Un détour de plus

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En milieu d’après-midi, le chevalier, le champion et la princesse parvinrent à leur destination. Le pont des Nouveaux s’étendait devant eux. Structure de pierre construite durant les années qui suivirent l’arrivée du Lion, cet édifice franchissait l’estuaire des Certitudes pour rejoindre le duché de Koordie.

De la réjouissance ineffable d’atteindre enfin l’ultime duché du royaume naquit une désillusion plus grande encore lorsque les voyageurs découvrirent que les envahisseurs occupaient le pont. Une multitude de Worgros stagnaient sur la route suspendue : fantassins, mastodontes, femelles guerrières. Toutes les castes y étaient représentées.

Les dépassant en taille, un suzerain-sorcier se démarquait par sa posture et la myriade de bijoux osseux, parure morbide, qui décorait son vêtement terne. Les statues du Lion, qui bornaient le pont, toisaient l’engeance bruyante et sanguinaire qui fourmillait sous leur regard figé.

Dès qu’il les vit, Owen enjoignit à ses compagnons de se dissimuler derrière un imposant rocher. Le chevalier maugréa, tandis qu’il cherchait une solution.

— Pourquoi restent-ils sur le pont ? s’étonna Aurore.

Théodore risqua un œil en dehors de sa cachette.

— On dirait… qu’ils construisent des barricades.

— Des barricades, répéta Owen, dubitatif. Mais avec quel matériau ? La seule forêt à proximité se trouve de l’autre côté du mur. De plus, cette partie occidentale du duché de Koordie ne compte guère de bois ou de forêts.

Avant que Théodore ne lui donne des précisions, Owen vérifia par lui-même. Ce qu’il vit l’horrifia. Amoncelés comme des sacs de farine, des cadavres humains, certains en armure et d’autres non, avaient été fixés entre eux à l’aide de lances de fer. Formant des colonnes de dizaine de dépouilles chacune, les Worgros avaient ensuite truffé les barricades de pieux inqualifiables.

— Jamais nous ne franchirons ce pont, admit le chevalier, exaspéré. Tout comme pour le col de Concorde, ils sécurisent les voies principales qui connectent les duchés entre eux.

— Mais nous avons triomphé au col de Concorde, rappela Aurore.

Owen eut un léger sourire, sentant un sempiternel désaccord poindre.

— A moins que leur suzerain-sorcier n’use, encore une fois, d’un pouvoir que nous pourrions exploiter pour détruire sa horde, cela me semble quelque peu ambitieux.

Théodore avait achevé sa phrase avec une pointe d’ironie. Aurore fixa le champion, qui s’accordait une fois de plus avec l’avis du chevalier.

— Plus nous progressons et plus vous semblez en harmonie, tous les deux. Très bien. Je ne lutterai pas. Songez-vous à une alternative, Hyène Owen ?

— Il existe un autre pont, plus au sud. Miriadinn To. C’est un passage connu de peu, notamment parce qu’il se trouve après le désert de Tanzanite.

— Devons-nous traverser le désert ? le questionna Aurore.

— Non. Nous passerons par les galeries souterraines creusées par ceux qui nous ont précédés.

— Un détour de plus, déplora la princesse.

— Effectivement. Mais, tout compte fait, le chemin à parcourir dans le duché de Koordie en sera raccourci. Légèrement certes, mais tout de même…

— Eh bien, allons-y.

Le trio se remit donc en route, pivotant vers le sud. Moins d’une heure plus tard, Owen pointa du doigt l’entrée des souterrains. Il s’agissait d’un tertre d’une envergure remarquable, recouvert uniquement de terre sèche, mâtiné de critaux céruléens, puisque trop souvent fouetté par les bourrasques du désert à proximité.

Les trois voyageurs escaladèrent le monticule et rejoignirent son sommet. Là, insérée dans la terre, une plaque monolithique reflétait leur visage.

— Te souviens-tu de tes cours d’alphabet runique ? s’enquit Owen auprès de Théodore, une espièglerie ostentatoire sur les lèvres.

— En partie, modéra Théodore, s’évitant une position inconfortable.

— Il faut écrire « entrée », en runes.

Théodore réfléchit quelques secondes. La réponse lui vint finalement plutôt vite. Deux runes composaient ce mot. Le champion s’agenouilla, laissant échapper un souffle d’effort lorsque son genou le lança, puis posa son doigt ganté sur la plaque miroitante. A son contact, l’objet séculaire s’illumina d’argent. Théodore traça les deux runes et Owen attesta l’exactitude de son écriture.

La plaque se fendit en deux, puis disparut dans la terre, laissant une ouverture assez large pour laisser passer un homme. Une échelle les invitait à descendre.

— Profitez du soleil, suggéra Owen à ses compagnons. Nous ne le reverrons pas avant demain matin.

Sur ces mots, les trois voyageurs s’engouffrèrent dans les galeries souterraines.

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