Sur le mur
Théodore s’agenouilla un instant, reprenant son souffle après cette ascension harassante. Owen aurait voulu le presser, mais il reconnut que cette courte pause leur serait bénéfique. Il gratifia le soleil d’un sourire, se perdant dans ses rayons chaleureux.
Soudain, l’énergique petit dragon voleta devant ses yeux. Aurore se fit son ombre. Interpelés par un vacarme vrombissant et stridulant, tous deux s’approchèrent du bord opposé du mur, celui-ci s’étendant sur une largeur de dix mètres environ. Le chevalier conseilla à la jeune fille de rester vigilante, puisqu’aucun garde-fou de la séparait du précipice vertigineux.
Théodore, qui désirait également admirer les contrées en contrebas et comprendre l’origine du tumulte sonore, rattrapa la princesse. Owen se décida finalement à les accompagner dans cette curieuse contemplation. Il savait exactement ce qu’il trouverait au pied de ce mur, mais il ne pouvait pas empêcher ses compagnons de le découvrir.
La Hyène pencha la tête au-dessus du vide. Il dut dès lors plisser ses paupières pour observer la tempête de tanzanites et éviter de recevoir des éclats de gemme dans les yeux. En effet, la tornade indigo flagellait le mur et propulsait des brisures alentour, telles d’impétueuses vagues venant perpétuellement se fracasser sur les brisants d’une côte maritime.
— Ce spectacle est à couper le souffle, fit Aurore. Tant de force que les vibrations remontent jusqu’à nos pieds. Et pourtant, tant de beauté que mes yeux ne peuvent s’en détacher.
— Il s’agit du désert de tanzanites, n’est-ce pas, Owen ?
— Effectivement.
— Je me souviens en avoir vu une esquisse dans l’un de mes livres, lorsque j’étais apprenti, précisa Théodore. Jamais je n’aurais imaginé qu’il s’agissait véritablement d’un désert de minéraux bleutés. Je pensais que ce nom n’était qu’une sorte de métaphore.
Owen s’esclaffa brièvement.
— Je cherchais l’aventure en quittant mon île natale, reprit la princesse. Lorsque je contemple de tels paysages, comme ce désert des cristaux bleu foncé ou le champ d’aquivaux d’Yvrefleur, je réalise qu’il suffisait de franchir la herse de Forléo pour vivre la grande aventure. Notre royaume regorge de délices, de mystères et de fantaisies.
— Il est bien tard pour penser à ce que vous auriez pu faire, princesse, lui reprocha Théodore.
— Vous avez hélas raison, champion. Je suis désolée.
Le silence s’installa parmi les compagnons de voyage, leur rappelant les raisons de leur fâcheuse dispute. Owen se détourna et engagea leur avancée le long du mur, en direction du nord. La jeune fille et le guerrier en armure lui emboitèrent le pas, muets.
— N’allons-nous pas traverser ce désert ? questionna Aurore, surprise qu’Owen les mène vers le nord.
— Damné soit le Lion si nous y sommes contraints ! blasphéma Owen. Aucune chair humaine ne pourrait résister à la violence de cette tempête magique. Non, nous rejoignons l’orée septentrionale de ce lieu maudit, pour ensuite le longer et gagner le pont des Nouveaux qui lie les terres du Méridian à celle de Koordie. Heureusement, l’ampleur du détour est moindre.
— Attendez : magique, maudit ? reprit Aurore, sur un ton de surprise. Que signifie tout cela ?
— Les termes sont pourtant basiques ! rétorqua Owen, fatigué d’expliquer l’histoire de son royaume à une princesse fugitive.
Aurore posa son regard implorant sur Théodore, qui marchait à l’arrière du groupe. Même sans son heaume, qui assombrissait son regard, le champion possédait des yeux et une façon de dévisager qui décourageait le plus brave de ses adversaires humains de l’attaquer. L’adolescente l’affronta toute de même.
— Lorsque vous aurez sauvé le royaume et son peuple, dit enfin le grand homme, prenez le temps de visiter vos terres et de découvrir leur histoire. Il se pourrait même que je vous accompagne dans cette découverte puisque je manque également de connaissances sur la plupart des lieux que nous avons parcourus. Enfin, si je parviens à vous pardonner un jour.
— Et surtout, si nous survivons à tout ceci, rectifia Owen sans se retourner.
Le petit dragon à moustache s’envola brusquement au-dessus de leur tête et cracha des flammes à la substance presque aqueuse. Le phénomène attira même l’attention du chevalier, qui progressait pourtant tête baissée. Les flammes retombèrent en une fine pluie ondulante. Le contact chaud de l’eau pittoresque arracha un sourire à la princesse et au champion.
Owen, en revanche, fut saisi d’horreur. Les flammes singulières, dans leur descente, glissèrent sur une forme transparente, juste derrière Théodore. Les perles de feu aquatique sillonnèrent les membres de la présence alarmante, esquissant une colossale silhouette anthropomorphe. A y regarder de plus près, des stries sombres parsemaient la forme invisible.
Les restants de son affrontement contre Celle qui chasse et la Hyène.
Un rictus sardonique déforma le visage d’Owen. Sous l’air effaré de ses compagnons, le chevalier dégaina son épée.
La voix acérée de la bête éclata.
« Kahlaar. »
« Virrta. »
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