Le général Ordhoutt
Théodore délogea sa claymore du faciès difforme et sanguinolent du Worgro. Il ne s’accorda pas un instant de répit, récupéra le sac d’Aurore et retrouva Draliaa. Cette dernière, à genoux, maintenait une pression constante sur sa profonde plaie à l’épaule. Derrière son masque d’argile blanc, elle haletait.
— Beau combat, parvint-elle à articuler.
— Merci, répondit le champion en fouillant dans la besace. Tu m’as sauvé la vie, face au mastodonte.
— Perdre un bras pour un humain. Qui aurait pu croire Draliaa Karta’rinn capable d’un tel sacrifice ?
La Linienne ricana tandis que Théodore bandait sa lésion.
— Tu ne vas pas perdre ton bras. Les remèdes de notre messagère ont déjà fait leurs preuves. En revanche, tu devras éviter le combat pendant un temps.
De son côté, Owen apporta son concours à Varlii. Toujours bloquée sous la masse corporelle du mastodonte, elle enrageait bruyamment. Le chevalier tira sur ses muscles fatigués et parvint à décaler le corps pour libérer la Linienne.
— Tu t’en es sortie de justesse, remarqua Owen en indiquant les pics de glace plantés dans la dépouille noire.
— En effet, fit la Linienne en s’époussetant après s’être relevée. Vous formez un excellent trio. Cette petite humaine fait montre de ressources stupéfiantes.
— Je me fais souvent la même remarque. Si tu l’avais vue enflammer la tornade magique contre l’autre sorcier… Elle est imprévisible.
— Nous pourrions presque nous questionner sur qui protège qui, au sein de votre communauté.
— Elle nous protège de nous-même, c’est indéniable.
Les cinq survivants de l’affrontement se regroupèrent. Il leur fallait dès à présent aider le bataillon d’Airain à vaincre la harde ennemie. Les voyageurs dépassèrent la statue du Lion et observèrent le temple où se déroulait la bataille. Ebahis, ils regardèrent les portes du temple s’ouvrir.
Une charge de cavaliers surgit de la gueule béante de l’édifice à tête de Lion. Dans un grondement rivalisant avec le tonnerre, les chevaux tambourinèrent la plaine et les soldats se galvanisèrent d’un puissant cri de guerre. Tel de l’airain en fusion, la chevauchée se répandit sur chaque coin du sombre moule, jusqu’à le couvrir entièrement.
Privée de son magicien, les Worgros désordonnés furent supprimés les uns après les autres.
Des hourras et des vivats se substituèrent aux clameurs guerrières. Les cavaliers s’engagèrent dans une ronde sur les cadavres encore chauds des Worgros. Ils vérifièrent la mort de chaque ennemi puis rejoignirent les cinq voyageurs.
Rapidement encerclé, le petit groupe se sentit en insécurité. Néanmoins, ce sentiment s’effaça lorsqu’un homme à l’armure en cuivre rouge descendit de sa monture. Il ôta son heaume, présentant un visage affable mais fourbu.
— Bonjour ! Je me présente, je suis le général Ordhoutt, chef du bataillon d’Airain. Je ne vous connais pas, mais je tiens à vous remercier sincèrement pour votre intervention décisive dans cette bataille. Comment êtes-vous parvenu à vaincre un suzerain-sorcier à vous cinq, je ne peux me l’expliquer. Bravo, en tout cas.
Aurore s’avança devant la mine interloquée du meneur d’armée.
— Bonjour, général. Mon nom est Aurore. Je suis en mission. Je porte un message destiné à Forléo, qui, s’il atteint la capitale avant les Worgros, renversera cette guerre. Se trouvent à mes côtés, le champion de la foi Théodore et la Hyène Owen. Draliaa et Varlii, ces deux braves Liniennes, nous ont accompagnés depuis la forêt sacrée.
— Un message qui renversera cette guerre, hein ? répéta le général, sceptique.
— Je ne vous demande pas de me croire, général. Je tenais seulement à apporter une once d’espoir parmi les rangs de votre bataillon. La guerre peut encore être remportée.
— Mais cela dépend de la promptitude avec laquelle vous gagnerez Forléo.
— Oui.
— Les Liniennes vous accompagnent-elles ?
Aurore pivota vers les chasseresses, attendant leur réponse.
— Non, répondit Draliaa. Notre mission était d’accompagner ces humains jusqu’aux frontières d’Yvrefleur. Nous n’y sommes pas encore. Mais la menace a été exterminée. Maintenant, il est temps pour nous de retourner dans notre forêt. Il subsiste là-bas certains représentants de cette engeance.
— Nous nous dirigeons vers les montagnes au nord, avec le bataillon. A présent que les habitants de la cité volante sont saufs, la meilleure option reste de les laisser s’occuper de leurs blessés tandis que nous partons affronter les escadrons meurtriers qui sont passés par les voies septentrionales. Peut-être pourrions faire un bout de chemin ensemble, Liniennes ?
— Je commencerais presque à m’habituer à la compagnie d’humains, fit Draliaa en ricanant. Nous voyagerons ensemble alors, soit.
— Bien. Vous concernant, reprit le général en s’adressant au trio en route vers Forléo, prenez deux de mes chevaux. J’espère qu’ils vous aideront et, par extension, aideront le peuple koordien tout entier. Hâtez-vous. L’avancée worgro semble inépuisable.
Les séparations entre les Liniennes et les humains se firent dans une certaine mélancolie. Une journée, certes très longue, avait suffit pour forger un lien unique entre chaque membre de cette troupe. Se reverraient-ils avant la fin ? Personne n’osa se le promettre. Le contexte actuel ne leur garantissait aucun avenir sûr.
Après des remerciements pour les montures, Aurore, Théodore et Owen empruntèrent la route du sud. Ce nouvel atout jouait en faveur du plan d’Owen. Il fallait en temps normal trois jours à pieds pour parcourir Yvrefleur. Ces chevaux leur permettraient d’atteindre le duché du Meridian à l’aube du troisième jour. Du moins, l’espérait-il.
S’il avait su ce qui les poursuivait, jamais il n’aurait fait un pari aussi optimiste. Car, derrière le galop de leurs chevaux, une ombre invisible glissait sur la plaine, telle une peur imperceptible.
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