Mission suicide

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Son souffle rauque commençait à le faire souffrir. La noirceur ambiante, couplée au brouillard dense et humide, n’arrangeait en rien sa visibilité restreinte. Son sac pesait dans son dos et les pas précipités de Celle qui chasse s'intensifiaient : Elle gagnait du terrain. Owen savait qu’il ne triompherait pas de cette course. Avait-il un plan ? Pas vraiment. Pour cela, le chevalier se riait de lui-même.

Quel fou faisait-il ! Prendre autant de risques pour un maudit champion et une messagère aux origines troubles... Aucune gloire ne lui serait octroyée. Pas plus qu’après avoir mis à mort un suzerain-sorcier. De toute façon, bientôt plus personne ne serait en vie pour écouter le récit de ses combats. Déjà le sourire de Marie s’en était allé. Déjà les yeux admirateurs d’Espérance s’étaient clos à jamais ; du moins l’espérait-il.

Tout en se remémorant le duel au sommet du col de Concorde, Owen palpa son poing bandé et meurtri. Un suzerain-sorcier, par le Lion ! Avec ce champion émérite et cette messagère aux ressources insoupçonnées, ils avaient vaincu l’un de ces rejetons infernaux. Peut-être qu’Aurore avait raison. Peut-être que des gens pouvaient encore être secourus. Secourus d’un destin pour l’instant bien funèbre.

L’espoir, ou un sentiment s’en approchant, gagna le chevalier.

Abandonnant l’idée de semer la prédatrice, il bondit sur le côté et se dissimula sous un amas de racines qui sortaient de terre. Couvert derrière la mousse, il se déroba au regard iridescent de la bête. Cette dernière fusa tout proche, sans s’arrêter, animant les feuilles écarlates et magnétisant les racines comme les branches.

Une fois la tempête passée, Owen risqua un œil en dehors de sa cachette. Au travers du voile d’humidité presque palpable, il repéra une explosion de couleurs rougeâtres. Un cri odieux et pitoyable retentit l’instant d’après. Un Worgro isolé. La bête devait chasser quelques égarés. Voilà pourquoi elle les avait pris en chasse, lui et ses deux compagnons.

Au demeurant, son plan avait fonctionné. Owen quitta son abri.

Le sud-est de la forêt, à présent. Là-bas, Théodore et Aurore l’attendraient. S’ils n’avaient pas déjà prié le Lion en son nom. Owen s’amusa à imaginer le visage de ses compagnons de route, en le voyant revenir d’une mission suicide, sans aucune égratignure.

Suivant un sentier, tracé par les allées et venues du peuple linien, par la curiosité des voyageurs et par les charrettes des marchands d’autres horizons, Owen s’égara dans une torpeur due à la redescente de ses émotions. Cela faillit le mener à sa perte.

Un fer luisant et tranchant surgit de derrière un arbre. Son ouïe l’avertit avant sa vue, puisque l’arme, forme bâtarde entre une hache et une épée, l’attaqua sur le flanc droit. Entrainé et expérimenté, le chevalier esquiva, se recoquillant au point de tirer sur sa terrible cicatrice dorsale. La lame se figea dans l’écorce du tronc voisin.

Un Worgro !

Par réflexe, Owen frappa de son poing. Il le regretta aussitôt, blasphémant comme peu pouvaient s’en targuer. Ses doigts, déjà bien amochés, craquèrent sous le choc. Malgré la douleur intense, le chevalier réalisa que son coup avait déboussolé le Worgro. Au lieu de dégainer son épée, Owen se contenta d’attraper le monstre par la nuque et de l’entrainer contre sa propre arme, enfoncée dans l’arbre. Le fil de la lame tailla net le visage ingrat du Worgro, se logeant à jamais entre les parois de son crâne. N’eut-il pas rendu l’âme, qu’un second barbare infâme jaillissait d’un autre recoin sombre pour entreprendre la même opération.

Owen s’apprêtait à éviter l’offensive, lorsqu’une silhouette animale et majestueuse passa sous son nez, emportant le Worgro dans sa ruée. Toutes les feuilles s’illuminèrent en rouge, donnant l’impression d’observer un coucher de soleil d’une proximité insensée. Des lianes volatiles suivirent la forme indescriptible, tels les bras ondulants d’une méduse portée par les courants.

Le chevalier se pétrifia. La peur cloua ses pieds au sol et le strangula. Il n’osa pas même sortir l’épée de son fourreau, de crainte que le crissement n’irrite la prédatrice.

Un grognement s’éleva dans son dos, à au moins deux mètres au-dessus de lui. Le brouillard s’épaissit alentour. Le souffle de la bête. Voilà ce qu’était cette brume. Voilà comment elle traquait. Owen aurait dû s’en douter. Lui-même était un chasseur, après tout. Un chasseur d’hommes.

Des lianes et des branches le dépassèrent puis l’encerclèrent. Pourquoi n’était-il pas déjà mort ? Au bord d’une pâmoison, Owen se souvint du dogme et des pratiques religieuses des Liniens. Rien de très précis, certes. Mais un élément bien particulier lui revint, aussi clairement que s’il avait vécu ces scènes la veille. La prédatrice incarnait en ces bois une divinité. Et, en être divin, elle méritait le respect, la vénération.

Faisant preuve d’une lenteur cérémoniale, Owen dégaina puis posa un genou à terre.

Derrière lui, un grouillement auditif s’amorça. Une matière organique et végétale le frôla de part et d’autre, avant de se recomposer devant lui. Le chevalier déglutit.

Car il savait ce qui l’attendait.

Les Liniens démontraient leur dévouement religieux d’une façon presque inconcevable aux yeux d’un profane.

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