Entre glace et résolution
Les cinq voyageurs prirent la direction du sud. Pour la première fois depuis le début de leur aventure, Théodore remplaça Owen dans son rôle de meneur. Il connaissait l’emplacement du temple du Lion qu’avait évoqué Aurore. Jadis, lorsqu’il avait fait le trajet jusqu’ici pour enterrer son frère d’armes, il avait séjourné dans ledit temple. Une semaine de requiem pour honorer cet ami.
Serti dans une éminence rocheuse, au beau milieu d’une plaine immense, l’édifice n’avait rien à envier aux forteresses parsemant le royaume. Renforcé par des bastions et de solides tours hexagonales, le bâtiment religieux pouvait résister à un siège militaire. En revanche, face à des projectiles de glace magique, plus rien ne garantissait la sûreté des soldats du bataillon d’Airain.
Ils n’eurent pas à courir longtemps avant d’entrevoir les contours de la bataille asymétrique. Aussi plates que vastes, les étendues verdoyantes ne présentaient absolument aucun obstacle sur leur route. La marée noire de Worgros grouillait au pied des remparts, sous la pluie de flèches des soldats humains.
Loin derrière le troupeau hargneux, protégé par deux mastodontes, le suzerain-sorcier bénéficiait d’une vue dégagée. Il s’était juché sur l’une des statues du Lion, qui définissaient le périmètre du sanctuaire. Depuis son perchoir, il invoquait des pics de glace pour alimenter le déluge d’améthyste qui harcelait la bâtisse.
Par la myriade de couleurs mirifiques qui s’en dégageaient, le spectacle aurait séduit bien des esprits. Enfin, si seulement tout cela ne s’inscrivait pas dans un contexte martial aussi terrifiant.
— La voie jusqu’au sorcier est libre, déclara Owen, étonné.
— Profitons-en pour planter sa tête au bout d’une pique, suggéra Draliaa.
— Peux-tu l’atteindre d’une flèche ? la questionna Théodore.
— Inutile, les coupa Aurore. Observez bien. Une bulle l’entoure entièrement.
— Le soleil miroite dessus, en effet, admit Owen. Une protection magique ?
— Sûrement !
— Dans ce cas, approchons-nous subrepticement. Poignardons-le avant qu’il ne nous repère.
C’est ainsi que, diligents et rasant l’herbe basse, les cinq assassins se faufilèrent jusqu’à leur proie. Les clameurs de la confrontation couvrirent leurs pas jusqu’à destination. La lance de Varlii transperça la nuque du premier mastodonte, qui se débattit tant bien que mal. La Linienne dut immobiliser le Worgro au sol pour qu’il ne blesse personne dans son baroud d’honneur.
Théodore s’occupa du deuxième garde. D’un large mouvement de hanche, il fustigea l’air à l’horizontal. Averti par son odorat, le guerrier sombre fit volte-face et amortit le coup avec sa main. La claymore trancha ses doigts et mordit la chair et le métal de son cou.
Décontenancé durant cet instant critique, Théodore encaissa un redoutable horion dans la mâchoire, sous son heaume. Titubant à reculons, le champion fut rattrapé par Draliaa avant qu’il ne chute. Le Worgro mit à profit cette ouverture pour dégainer son immonde sabre. La lame se logea dans l’épaule de la Linienne avec férocité. Son ossature plus robuste qu’un humain lui évita de perdre son bras.
Au demeurant, son cri de souffrance avertit le suzerain-sorcier de leur irruption. De nouveaux javelots violets se formèrent au-dessus de lui.
Owen réagit sur-le-champ. Il chargea à toute vitesse, dégaina son épée au pommeau en tête d’ours et frappa dans un unique et même geste. Le fer s’abattit sur le pli du coude du Worgro, qui avait toujours son arme plantée dans la Linienne. Atteignant la jonction des os et, par la même occasion, une partie plus flexible du renforcement interne, l’épée scinda le bras en deux.
Libéré de son carcan, Varlii eut juste le temps de se jeter sur le côté avec Théodore pour esquiver les projectiles du sorcier.
— Varlii ! hurla Owen, après une roulade agile.
La Linienne relâcha la pression qu’elle mettait sur le Worgro moribond, au sol, pour s’équiper d’une autre lance. Son tir en direction du suzerain s’avéra vain, mais confirma la présence d’une protection magique autour de ce dernier.
Le Worgro, privé de doigts d’un côté et d’un avant-bras de l’autre, tempêta de rage. Un coup vif et bestial partit de pied pour percuter le chevalier en plein thorax. Owen voltigea dans l’herbe au loin, le souffle coupé.
