A la lisière du désert
Parvenus au terme de leur descente, les voyageurs regrettèrent aussitôt leur trajet au sommet du mur. Des fragments de cristaux de tanzanites s’éloignaient du centre du désert pour fouetter leur visage rougi par l’effort. Owen pesta, avant d’invectiver contre la nature en personne.
— La haine que sèment les Worgros dans leur sillon entretient l’ardeur de la malédiction. Pire, elle l’accroit.
— Qu’est-ce que cela implique ? s’enquit Théodore, qui, de sa main, se protégeait tant bien que mal la figure.
— Le désert se répand. Cette route devrait être hors de portée des bourrasques de gemmes.
Comprenant la situation, Aurore déposa son sac au sol puis en sortit un long drap, qui avait initialement pour fonction de les réchauffer durant les nuits les plus froides. Le dragon profita de l’ouverture pour s’engouffrer dans la poche en peau rassurante. La princesse s’équipa d’un long couteau et déchira le drap en trois longues bandes, qu’elle distribua ensuite à chacun.
— Des chèches, précisa-t-elle devant les têtes ahuris de ses compagnons.
— Je te remercie, gamine, commença Owen en enroulant le tissu autour de son visage, mais ces quelques cristaux ne sont pas de véritables menaces. A la lisière du désert, les éclats de tanzanites ne nous seront pas fatals. Ils vont tout au plus réduire notre vision. En revanche, ce qui arpente ces souffles voraces… Nous ne devrions pas nous attarder ici.
— Poursuivons vers le nord, suggéra Théodore. Nous nous écarterons de tous les dangers, ainsi.
— Nous perdrons du temps, fit Owen pour contrebalancer.
— Ne vaut-il pas mieux perdre une heure ou deux et gagner en sureté ?
Les deux hommes se tournèrent vers Aurore, en quête d’une issue à ce débat.
— Je pencherais davantage pour la diligence. Néanmoins, tout dépend de l’intensité du danger qui rôde ici.
Owen parut se perdre dans ses pensées, avant d’affirmer qu’il y avait très peu de chance de croiser une quelconque menace, sur le temps réduit de leur traversée. Les prédateurs devaient se terrer plus profondément dans le désert, près de son cœur.
— De quels prédateurs parlez-vous ? s’inquiéta Aurore, tandis que le groupe adoptait un rythme soutenu.
Owen ne tenta pas de la rassurer. Il ne lui accorda d’ailleurs aucune réponse.
Leur marche le long du désert de Tanzanites s’avéra désagréable et éreintante. Le vent s’évertuait à les ralentir en soufflant directement contre eux et leurs bottes glissaient sur les tas de sables bleus. Heureusement, les bourrasques capables de lacérer muscles et os ne les atteignirent pas.
A bout de nerfs, Théodore s’enferma sous son heaume. Mais le cliquètement des gemmes contre le métal le rendit aussitôt furieux. Owen, dont le ricanement mauvais fut englouti par le bruit innommable des vagues déferlantes, se réjouit de voir enfin le champion hors de lui.
Malgré tout, sa joie vicieuse ne dura pas. Contempler l’embarras ou le désarroi de Théodore ne l’amusait plus qu’à moitié. Sans toutefois se l’avouer, il ne pouvait pas totalement le renier. Il commençait à sincèrement apprécier ce grand gaillard.
— Tiens bon, lança-t-il en direction du champion. Nous devons avoir parcouru la moitié de cette route. Au plus tard en début d’après-midi, nous aurons quitté ce désert.
— Il nous faudra alors manger, intervint Aurore.
— Oui, princesse, nous mangerons, confirma Owen, avec une pointe de sarcasme.
Quelques minutes s’écoulèrent avant que la jeune fille n’interpelle les deux guerriers pour leur montrer une plante pittoresque, non loin d’eux. Théodore, qui ne connaissait que très peu cette partie du royaume, fut lui-même interloqué par la forme insolite du végétal.
L’on aurait cru regarder un amoncellement de bouches verdâtres, armées de dents effilées telles des aiguilles, et dont chacune s’ouvrait pour engendrer une autre mâchoire extravagante. L’originalité de la plante oscillait entre le burlesque et l’horrifique.
Sans les avertir, Owen se précipita vers le groupement de bouches.
— Est-ce si important ? s’étonna Aurore, en le rejoignant.
D’un geste vif, le chevalier saisit l’une des grosses libellules rouges qui voletaient autour de la plante.
— Eh bien ! entama-t-il, déconcerté. Nos chances de finir le trajet sans encombre viennent d’être réduites à néant.
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