Merci à toi, petite
Après avoir établi le campement à l’endroit proposé par Owen, les voyageurs se sustentèrent de quelques victuailles. Ils dormirent tôt ce jour-là, épuisés, alors qu’ils n’avaient pas la moindre idée de l’heure qu’il pouvait être. Pas un bruit ne vint bousculer leur repos.
Le chevalier fut le premier debout. Il raviva le feu de la veille et prépara un petit-déjeuner en bonne et due forme : œufs, fruits et biscuits secs. L’odeur alléchante de repas réveilla Aurore. Timide, elle s’installa aux côtés de la Hyène.
Le chevalier ressentit une certaine appréhension chez elle. Il l’invita donc cordialement à le rejoindre.
— Tu n’as pas eu trop froid, cette nuit ?
— Un peu. Mais au moins, j’ai dormi en toute sécurité. Bien des gens de notre peuple ne peuvent actuellement pas se targuer du même luxe.
— Exact.
Aurore avala sa part du repas avec appétit. Owen l’inspecta tandis qu’elle mangeait. Son minois d’adolescente, ses cheveux rouges comme des flammes et ses yeux bleus comme l’océan. Elle portait en elle l’harmonie. Elle l’incarnait, même. Pourtant, sous ce masque de pureté se tapissaient des blessures suintantes, des douleurs lancinantes et des souvenirs affligeants.
La jeune fille surprit son regard, puis fronça les sourcils.
— Je suis désolé, fit le chevalier.
— Désolé ? Pour quel motif ?
— Pour tout. Tout ce que j’ai pu te dire, tout ce que j’ai pu te faire subir. Je ne savais pas à quel point tu souffrais, gamine. Je n’ai pensé qu’à ma petite personne. Je me suis longtemps considéré comme le seul à souffrir dans ce groupe. Je n’avais que Marie et Espérance en tête. Et une colère manifeste pour les effacer un temps de mon esprit malade. Je n’ai pas su écouter vos peines, à toi et au champion.
— Le remords nous ronge tous. Mais je pense que nous n’avons jamais été aussi fort que maintenant. Nous connaissons chacun nos propres faiblesses et celles de nos compagnons. Mais nous connaissons aussi et surtout nos forces mutuelles. En outre, Owen, n’effacez pas Espérance de vos pensées. Je suis sûr qu’elle vous attend à Forléo, prête à panser vos lésions.
— Je m’accroche à cette idée, tu sais. Je m’y cramponne fermement.
Owen croqua dans un morceau de fruit sec puis prit une grande inspiration.
— Je ne te questionnerai pas sur ce qu’ils t’ont fait subir, petite. Je ne veux pas raviver des souvenirs inutilement douloureux. Mais sache que tu as tout mon soutien. Survivre et te relever après de telles ignominies… Tu peux te considérer comme une guerrière, une battante. Aurore, princesse pugnace et Fléau-des-Envahisseurs.
L’homme et la jeune fille rirent à l’unisson.
Après un moment paisible, Aurore essuya le bord de ses yeux.
— Merci.
— Non, merci à toi, petite. Je n’ai jamais été aussi sûr de ce pour quoi je me bats.
Derrière eux, Théodore émergea de ses songes. Il se joignit au repas, en saluant ses camarades. Après avoir remercié le chevalier pour sa cuisine, il dévora son petit-déjeuner.
— Alors, c’est le grand jour, fit-il en léchant ses doigts. Nous entrons aujourd’hui dans le duché de Koordie.
— Si tout se déroule comme prévu, nous atteindrons Koordie en fin de journée.
— Ainsi, espérons que tout se passe comme prévu !
— Comme si cela était déjà arrivé durant notre voyage, s’immisça Aurore.
Tous trois rirent… longtemps, comme s’ils voulaient prouver au monde que la joie persistait ici-bas, malgré la menace constante d’un terrible envahisseur. Owen s’éloigna du foyer, étudiant les chemins avoisinants. Lorsqu’il se considéra comme sûr de son itinéraire, il rejoignit Aurore et Théodore.
Ces derniers avaient déjà rangé leurs affaires et éteint le feu, prêts à repartir. Owen les félicita, s’autorisant un sarcasme désinvolte. Il s’équipa de son sac à dos et, avec un sourire, déclara :
— Allons-y.
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