Au bord du précipice

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Pris entre la stridence du cri innommable et le grondement menaçant du désert, les sens de Théodore s’affolèrent. Le faciès balafré de la Hyène, qui souriait tel un émissaire infernal venu répandre la mort sur terre, accentua cet inconfort.

De son côté, Owen reconnut immédiatement ce son impie. Il s’agissait de ce rire crapuleux qu’il avait déjà entendu. Le monstre invisible se délectait de leur malheur. Pensait-il avoir déjà remporté ce combat contre les humains ? Sans doute. Mais le chevalier ne le laisserait pas triompher aussi aisément.

Cette simple pensée, le fait de lui ôter une victoire facile, l’égaya furieusement. Un élan brutal emporta ses jambes et, en l’espace d’un clignement d’yeux, le chevalier se matérialisa entre Théodore et le Worgro.

Son épée au pommeau à tête d’ours cingla le vide. Mais de ce vide naquit une résistance et, bientôt, un filet de sang dégoulina le long d’un relief qui s’apparentait à une épaule.

— Alors Celle qui chasse ne t’a pas dévorée, abomination ?

Comme seule réponse, le Worgro étrangla Owen et le souleva à un demi-mètre du sol. Le chevalier perçut un craquement qui trahissait l’ouverture d’une mâchoire d’acier, puis un hurlement affreux lui lacéra les tympans.

Sur le point de perdre connaissance, la Hyène attrapa la dague qui reposait dans sa botte et la planta approximativement en face de sa tête. La courte lame transperça une chair fine et flexible. Une joue, pensa-t-il assez justement.

Le Worgro referma ses mâchoires musculeuses et brisa le poignard.

La peur dévora la fougue qui avait jusque-là animé le chevalier. Ses muscles se relâchèrent et sa main, qui maintenait toujours la dague brisée, grelotta. Owen se prépara à encaisser quatre phalanges renforcées de fer dans la pommette.

Au lieu de cela, la Hyène sentit le monde basculer. Il chuta sur le côté, atterrissant sur son épaule, et entendit le corps du Worgro percuter le sol de la même manière. Des mains fermes le saisirent et le tirèrent.

Théodore venait de lui épargner de sévères souffrances. En constatant le saignement sur ce qui devait être la cheville du monstre, Owen comprit que le champion l’avait fauché avec sa puissante claymore.

— Cette fois, le combat semble inévitable, souffla Théodore entre deux inspirations frénétiques.

— Il a déjà débuté, mon ami, rectifia Owen en remettant sa dague cassée dans sa botte.

— Mon ami ? reprit Théodore, étonné.

Owen réalisa alors ce qu’impliquait une telle appellation.

— Façon de parler, fit-il pour éluder le sujet. Tiens-toi prêt, champion.

Les épées brandies vers des cicatrices flottantes, les deux hommes anticipèrent l’approche de l’ennemi grâce au tambourinement lourd de sa course. Improvisant face à ce nouveau type d’adversaire, les guerriers humains chargèrent, leur pointe de métal les précédant.

Théodore ne fut confronté à aucun obstacle, poursuivant sa charge dans le vide. Owen, en revanche, percuta de son front un os dur comme de la pierre. Il tomba à la renverse, les yeux pleins d’étoiles et le souffle coupé.

Se rendant compte qu’il avait manqué sa cible, le champion freina avant de faire volte-face. Le Worgro ne s’était pas arrêté au chevalier : il poursuivait sa lancée en direction d’Aurore. Apeurée, l’adolescente risqua un pas en arrière et chuta sur son séant.

Soudainement envahi par la sève du désespoir, le champion effectua le chemin inverse dans une course effrénée, avec pour objectif d’atteindre l’ennemi avant qu’il ne s’en prenne à Aurore. Son genou lui lança des appels plaintifs, mais le champion ignora son membre dolent.

Prenant au dépourvu toutes les personnes présentes, le dragon apparut de derrière la jeune fille et se jeta sur le Worgro. Un feu turquoise jaillit de ses mâchoires reptiliennes et dessina les courbes de l’assassin. Non content de le priver de son invisibilité, le dragon usa de son crachat torride pour aveugler l’assaillant.

S’époumonant, vraisemblablement pour partager sa torture avec ses adversaires, la créature malsaine vacilla vers l’arrière. Incapable de ralentir son élan à cause du poids de son armure, Théodore préféra se jeter au sol plutôt que de supporter la masse colossale qui venait sur lui.

Il roula sur lui-même et cogna les mollets du Worgro. Sans l’avoir prévu, Théodore venait de renverser son adversaire et, par là même, l’issue du combat. Accoutumé à livrer des combats honorables, il en avait presque oublié les possibilités qu’offrait cette arène improvisée. Batailler aux côtés d’Owen lui avait ouvert l’esprit quant aux alternatives à prendre en compte lors d’un duel.

Le précipice serait leur salut.

Il resserra de ses mains gantées un étau infaillible autour de la cheville couverte de sang du Worgro puis, sous l'influence de l'adréaline du combat, parvint à trainer le corps massif jusqu’au bord du mur. Plus il approchait, plus le chant sinistre du désert rageur s’amplifiait et plus son genou le suppliait de mettre un terme à cette géhenne. Théodore avait la désagréable impression de progresser vers les Plaines du Lion, dont les portes étaient gardées par un Lion noir, juge des âmes.

Parvenu au bout de la plateforme, Théodore sentit que le Worgro se révoltait contre sa poigne. Le champion lâcha sa prise, afin d’éviter d’être lui-même bousculé dans le gouffre. Pendant une très longue seconde, il regarda le Worgro se redresser.

Venait-il de manquer une occasion d’en finir définitivement avec leur poursuivant ?

Owen lui apporta la réponse qu’il désirait : usant de son élan, le chevalier poussa le Worgro dans le vide.

Dans sa chute, le monstre poussa un cri strident, que même Forléo dut entendre. Du moins, jusqu’à ce les vagues tapageuses du désert de Tanzanites ne l’avalent.

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