Les anciens peuples

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Depuis les hauteurs, Owen guetta longuement l’inquiétant désert. Il s’attendait presque à y voir émerger une main couverte de sang. Une main qui se serait accrochée au mur et aurait tracté un corps indestructible jusqu’à son sommet. Un corps qui aurait vomi d’abominables : « Kahlaar ! Virrtah ! »

Il n’en fut rien.

— Que venons-nous de combattre, exactement ? s’enquit Théodore, qui reprenait progressivement son souffle. Un troisième suzerain-sorcier ?

— Il semblerait, valida Owen. Parmi les Worgros, seuls ces êtres particuliers sont capables de sorcellerie.

— En tout cas, intervint Aurore, qui câlinait son audacieux dragon, il n’aura assurément pas réchappé à une telle chute.

— Les tanzanites se chargeront de mettre en lambeaux sa carcasse nauséabonde, appuya Théodore.

— Je ne suis pas certain que nous l’ayons tué, tempéra le chevalier en s’écartant du gouffre hurlant. Aucun homme ne survivrait plus d’une poignée de secondes au milieu de cette tempête. Mais ce monstre-là a affronté Celle qui chasse et s’en est tiré vivant. Il nous pourchasse depuis la forêt d’Yvrefleur. Sa volonté semble répondre à une force supérieure. Son envie de nous supprimer est inextinguible.

Théodore vint apposer une main sécurisante sur l’épaule du chevalier. S’il avait échappé à la créature des bois liniens, c’était uniquement grâce à son invisibilité. A l’inverse, ce désert ne requérait pas de le voir pour le déchiqueter.

Owen abdiqua face aux arguments du champion. Pourtant, en son for intérieur, ne pas tenir la tête sanguinolente du Worgro dans ses mains le tracassait : il ne pouvait que supposer sa mort.

En passant à côté d’Aurore, Owen félicita son petit compagnon moustachu. Il leur avait été d’une aide incontestable.

— Ironiquement, ce symbole de la vérité nous a dévoilé la fourberie de l’assassin.

Aurore ne s’autorisa qu’un sourire, de peur qu’un rire n’irrite la personnalité sulfureuse du chevalier. Le trio poursuivit sa route au sommet du mur. Aucune autre embûche d’interféra dans leur voyage durant cette période.

Persévérante, la princesse réitéra ses questions concernant la nature véritable du désert de Tanzanites.

— Vous aviez parlé d’une malédiction et de magie, rappela-t-elle.

Owen la toisa. Il cherchait initialement sur ses traits de quoi raviver le dégoût qu’elle lui avait inspiré la vieille au soir. Il ne vit cependant que le minois d’une fille encline à la curiosité. Dans ses yeux, il lut à la fois de la candeur, de la volonté et un espoir certain. Cet espoir qu’elle avait incarné pour lui jusque-là.

Ses murailles intérieures s’effondrèrent sous l’assaut d’un instinct paternel.

Il poussa un soupir, désarmé.

— Bien des peuples vécurent sur cette île avant la venue des hommes.

— Oui, fit Aurore, enthousiasmée par le changement d’avis d’Owen.

— Dans cette partie du royaume, que nous nommons le Méridian, régnaient deux peuples. L’un se dissimulait parmi les frondaisons de la forêt que nous avons traversée. L’autre utilisait ses machines modernes pour ériger des structures sublimes et des galeries souterraines inébranlables.

— A quoi ressemblaient ces gens ? Et où construisaient-t-ils leurs édifices ? demanda Aurore, qui trépignait.

— Ceux de la forêt se camouflaient dans les feuilles tandis que l’autre peuple vivait où sévissent actuellement les tempêtes bleues. Nul ne saurait cependant décrire avec précision l'apparence de ces êtres.

— Etaient-ils différents ?

