Le mur

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La soirée s’acheva dans une ambiance suppurant de rancœur. Owen et Théodore décidèrent d’éviter le sujet d’Aurore jusqu’au lendemain. Mieux valait s’accorder du temps pour digérer l’information.

Les deux hommes se relayèrent pour la surveillance du campement, malgré leur perplexité quant à la présence du Worgro invisible dans la forêt. Théodore prit le premier tour de garde, doutant inévitablement de l’intérêt de guetter la venue d’un danger imperceptible. De toute façon, les questions fusaient dans sa boite crânienne. Elles l’empêchèrent de trouver le sommeil, même lorsqu’Owen le remplaça.

Le chevalier, lui aussi, ne dormit que superficiellement. Entre la rage qui rongeait ses entrailles et le sanglot discret de la messagère, il n’arpenta que brièvement les contrées oniriques.

La nuit vint à son terme, mais l’amertume ne s’en alla pas avec la lune. Théodore et Owen rangèrent leurs affaires sans prendre le temps de déjeuner. Ecœurés par les révélations de la soi-disant messagère, leur appétit n’était pas au rendez-vous.

Aurore se hasarda tout de même dans des excuses.

— Je sais combien vous me haïssez, désormais. Je réalise que tout ce que vous avez perdu, vos familles, vos amis, votre fonction, vos terres, tout ceci est uniquement dû à mon égoïsme.

Les deux hommes ne répliquèrent pas, affairés à organiser la suite du voyage.

— Mais je suis également convaincue que, malgré les griefs que vous avez contre moi, vous poursuivrez la route à mes côtés, et ce, jusqu’à Forléo. Je tiens donc à vous remercier.

— Epargne-nous donc ta salive perfide, gamine ! cracha Owen qui s’équipait du dernier bissac.

Sans les chevaux, leur rythme ralentirait et leur marche s’avéreraient plus pénible. Mais aucune alternative ne les conduirait aussi vite dans le duché de Koordie.

— Avancez, princesse, dicta le champion.

La jeune fille lui lança un regard désemparé, désespéré. Théodore sentit son cœur chavirer. Puis, il se souvint des corps décapitées de ses frères d’armes, des peaux calcinées des magiciens, des reliquats magiques continuant de dévaster le territoire même après la bataille. Une aigreur démoralisante s’empara alors de lui.

— Et dire que je vous ai écoutée au sujet de ma foi et du médaillon du Lion. Que savez-vous réellement de tout ceci, vous, la traitresse.

— Je ne suis pas une traitresse, objecta Aurore, les yeux humides.

— Dépêchez-vous ! lança la Hyène, qui avait débuté l’ascension du mur.

Aurore se détourna en vitesse et serra le dragon contre elle. Théodore eut presque des remords à lui parler sur ce ton, mais son chagrin surpassait en lui toute réserve.

Le trio escalada le mur avec lenteur. Certains sentiers nécessitaient d’avancer de côté, parfois avec les sacs à bout de bras, tandis que d’autres s’arrêtaient net, demandant aux voyageurs de bondir pour atteindre les corniches en surplomb. Plusieurs fois, Théodore fit la courte échelle à ses deux compagnons. Quelques obstacles les obligèrent même à se lancer les bagages, pour se délester de leur poids.

Approchant du sommet de la muraille, tous leurs efforts furent presque anéantis lorsque Théodore, près à franchir une crevasse, sentit la plateforme rocheuse se dérober sous lui. Owen jeta ses affaires au sol et s’élança, ventre contre sol, pour saisir de justesse la main du champion.

Le poids du champion en armure pesa sur leurs épaules respectives et le chevalier poussa un juron salace. Aurore, moins prompte dans ses réflexes que la Hyène, les aida en saisissant l’autre main du champion. Coordonnant leurs forces, la princesse et le chevalier hissèrent le champion sur la corniche.

Tous trois s’allongèrent, essoufflés et suants, pour respirer un instant.

— C’était juste, avoua Owen entre deux inspirations rapides, un ton sarcastique dans la voix.

— Effectivement. Jamais le Théodore d’il y a six jours n’aurait envisagé être secouru d’une telle manière par une Hyène.

— Et l’Owen de la même époque ne l’aurait certainement jamais imaginé non plus.

Tous deux rirent ; la pression ayant jailli telle une éruption de volcan redescendait calmement. Puis, ils fixèrent la princesse Aurore. Celle-ci baissa le visage, subitement tourmenté. En si peu de temps, des liens inestimables s’étaient créés entre eux.

Owen ravala pour un moment toute la haine qu’il avait pour elle. Il se leva et ramassa ses affaires. Théodore, quant à lui, se redressa et tendit une main ouverte à l’adolescente. Cette dernière la saisit après une hésitation durant laquelle elle rougit.

— Merci, dit le champion, sur un ton aussi neutre que possible.

La fin de l’ascension arriva sans que d’autres évènements fâcheux ne les surprennent. Parvenus sur hauteurs du mur aux dimensions cyclopéennes, les trois voyageurs s’abreuvèrent de la chaleur revigorante du soleil matinal. Devant eux, l’astre du jour poursuivait lui aussi son escalade vers les azuréennes cimes célestes.

La main en visière par-dessus leurs yeux, le chevalier, le champion et la princesse admirèrent les vastes terres orientales. D’ici, ils pouvaient entrevoir les pics de la chaine de montagnes dans laquelle était encastrées les tours majestueuses de la capitale.

Forléo paraissait alors si proche. Pourtant, tant d’épreuves les attendaient encore.

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