Doute
« La petite certifie qu’elle a un message. L’as-tu vu son message, toi ? Moi, non ! »
La remarque de la Linienne Draliaa, plus tôt dans la journée, résonnait encore dans la boite crânienne du chevalier. « Moi non plus, je n’ai jamais vu ce message », avait observé Owen. Ce commentaire abreuvait, depuis, ses pensées de suspicions.
Lorsque le chevalier remarqua le réveil d’Aurore et sa sortie de la pièce, ses soupçons prirent le pas sur ce qui lui restait de politesse. Il vérifia que les Liniennes ne regardaient pas dans sa direction, puis jeta un œil sur les deux enfants. Il tourna ensuite sur lui-même, s’orientant vers le sac de voyage de l’adolescente. Subrepticement, il faufila sa main dans la proche principale.
Au toucher, il identifia des fioles de verre et des pots d’argile fermés par des cordelettes. Ces récipients renfermaient des onguents, des crèmes anesthésiantes et des cataplasmes. Owen se rappelait de chacun d’entre eux, puisqu’Aurore l’avait soigné à plusieurs reprises déjà. Il n’en compta pas de nouveau. Et puis, qui irait mettre une lettre dans un tel contenant ?
Se trouvaient également dedans des bandes de tissus, destinées aux soins, ainsi que des aiguilles et des fils, dont une partie avait été utilisée pour suturer les blessures des deux guerriers. Dans une poche, cousue à l’intérieur, s’amassaient les vêtements de la jeune fille. La honte et le scrupule gagnèrent le chevalier mais sa défiance l’emporta. Il plongea sa main sous les habits. Ses doigts effleurèrent alors un objet piquant. Intrigué, Owen le saisit entièrement. Pas plus gros qu’une paume d’enfant, cet objet plat se composait de plusieurs branches arquées. Une sorte d’étoile.
Le chevalier allait l’extirper du sac lorsque quelqu’un se râcla la gorge dans son dos.
Quel idiot ! Il n’avait pas surveillé la trappe.
Aurore se pencha sur lui, les yeux plein de reproches.
Owen retira immédiatement sa main du sac. Des justifications se bousculèrent sous son palais mais ses lèvres ne daignèrent s’ouvrir. Aucun mot n’aurait fait honneur à ses pensées.
Malgré tout, le regard d’Aurore s’adoucit. Le chevalier fut propulsé dans un lointain passé.
Il fait soudain face à une Marie, âgée d’une petite quinzaine d’années. Dans le regard de la jeune fille se bataillent réprobation et mansuétude. Owen vient de casser une dent à Milo, un jeune noble de Forléo, qui se moque régulièrement de ses origines douteuses. Il l’a bien mérité, a envie de crier l’adolescent. Mais il se tait.
D’un seul froncement de sourcils, Marie fait déguerpir les amis de Milo, qui viennent de passer à tabac le casseur de dent. Le froncement de sourcils dérive vers Owen. Hélas, lui ne peut pas s’échapper.
Elle déclare que ce n’est pas avec ce comportement qu’il deviendra chevalier. Les valeurs sont le fondement de la chevalerie. Et s’emporter ainsi n’est assurément pas une valeur de cet ordre.
Le visage de Marie s’altère. Les traits d’Aurore s’esquissent.
— Je n’ai pas à recevoir de remontrance de la part d’une gamine, maugréa Owen, ignorant la présence des enfants. La Linienne a raison. Ton message, personne ne l’a vu. Qu’est-ce qui nous garantit que tout ceci n’est pas qu’une vaine quête vers l’est ? Hein ? Donne-moi une preuve, fillette. Quelque chose de tangible, de concret !
— Le message que je dois porter à Forléo réside ici, précisa l’adolescente en pointant sa tempe. Vous ne trouverez rien dans mon sac, Hyène Owen. Je n’ai rien de tangible ou de concret à vous offrir, si ce n’est ma parole.
— Des mots, rien que des mots ! fulmina le chevalier, en se levant pour dépasser Aurore. Quand bien même j’accorderais du crédit à tes assertions, gamine, comment pourraient-elles sauver un royaume entier ? Comment le verbe pourrait-il stopper la progression d’une armée dénuée de raison ?
— Sur quelle preuve, tangible ou concrète, vous basez-vous pour avancer que les Worgros sont privés de raison ?
— Ce sont des animaux !
— N’en sommes-nous pas également ?
Owen poussa un cri rauque avant d’ouvrir la trappe et de quitter la pièce.
— Sacré spectacle ! s’amusa Draliaa. Ces discussions posées vous arrivent souvent ?
— Le contexte joue avec nos nerfs.
— C’est un grand impassible, votre ami.
Aurore eut un petit rire.
— Ceci n’est pas entièrement de son fait. Il y a, en ces lieux, une aura mauvaise. Une force qui corrompt les cœurs et qui y sème le doute. Ne le ressentez-vous pas, vous aussi ?
— Depuis le village sur le bord du lac, cela n’a fait que s’intensifier, confirma Varlii. Mais déjà dans le sanctuaire de Karr-l’ieh, cette sensation rôdait comme un charognard à l’affût d’une faiblesse de notre part.
— Je pense que cette perversion émane des cristaux d’améthyste, répondit Aurore.
— Cette glace est l’œuvre d’un sorcier. Je l’ai vu la mander d’un monde inconnu, au travers de portails lumineux.
— Nous devrions nous hâter de retrouver ce sorcier et de le supprimer, si nous ne voulons pas que le doute reste à jamais figé dans nos cœurs.
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