monde, nous ne puissions venir à bout de cet ennemi. Nos magiciens les plus émérites ne prévalent pas sur la sorcellerie worgro.

 — Soit. Mais d’habitude, ces sorciers ne se mettent pas autant à découvert.

 Théodore songeait à la réflexion perspicace du chevalier lorsque des gouttes d’eau épaisses lui touchèrent le visage. Sur son bras, des perles oléagineuses s’écoulaient paresseusement. Elles ne s’apparentaient pas à une pluie classique. Plutôt à…

 Owen qui humait sa manche après avoir reçu la même matière sur les vêtements releva la tête, une étincelle dans le regard.

 — De l’huile inflammable. Elle provient de la tornade. Regarde, les Worgros en sont couverts.

 — Ne me dis pas qu’il s’agit là de l’œuvre de notre messagère.

 Comme pour répondre à son interrogation, la jeune fille se dévoila. Cachée jusqu’à présent derrière des amas rocheux, en surplomb par rapport à la voie principale, sa présence n’avait pas été révélée aux Worgros. Elle tenait dans les bras une demi-dizaine de boulets noirs.

 Owen et Théodore, bouche bée, comprirent le plan d’Aurore. Les récipients, contenant à coup sûr de la poudre noire ou un autre combustible, s’envolèrent pour retomber au milieu des barbares désemparés. Le choc déclencha la combustion, puis l’huile inflammable entraina le feu sur les chairs alentour. En une fraction de seconde, des dizaines de Worgros furent soufflés par l’explosion ou calcinés par les mangeuses ardentes.

 Les deux humains se bouchèrent les oreilles mais le son les assourdit tout de même. Le suzerain-sorcier fit volte-face et observa son armée brûler. En hauteur, dressée fièrement entre le tourbillon magique et le mur incandescent, Aurore le toisait.

 Owen s’esclaffa aussi fort qu’il le put : « Nous ne sommes pas des Garahanes. La voilà, notre chef de meute ! »

 Théodore, quant à lui, profita du moment d’inattention de cette menace ambulante pour l’attaquer dans le dos. Sa claymore broya les fils de métal sous-cutanés et mordit sa peau. Rien de létal, mais la férocité du coup força le Worgro à ployer les genoux.

 Owen se planta devant lui et lui balafra le visage avec une célérité dont il ne se pensait plus capable. Il acheva son enchainement d’un coup de pied retourné endiablé. Le sorcier-suzerain s’avachit sur le dos avant de se remettre sur pieds avec lenteur. Il perdit dès lors tout aspect sensé ou intelligent qui soit, et redevint la bête farouche qui bouillait en lui. Il rugit comme un ours en direction de la Hyène.

 Cependant, Théodore se trouvait dans son dos. Une nouvelle fois, il fendit l’air de sa redoutable épée. Il visa le même endroit que précédemment et, ce coup-ci, la lame scinda l’armure interne et s’enfonça jusqu’au milieu de son omoplate. Le courroux du sorcier se muta en un jappement pitoyable.

 Le champion s’arc-bouta fermement puis effectua un tour entier sur lui-même. Avec sa claymore bien enracinée dans les os, il emporta le Worgro dans sa course giratoire et le projeta à plusieurs mètres, sous la statue du Lion.

 A peine le suzerain-sorcier se fut-il levé qu’Owen se jetait sur lui, les deux jambes en avant. La griffe en pierre du Lion ne présenta aucun mal à perforer le torse du Worgro. Ses viscères se déversèrent le long de ses jambes, jusqu’au sol. Le suzerain-sorcier trépassa ainsi, suspendu à la patte d’une divinité disparue.

 Ses flammes magiques s’éteignirent en simultanée avec son ultime expiration.

 Théodore effectua une rapide signe de foi, avant d’embrasser son médaillon brisé.

 — Remercie-le également de ma part, fit Owen, narquois.

 — Courrez ! ordonna Aurore, au loin.

 De la muraille de flamme surgissaient à présent des troupeaux désorganisés de Worgros ivres de colère. Owen et Théodore prirent leurs jambes à leur cou et fusèrent le long du couloir montagneux. Sans flottement, ils déguerpirent de la tornade, qui se dissipait progressivement. Aurore les suivait, empruntant le sentier en surplomb. Lorsqu’ils se retournèrent enfin, après plusieurs minutes de course effrénée, le tourbillon avait disparu et des cadavres par dizaines gisaient au sol. Comme si, en quittant ce monde, la sorcellerie du suzerain avait emmené ces âmes bellicistes.

 Bientôt, Aurore dévala la pente douce pour se joindre à ses compagnons.

 — Eh bien, messagère ! entama Owen. Pourquoi nous avoir caché tout ce temps un tel ressort ?

 — De la débrouille… Seulement un peu de débrouille, répliqua-t-elle alors que le rouge lui montait aux pommettes.

 — De la débrouille ? répéta Théodore, outragé. Vous venez de terrasser un bataillon entier de Worgros, après avoir eu l’audace de leur dérober leurs instruments de destruction. Il ne s’agit pas là de débrouille, mais d’une parfaite alliance entre un audace sans faille et une adaptabilité avisée.

 — J’adhère, commenta le chevalier. Tu nous as sauvé la mise, gamine. Ou devrais-je dire « Aurore Fléau-des-Envahisseurs ».

 Alors même que cela paraissait impossible, les joues de l’adolescente s’empourprèrent davantage. Sereins, ils reprirent la route de l’est.

 Tandis qu’ils se remémoraient, dans un échange de paroles tous azimuts, leurs actes et leurs choix durant cette bataille déséquilibrée, le trio quitta le duché de l’Orion. Sans qu’ils ne s’en rendent comptes, ils entrèrent dans le territoire limitrophe : Yvrefleur.

 Quatre jours. Quatre jours pour traverser l’Orion. A ce rythme, ils atteindraient Forléo selon leurs conjectures. Huit jours. Voilà ce qu’il leur restait pour rejoindre la capitale.

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