Le ponton

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« Courrez ! » s’époumona Owen. Alors qu’il menait la troupe vers les terres aux nord de Debere, il fit volteface pour rejoindre l’arrière du groupe. Il passa à côté de Ma-lio, qui ne pouvait pas se battre, les bras occupés avec les trois enfants. Aurore le suivait de près. Le chevalier lui donna une impulsion de la main, lorsqu'il la dépassa. Owen se posta enfin sur la même ligne que Varlii, qui repoussait tant bien que mal les Worgros hargneux.

Le chevalier fouetta l’air, sans cible précise. Sa lame fendit l’œil d’une femelle Worgro, qui s’écroula dans sa ruée, freinant plusieurs de ses congénères. Le groupe gagna un peu de terrain grâce à l’offensive d’Owen, mais celui-ci se vit très vite encerclé par d’autres barbares furibonds. Il roula-boula vers l’avant, in extremis, pour se dérober aux prises griffues des femelles. Au moment de se relever, une lance caressa ses cheveux pour se planter dans une tête ennemie. Une main puissante le souleva et lui donna de l’élan pour repartir à toute allure. Varlii veillait sur lui.

L’avancée vers les pontons septentrionaux se poursuivit ainsi. La Linienne et l’humain combattirent côte à côte dans un relai sanguinaire, telle une tornade hérissée de fers tranchants. Les Worgros churent les uns après les autres, dessinant une langue rouge sur le gris nocturne de la plaine. Mais le souffle commençait à manquer au chevalier. Des élancements partaient de la cicatrice dans son dos et s’éparpillaient jusque dans ses bras. Dans son crâne, le sang martelait si fort qu’il aurait pu suinter de son orbite close.

« Si seulement ce satané champion n’était pas l’esclave de sa foi, nous n’en serions pas là. Cela m’étonnerait que le Lion ait un jour affirmé que le mort prévalait sur le vivant. » Voilà tout ce qu’il trouvait pour se donner de la force : la colère. Une colère dirigée vers son compagnon de route. Même cette obtuse Linienne les avait laissés. Par leurs choix, ils condamneraient peut-être le reste du groupe.

Owen hurla, exprimant sa fureur dans un coup puissamment envoyé. Sa colère lui embrumait l’esprit. De cette baisse de clairvoyance, le chevalier commit une erreur qui lui couta presque la vie. Son épée s’enfonça trop profondément dans la chair de son adversaire et s’y coinça. Pris au dépourvu, Owen se vit dans l’obligation d’abandonner son arme. Heureusement pour lui, la Linienne le couvrit le temps qu’il s’éloigne de la mêlée. Les lames ennemies passèrent proche de lui sans l’atteindre.

Le chevalier décida de reprendre les rênes de leur fuite. Il poussa la bande en haut d’une éminence herbeuse, depuis laquelle ils auraient indéniablement une vue sur le lac d’Yvrefleur. Parvenant au faîte du mamelon, le paysage stupéfia Owen.

Le lac…

Le lac était tari. Une boue sombre miroitait sous l’œil autoritaire de la lune. Plus loin, vers le centre de la cuve naturelle, une gigantesque forme stagnait. Tel un rocher oublié sous les eaux lacustres. Mais ce n’était pas un simple rocher, Owen le savait. Une ville s’érigeait dessus. Si le lac était asséché, cela en disait long sur la sécurité des habitants.

Peu importait ! Avec la harde infernale à leurs trousses, Owen ne pouvait changer du tout au tout leur plan. Il poursuivit donc sa course vers le ponton le plus proche. Même si la boue avait enseveli les barques, le groupe pourrait utiliser les échelles pour atteindre la zone en contrebas, sans avoir à sauter dans la fange, au risque de s’y embourber.

Pendant leur progression vers le lac, Owen dicta au groupe la marche à suivre une fois à destination.

— Ma-lio, tu descendras le premier. Avec les trois enfants. Aurore descendra en simultanée, par l’échelle de l’autre côté du ponton. Varlii et moi retiendrons les Worgros en attendant. Varlii, il te faudra me fournir une lance, j’ai perdu mon épée. Une fois en bas, Ma-lio couvrira ta descente tandis qu’Aurore et les enfants avancerons vers la ville au milieu du lac. Puis ce sera à toi, Varlii, d’assurer ma descente. A cause de leur maillage de métal, les Worgros peineront à progresser dans la vase. Ce sera notre chance de les semer.

Owen n’entendit pas leur consentement. Mais il savait qu’ils adhéraient à ses directives. De toute façon, les choix se montraient maigres. Arrivés au ponton, qui s’élevait à six ou sept mètres du fond fangeux du lac, chacun fit sa part. Owen et Varlii firent demi-tour, leurs lances pointant vers l’amas grouillant et tonitruant. Aurore emprunta l’échelle et Ma-lio se plia pour descendre de son côté.

Un javelot projeté avec une férocité incroyable fusa entre les deux protecteurs et atteignit Ma-lio dans le dos. Owen observa la scène se dérouler au ralenti, prenant conscience du bourbier dans lequel ils évoluaient. Le Linien chuta droit dans le vide. A son torse, épinglé tel un tabard, un enfant chutait avec lui, mort sur le coup.

Dans un dernier acte de bravoure, Ma-lio abrita les deux enfants encore vivants entre ses muscles fermes. Il atterrit dans un mélange de succion et de craquement. Les deux enfants pleurèrent bruyamment, signe de leur survie.

— Aurore ! la héla-t-il. Occupe-toi des enfants et prends de l’avance. Nous te rattraperons.

« Nous te rattraperons », répéta-t-il pour lui-même. Du moins, s’ils sortaient vivants de cette bataille déséquilibrée. Owen poussa un cri de rage et enfonça sa lance dans la bouche d’une attaquante.

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