Son adversaire progressa vers la Hyène, se préparant à broyer son crâne sous le poids de sa botte. Varlii intervint et s’élança vers lui, une lance pointée vers l’avant. Elle asséna un coup foudroyant au Worgro, qui lâcha un grognement anémique.
Dotée de réflexes nettement supérieurs à ceux des hommes, la Linienne fit levier avec sa lance pour déplacer la lourde et massive dépouille. Plaçant le corps entre elle et le suzerain, elle s’en servit comme d’un bouclier pour arrêter les lances de glace qui fusaient sur elle. Sauve mais fléchissant sous les multiples heurts, elle s’affaissa et tomba à la renverse. Immédiatement, le cadavre du Worgro la recouvrit et la paralysa.
De son côté, Théodore ordonna à Draliaa de s’éloigner de la rixe : elle n’était plus apte au combat. Malgré ses protestations, la Linienne finit par prendre du recul. Elle ne ferait que les gêner avec ses mouvements ralentis.
Théodore et Owen perçurent au même instant l’appel d’Aurore.
L’adolescente s’était glissée derrière la statue du Lion et l’avait escaladée, une lance d’améthyste dans les mains. Le suzerain-sorcier ne la repéra qu’au dernier moment. La jeune fille frappa la bulle protectrice de son arme improvisée. La matière magique eut l’effet escompté par la messagère. Son pic et la carapace se lézardèrent.
Owen comprit qu’il devait agir. Il arma son épée longue au-dessus de sa tête et la projeta de toute ses forces. Que ce fût par volonté ou par chance, le chevalier ne sut jamais : la lame vola droit sur le suzerain, traversa la glace fracturée et se logea dans la poitrine du sorcier.
— Owen, achève-le ! lui dicta Théodore, qui s’était positionné sous la statue, prêt à le porter sur la plateforme.
Le chevalier s’exécuta. Il prit de l’élan, s’arc-bouta sur le corps fermement ancré dans le sol du champion et bondit jusque sur la crinière du Lion. Ne gaspillant pas la vitesse acquise, Owen fondit sur le suzerain blessé. Il tira la dague qui patientait dans sa botte et la glissa dans la jugulaire de son ennemi.
Cela ne suffit toutefois pas.
Le Worgro empoigna la Hyène par le cou, l’étranglant, puis l’expulsa de la statue. Gardant son sang-froid, Owen maintint ses doigts accrochés au manche de son épée afin de la déloger. Il entra en collision avec Aurore et tous deux dégringolèrent.
Théodore n’hésita pas l’ombre d’instant. Il courut rejoindre ses compagnons pour s’assurer de leur état. Grâce au Lion, l’adolescente et l’homme paraissaient indemnes. Le champion releva d’abord Aurore avant de tendre la main au chevalier.
— Eh merde ! jura Owen, en pointant le Worgro qui descendait de la statue. Ce monstre est immortel !
— Non, réfuta Théodore. Il est blessé. Tes coups ont fait mouche. Terminons sa misérable vie maintenant.
Owen hocha la tête et dressa son épée rougie par le sang de son adversaire. Théodore l’imita, son imposante claymore devant lui. Le suzerain-sorcier, quant à lui, façonna une lame de glace violette. Elle dépassait en taille l’arme du champion.
Le chevalier ne ploya pas sous la menace. Il amorça une offensive, que le Worgro contra sans difficulté. Attaquant à son tour, le suzerain écrasa Owen de sa force. Ce dernier fut contraint de s’agenouiller, pour trouver de meilleurs appuis et repousser l’attaque.
La lame de glace pointa de nouveau le ciel, prête à s’abattre, mais Théodore coupa sa lancée en agressant son porteur. Owen exploita la brèche que venait d’ouvrir son compagnon. Il décrocha la dague du cou du Worgro et roula vers l’avant, passant dans le dos de l’ennemi. A la conclusion de son acrobatie, Owen planta son poignard dans le jarret de l’adversaire.
Tombant à genoux, le sorcier se retrouva à la merci de Théodore. Les coups verticaux venant du champion s’enchainèrent mais rien n’y fit. L’arme d’améthyste et la vigueur de son propriétaire ne cédèrent pas.
Owen se plaça sur le flanc de son allié et asséna un considérable coup en simultanée avec celui du champion. Sous le choc des deux lames, la glace violette explosa.
Le visage du Worgro accueillit deux tranchants véloces qui le déformèrent.
Le sorcier mourut sur le coup.
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