— Oui, c'est bien l'unique point sur lequel s'accordent les historiens. De par cette différence, aussi bien physique qu’intellectuelle, chacun des deux peuples nourrissait une haine profonde envers l’autre. Pour couronner le tout, les machines des constructeurs polluaient la forêt adjacente et empoisonnaient la faune locale. La guerre : voilà le carcan qui enchainait ces deux peuples. Ils se livraient bataille en permanence.

— C’est horrible, s’attrista Aurore.

Owen stoppa son récit pour montrer à ses compagnons que le sentier pour descendre du côté est du mur se dessinait devant eux. Ils l’empruntèrent une fois que le chevalier leur eut signalé la dangerosité de certains passages.

Après avoir passé l’angle qu’il redoutait, Owen reprit sa narration.

— Un jour, les bâtisseurs ont réveillé une ancienne, très ancienne magie héritée de leurs aïeux. Ils emmuraillèrent la forêt et son peuple à l’aide d’un mur titanesque. Celui-là même sur lequel nous évoluons. A cette époque, cette geôle séparait les bois de la rivière Chind-Jitzu, les sentiers permettant d’escaler ou de descendre n’existaient pas et la pierre se montrait inaltérable. Haa Kha, fut baptisé ce mur. Tombeau, dans la langue des prisonniers.

— Quelle terrible sort, s’offusqua l’adolescente, qui suivait les pas du chevalier pour éviter de s’appuyer sur un endroit friable.

— Mais ils répliquèrent. Ils usèrent d’une magie interdite et sacrifièrent la vie des leurs pour maudire les terres de leurs voisins. La malédiction adopta la forme d’une entité maléfique et éternelle. Une énergie incontrôlable, composée de cristaux d’un bleu intense.

— Le désert, comprit Aurore.

— Pris au dépourvu, le peuple des bâtisseurs se réfugia dans les souterrains de sa ville. Les bâtiments sombrèrent sous la férocité des rafales de tanzanites et les habitants furent claustrés sous terre.

— Ne creusèrent-ils pas d’autres tunnels ?

— Si. Ils allongèrent les galeries souterraines et quittèrent le lieu maudit.

— Comment s’est achevée cette inimitié ?

— Il fallut attendre l’arrivée des hommes et de leur meneur : le Lion.

— Le Lion avait autrefois une forme humaine, déclara Théodore, pensif.

— Oui et il unifia les peuples pour combattre une menace sans précédent.

— Les Worgros, conclut Aurore qui connaissait ce fragment de l’histoire.

— Le Lion détruisit, avec l’aide des deux peuples, la partie ouest du mur Haa Kha. Incapable d’apaiser l’entité funèbre du désert, et ce, malgré sa magie inégalable, le Lion préféra que le mur oriental demeure ici pour empêcher que la malédiction ne se répande sur la forêt. Cette entité s’abreuve en haine. Tant qu’elle subsistera en Koordie, le désert fouettera continuellement ces terres de ses rafales de tanzanites.

— Quel était le nom de ces peuples.

— Il a été oublié, intervint Théodore. Lorsqu’il prit la tête du royaume, le Lion déclara que, désormais, aucun nom ne devait désigner une communauté en particulier. Il n’existait dès lors plus qu’une seule et unique civilisation : celle de Koordie.

— Le Lion avait des idées visionnaires, s’extasia Aurore. Pourquoi faisons-nous aujourd’hui la distinction entre les différents peuples de l’île ?

— Le Lion se faisait vieillissant, suggéra Owen.

Théodore se révolta contre le blasphème du chevalier, mais la discorde ne s’attarda pas longtemps parmi le groupe de voyageurs. Ils discutèrent durant toute la descente du mur, à propos des choix du Lion lors de sa vie d’homme. Des questions restèrent cependant en suspens. Était-ce à Aurore, en tant qu’héritière, de rappeler au Lion ce qui avait autrefois fait la force de Koordie ? Était-ce à elle qu’incombait la tâche d’unifier le royaume ?

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