Chevauchée hérissée

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— Que voulez-vous dire ? demanda Aurore, soudainement effarouchée.

En reculant, elle heurta l’armure cabossée du champion, qui s’approchait de la plante inélégante. La jeune fille sursauta mais Théodore la rasséréna d’une brève étreinte, tout en mesure. Ainsi rassurée, Aurore s’abrita derrière la montagne de muscles et de métal qu’était le boiteux.

— Voilà plusieurs siècles que le désert occupe cette partie du territoire, rappela Owen. Malgré sa nature maléfique, la magie qui l’alimente nourrit la terre et, par conséquent les plantes qui y poussent, les créatures qui se nourrissent de ces dernières et celles qui se dressent en haut de la chaine alimentaire.

— Faites court, Hyène Owen, je vous en prie. Je ne désire pas rester dans cette tempête.

Le chevalier acquiesça et, saisissant la libellule avec ses deux mains, fit craquer la chitine. Un liquide épais et blanchâtre coula entre ses doigts. Aurore laissa échapper un bruit de dégoût. Avant même qu’elle ne digère ce qu’elle venait de voir, Owen attrapa une seconde libellule et la broya.

— Faites de même, ordonna Owen.

— Pourquoi ? s’insurgea la jeune fille.

Théodore, de son côté, avait appris à faire confiance aux ordres inopinés de la Hyène. Il imita donc son compagnon et craquela l’exosquelette de deux insectes volants.

Puis, tout se passa à une vitesse déconcertante.

Des pas précipités retentirent dans la brume poussiéreuse.

— Qu’avons-nous fait ? s’enquit Théodore, quelque peu déboussolé.

— Par là ! dicta Owen en se mettant à courir, les libellules mortes toujours dans les mains.

Des tenrecs, gros comme demi douzaine de chevaux chacun, fendirent la tempête. D’une couleur noire, ils arboraient des piquants jaunes et une fourrure plus sombre. Théodore réalisa qu’Owen les menait droit sur les animaux. En les apercevant, les tenrecs freinèrent et s’orientèrent dans une autre direction.

Ce fut précisément ce moment qu’Owen choisit pour bondir sur les bêtes et se faufiler entre les piquants. Théodore sauta à son tour, mais son genou blessé l’empêcha d’atteindre le dos de l’animal. In extremis, il agrippa l’une des aiguilles colossales. Le chevalier lui tendit la main et le remonta. Aurore, quant à elle, n’eut aucun mal à se blottir entre deux piquants après un saut adroit.

Lorsqu’il se retourna pour s’installer, Théodore réalisa que les tenrecs n’avaient pas fui devant les humains, mais devant d’énormes lézards couverts d’excroissances écailleuses. Les explications du chevalier lui revinrent en tête.

Cahoté par la course désespérée des tenrecs, Owen tentait de dégainer son épée. Devant le visage pantois de Théodore, il se sentit obligé de décrire ce qu’il se passait actuellement.

— Les molochs se tapissent près des plantes que nous avons approchées, car ce sont des lieux de rassemblement pour les libellules. Ces libellules sont comme friandises pour nos actuelles montures. Et ces lézards coiffés comme des étoiles du matin chassent les tenrecs. Nous sommes entrés sur leur territoire de chasse et le seul moyen que j’ai trouvé pour nous éviter de finir dans leur estomac a été d’attirer directement les tenrecs.

Théodore opina du chef.

— Et maintenant ?

— Nous allons défendre cette brave monture, tandis qu’Aurore sera notre cochère.

— Comment ? intervint la jeune fille en entendant son nom. Peut-on seulement diriger une telle bête ?

— Nous allons le savoir d’ici peu de temps, gamine. Monte au niveau de sa tête et empoigne deux des piquants qui l’enserre. Elle va continuer de courir, il te suffit de lui montrer la direction.

— Et quelle direction dois-je prendre ?

— Plein est. Garde donc ce cap.

