L'épée d'un Ours
Owen passa devant Théodore, fugitivement. Le champion dormait, adossé sous la fenêtre. Aurore avait dû lui assener une semonce mémorable pour qu’il trouve le sommeil aussi aisément. Un rictus naquit sur les lèvres d’Owen, puis il quitta cette deuxième pièce. Parvenu au rez-de-chaussée, il hésita à franchir le seuil. Jugeant plus avisé de demeurer à l’intérieur, au vu de la menace ambulante et invisible, Owen s’assit dans un coin, près d’un âtre comprenant quelques bûches.
Au-dessus de l’âtre, accroché à la cheminée, présidait un fourreau. D’une facture peu commune, il reluisait tel un trophée au milieu de cette pièce. Owen se redressa et décrocha l’arme de son support mural. Le matériau de l’étui ne ressemblait pas à de l’acier ordinaire. En glissant sa paume dessus, Owen crut toucher du verre. Un verre noir. Était-il aussi résistant que du métal ?
Des lignes courbes, d’une matière ocre et brillante, peut-être de l’airain, ornementaient le fourreau sur toute sa longueur. Le manche de l’épée longue ne détonnait pas avec la gaine. Une tête d’ours, qui affichait ses petites dents de fer, parachevait le pommeau avec élégance.
Déchiffrer l’histoire de cette arme devint soudain élémentaire. Il s’agissait non pas d’une épée de guerrier mais de celle d’un vétéran. Un arme honorifique offerte à un chevalier de la caste des Ours, pour ses loyales années de service. En observant à nouveau les courbes dorées sur le fourreau, Owen eut la confirmation qu’il attendait. Les lignes s’enchainaient pour écrire un mot en langue ancienne : « Vostan. » La devise des chevaliers de Koordie.
« Vôtre », traduisit Owen en dégainant son épée. En quelques moulinets du poignet, l’homme réalisa qu’il ne s’agissait pas uniquement d’une arme d’apparat. Parfaitement équilibrée, aiguisée comme tout juste sortie de la forge et légère au point d’en oublier sa présence : un véritable chef d’œuvre.
« Je suis presque heureux d’avoir perdu mon arme dans la bataille », fit Owen à voix basse. Le chevalier rengaina l’épée et sangla le fourreau autour de sa taille. Si le vétéran l’avait laissée ici en prenant la fuite, c’était qu’il se savait incapable, peut-être à cause de l’âge, de la manier adroitement. Owen en ferait meilleur usage.
Il retourna s’asseoir à sa place initiale et ferma les yeux. Se sentant à l’abri, avec cette nouvelle arme à ses côtés, il laissa les rêves le cueillir.
Au cours de la nuit, un cauchemar insoutenable envahit ses plaines oniriques.
Un cor de guerre tonnait dans le lointain, invoquant des âmes noires depuis le tréfonds d’une mer imperceptible. La stridence du son déchira les vêtements d’Owen, puis rouvrit ses plaies les plus récentes. Oaïna, la jeune magicienne, se dressait sur son flanc. Elle le suppliait de se relever. Owen refusait. Il était las, courbatu et meurtri. « Non ! disait la fillette. Tu iras aussi loin que tu le devras. »
« Tu iras aussi loin que tu le devras. »
« Tu iras aussi loin que tu le devras. »
« Tu iras aussi loin que… »
Owen se réveilla au milieu de la nuit. Mais le cor de guerre n’avait pas cessé. Au contraire, il paraissait plus puissant encore. Ou plutôt, plus proche. Le chevalier le reconnut. Il s’agissait d’un cri similaire à celui qui avait retentit dans la forêt.
Le suzerain-sorcier.
La peur poignarda Owen à la poitrine. Son cœur s’écrasa sur lui-même, comme si une main malveillante le compressait pour le faire exploser. Un liquide chaud humecta ses lèvres et y laissa un goût de métal. Le chevalier se recroquevilla, puis se blottit dans le coin de pénombre qui lui servait de couche.
Ses oreilles perçurent alors des sons aux échos dénaturés. Un tambour de guerre supplantait les bruits de pas qui approchaient. D’un souffle perçant, une voix abhorrable vomit une série de sons déformés. Parmi eux, Owen en comprit certains.
Kahlaar, Virrtah, Garahane.
Le monstre les pourchassait. Lui, le Un-Œil. Théodore, le Courbé. Tous deux, les Sans-chefs. Mais Aurore était leur chef ; elle, le Fléau-des-Envahisseurs.
Owen aurait voulu le hurler. Mais sa vision se troubla et il s’évanouit.
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