Le Méridian

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L’aube du sixième jour les réveilla avec douceur, telle une mère attentionnée. Des courbatures retardèrent le lever des deux guerriers mais ils ne pouvaient se plaindre de douleurs plus importantes. Leur corps endurci semblait se délester des maux encombrants, à l’approche du duché du Méridian. Même la main d’Owen ne le lançait plus. Les onguents de leur messagère s’avéraient efficaces.

Debout avant les deux hommes, Aurore s’était promenée autour du campement. Sur l’amoncellement de rochers qui dominait leur bivouac, l’adolescente avait découvert des nids de volatiles. Sûrement des caillecanies, ces petites chouettes au bec menaçant issues des îles méridionales du duché.

Pendant que les œufs cuisaient dans une poêle sous la surveillance de la jeune fille, Owen relata une anecdote à propos de ces curieux oiseaux nocturnes. Lors d’une expédition avec son mentor, le père de Marie, il avait dû survivre une semaine sur l’île de Palaj-diu, petit morceau de terre émergée au sud de l’archipel d’Osakima. Esseulé en terrain inhospitalier et totalement sauvage, le jeune garçon avait dû s’acclimater et apprendre à récolter sa propre nourriture.

— Tu as fini par dénicher des œufs de caillecanies ? anticipa Théodore en venant s’asseoir à côté du feu.

— Oui. J’ai découvert un regroupement de nids dans des rochers. J’en ai profité pour remplir le tissu suspendu à mon bâton qui me servait de sac. Mais le soir venu, alors que je cassais mon précieux butin pour le diner, une nuée de volatiles furieux s’est abattue sur moi.

— Les caillecanies ? s’enquit Aurore, absorbée par l’histoire, omettant totalement la cuisson des œufs.

— En effet ! J’ai pris mes jambes à mon cou. Heureusement, la mer se trouvait à proximité et je suis parvenu à m’y abriter avant que ces rejetons infernaux ne me privent de la moindre couche de peau. J’ai patienté jusqu’au lever du jour, que ces sales bestioles s’en aillent et me laissent sortir de l’eau.

Le champion partit d’un long rire exultant. Mi-moqueur mi-amusé, il gratifia le chevalier de sobriquets peu glorieux, ce qui arracha un rire à ce dernier. Aurore, la main posée sur sa bouche bée et les yeux exorbités, s’inquiéta malgré la liesse des deux hommes.

— En gardez-vous des séquelles ?

— Pas la moindre, fillette ! C’était une époque où j’avais encore mes deux yeux et je courrai aussi vite qu’un fenn. En revanche, j’en retiens une leçon primordiale pour quiconque désire survivre en Méridian. Ne jamais casser un œuf de caillecanie le soir tombé. Ces petites chouettes sentent et repèrent des lieues à la ronde l’odeur de leur création. Hélas, mon mentor ne m’en avertit que trop tard.

— Ces oiseaux, sont-ils capables de tuer un homme ? s’inquiéta Aurore, en soulevant la poêle du foyer pour servir le repas.

— Ils rongeraient un sanglier si celui-ci s’en prenait à leurs protégés. Mais ne crains rien, ils ne volent que de nuit. L’aube est déjà sur nous. D’ailleurs, nous devrions nous hâter. Cette nuit reposante nous permettra de poursuivre notre route avec davantage d’énergie et de rapidité.

Ses deux compagnons acquiescèrent, engloutirent leur petit-déjeuner et empaquetèrent leurs affaires. Owen détacha les deux juments et les mena par leurs rênes jusqu’à ses compagnons. Aurore monta avec Théodore, comme la veille, et le chevalier s’installa sur la selle libre de l’autre monture.

Ils reprirent leur voyage, sous une brise hivernale qui portait en elle le printemps. Accentué par l’allure des chevaux, le vent froid fouettait leurs faciès. Rien de désagréable cependant. Cela revigorait les deux guerriers. De son côté, Aurore se blottit contre le torse bardé de fer du champion.

Théodore la sentit trembloter, mais aucune plainte ne remonta à ses oreilles. Elle savait que gémir ne changerait en rien le temps et ses caprices. Yvrefleur s’acheva progressivement sous le galop des chevaux.

Après avoir passé l’ultime colline méridionale du duché, Owen fit ralentir leur course. De son index tendu, il indiqua une large rivière qui serpentait entre deux berges rocailleuses.

— Chind-Jitzu. La frontière entre Yvrefleur et le Méridian. Nous approchons.

Owen tourna la tête vers les deux autres cavaliers, comme pour savoir s’ils avaient compris. Théodore observait l’horizon, perdu dans ses pensées. Aurore, quant à elle, arborait un sourire espiègle.

— Qu’y a-t-il ?

— Une pensée, simplement, répondit la jeune fille. Nous voyageons depuis cinq jours ensemble et nous voilà à la moitié du parcours. Cela représente une courte distance et un temps restreint, dans toute une vie. Pourtant, j’ai l’impression de vous connaitre depuis toujours, tous les deux.

Aurore émit un rire discret.

— Ce n’est pas réciproque, gamine, cingla Owen en relançant son cheval au galop.

Lorsque les oreilles du chevalier furent hors de portée de la voix de Théodore, celui-ci, sur un ton facétieux, commenta la situation.

— Il a fallu que vous le contrariez, hein ? Il paraissait presque de bonne humeur jusqu’alors.

— Je vous le promets, champion, je ne l’ai pas fait exprès.

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