Le poursuivant

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De nouveau en selle, le trio se déplaçait vers l’est au galop. Puisqu’ils avaient dévié de leur trajectoire initiale pour trouver un moyen de franchir la rivière Chind-Jitzu, Owen orienta sensiblement leur progression en direction du sud.

Sur l’autre monture, Aurore s’amusait à faire danser le dragon entre ses doigts. Soudain, la chevelure auburn remua devant le champion. Le visage en partie tourné vers Théodore, la messagère le sonda

— Votre avis s’apparente-t-il à celui de la Hyène, me concernant ?

— Précisez votre pensée, messagère.

— Me considérez-vous fautive d’avoir dissimulé le côté immatériel du message que je porte ?

— Hum… Je ne vous juge pas coupable d’une quelconque faute. En revanche, vous devrez tout nous dire, maintenant. Je pense que la confiance est le maître-mot dans un voyage comme le nôtre.

— Tout vous dire… Cela me libérerait d’un poids. Je crains néanmoins que, si je m’en sépare, celui-ci ne pèse sur vos épaules à tous les deux.

— Nos épaules ont prouvé leur robustesse, Aurore. Partagez votre fardeau avec nous.

— Je… je vais y réfléchir.

— Faites comme bon vous semble. Mais, dans votre décision, prenez en compte l’importance de notre cohésion à tous les trois.

— A tous les quatre, corrigea la messagère, en jouant avec le dragon.

— Ne vous attachez pas trop. Il pourrait retourner auprès des siens d’un moment à l’autre.

Comme pour répliquer à l’avertissement de Théodore, le serpent moustachu et volant ouvrit grand la gueule et feula, à l’instar d’un matou sur la défensive. Aurore sursauta et secoua son bras pour écarter la créature sifflante. Toutefois, le dragon resserra son nœud autour du poignet de la jeune fille et continua de cracher en direction de la rivière d’où ils venaient.

Théodore donna un coup de talon à sa monture et se plaça au niveau de celle d’Owen. Interloqué par le bruit agressif, le chevalier scruta la petite bête pleine d’écailles iridescentes. Aurore tendit son bras vers la Hyène et lui demanda ce qui arrivait à son compagnon animal.

Le chevalier s’engouffra dans ses pensées lointaines, en quête des bestiaires gravés dans ses souvenirs. Lorsqu’il émergea, il possédait la réponse.

— Les dragons possèdent un sens de la cohésion particulièrement développé. Chaque individu d’un même groupe est lié par une connexion immuable avec tous les autres membres. S’il feule, c’est qu’un danger rôde à proximité.

— Mais il n’y a aucun danger ici, pesta Aurore.

— Certes. Donc le danger se trouve du côté du reste du groupe. Vers la rivière.

— Qu’est-ce qui pourrait menacer ces terreurs frénétiques ? s’inquiéta le champion.

— Rares sont les prédateurs des dragons. Mais rien ne dit que la menace concerne directement ces créatures.

— Il est toujours à nos trousses, n’est-ce pas ? suggéra Aurore, anxieuse.

— Qui ? enquêta Théodore. Le Worgro invisible ?

— Il nous pourchasse depuis la forêt des Liniens, répondit Owen. Nous l’avons semé sur la ville lacustre puis, avec nos montures, nous avons assurément agrandi l’écart entre lui et nous. Sauf que…

— Sauf que s’il nous devançait depuis qu’il nous a perdus, nous n’avons fait que le rattraper, acheva Théodore.

Owen valida la théorie du champion. C’aurait pu être une tout autre chose qui intimidait les dragons. Cependant, même avec la distance qu’ils avaient creusé entre la rivière et eux, Owen pouvait, de son unique œil, apercevoir le lit scintillant. Si un nuisible évoluait dans un périmètre restreint autour du lieu de leur rencontre avec les dragons, le chevalier l’aurait identifié.

Seulement, rien ne se mouvait à l’horizon.

Owen ordonna de reprendre leur chevauchée. S’ils ne se trompaient pas sur l’identité de la menace, elle pouvait tout aussi bien ramper à quelques pas d’eux, à leur insu. L’idée d’être épiée par une ombre indiscernable fit frissonner l’adolescente.

Théodore s’opposa à la décision du chevalier. Pour lui, cette plaine représentait l’arène idéale pour affronter un tel adversaire. Possédant l’avantage de monter des chevaux de guerre et n’ayant d’autre ennemi que celui qui venait à eux, les hommes pouvaient remporter ce combat. Il en était persuadé.

— Tu ne l’as pas vu combattre la divinité des Liniens ! tempêta Owen. Ce monstre a projeté Celle qui chasse contre des arbres. Plusieurs se sont brisés. D’un seul coup. Juste comme ça, ajouta-t-il en claquant des doigts. Sa force n’est en rien comparable à celle des suzerains-sorciers que nous avons déjà défiés.

Comme pour les presser dans leur choix, le cor de guerre strident tonna dans l’étendue herbeuse.

Le Worgro invisible approchait.

— Ne tentons pas le Lion ! s’exclama le chevalier. Poursuivons. La célérité de nos chevaux nous épargne un combat inutile. Un combat qui pourrait pencher en notre défaveur.

Théodore prit une grande inspiration. Il fixa la vaste forêt qui couvrait la suite de leur périple.

— La priorité demeure le message, déclara-t-il finalement.

Puis, d’un simple appel, il lança son cheval en direction de la prochaine étape de leur voyage. Owen le suivit tout de suite, peu désireux de rester là pour rencontrer le Worgro.

Mais le colosse invisible les talonnait. Et même si les humains avaient pris la fuite, il savait que, tôt ou tard, il glisserait ses dagues sous la gorge de Kahlaar et de Virrtah.

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