Aurore obtempéra, malgré la confusion qui l’envahissait. Elle se mit à serpenter entre les touffes de fourrure et les piques naturelles de la bête. Leur aspect inquiétant ne dissuadait pas les molochs d’attaquer.

Sur leur droite, l’un des lézards se propulsa grâce à ses puissantes pattes arrière pour rattraper le tenrec qu’il avait pris pour cible. Sans grande surprise, il s’embrocha sur les piquants de sa proie. Est-ce qu’il mourut ? Owen et Théodore, qui observaient la scène, ne le surent jamais.

En revanche, déséquilibré par ce poids importun venu s’ajouter sur son dos, le tenrec dérapa et tomba sur le côté. La seconde d’après, trois molochs l’éventraient à l’aide de leurs pattes crochues.

— Bien, fit Owen. Maintenant que tu entrevois le risque, vas-tu m’aider à défendre notre moyen de transport ?

— Assurément, fit Théodore en s’armant de sa lourde claymore.

Un moloch se trouvait présentement à quelques mètres de leur tenrec. Owen se pencha, se maintenant en équilibre sur un piquant et fit des moulinets avec son épée, dans l’espoir d’effrayer le prédateur. Il n’en fut rien.

Le reptile s’apprêta à bondir sur sa proie. Théodore réalisa alors que seule son épée, plus longue que celle du chevalier, permettrait d’arrêter la bête avant qu’elle n’atteigne leur monture. D’un seul bras, il arma son coup, se servant de l’autre pour se tenir à un piquant.

La créature passa à l’attaque, décollant du sol. Théodore rassembla toutes ses forces dans son bras et asséna un coup d’une férocité inouïe sur le museau du lézard. Les écailles se fendirent et le champion partit en avant, aspiré par son élan.

Owen le rattrapa de justesse, lui évitant une chute fatale.

Théodore le remercia tandis que le chevalier le congratulait pour son coup.

— Aurore, tu t’en sors là-haut ? demanda Owen.

— Oui ! Attention, à gauche !

Les deux hommes scrutèrent dans la direction indiquée et aperçurent un autre moloch se précipitant sur eux. Plus agile, Owen se déplaça sur le dos du tenrec pour s’opposer plus frontalement au reptile.

Lorsque la distance fut optimale, le chevalier frappa d’estoc. Il toucha le moloch à l’œil, lui transperçant l’orbite. Le prédateur s’écarta immédiatement de sa proie et s’évanouit dans la tempête bleue.

— Nous en voilà débarrassés, cria Owen.

Il réalisa alors qu’il venait de repousser l’un des derniers poursuivants. Les derniers molochs avaient pris en chasse un tenrec esseulé, tandis que ses congénères quittaient progressivement la lisière du désert.

Aurore parvint à maintenir la course de leur tenrec dans son axe : droit vers l’est.

Aucun autre assaut ne les surprit durant le reste de la traversée.

Lorsque les cristaux bleutés furent loin derrière eux, le tenrec stoppa sa course de lui-même. Les voyageurs en profitèrent pour quitter son dos. Délesté du poids des humains, le mammifère hérissé s’en alla vers le nord, certainement à la recherche de ses semblables.

Pouvant enfin souffler, les hommes s’époussetèrent. Aurore, quant à elle, se planta devant Owen, le regard noir.

— Vous avez attiré ces pauvres bêtes dans un traquenard !

— Notamment pour sauver ta vie, princesse.

— Vous saviez que de tels prédateurs guettaient dans le désert.

— Oui. Je vous avais prévenus, tous les deux. La diligence, c’était ta décision, petite.

— Tout dépend de l’intensité du danger, voilà ce que j’ai dit. Jugez-vous ces monstrueux reptiles comme des dangers minimes ?

— Eh bien ! nous sommes en vie, non ?

Derrière eux, Théodore s’esclaffa.

— L’argument est infaillible, il faut bien l’avouer.

Aurore ragea et s’éloigna des deux hommes, libérant le dragon de son sac.

Owen et Théodore échangèrent un sourire exultant, avant de lui emboiter le pas.

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