Miriadinn To

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Le soleil déclinait au profit de la lune lorsque les aventuriers atteignirent Miriadinn To, le pont menant au duché de Koordie. Cette journée s’était écoulée sans que les voyageurs ne s’en aperçoivent. Pas la moindre embûche, ni le moindre obstacle ne les avait ralentis. Ils avaient progressé seuls, sous l’ombre infinie des colossaux squelettes de dragon.

Ils s’étaient arrêtés pour le repas, aux alentours de midi. Théodore avait proposé de s’asseoir sur l’une des côtes brisées, qui reposait là, dans la végétation basse et grouillante de vie. De ce cimetière n’émanait aucun péril. Seule une tranquillité immaculée s’accaparait de ces vastes étendues. Les Worgros les avaient épargnées.

L’après-midi s’était ensuivie, dans la concorde et la quiétude, à l’instar de la matinée. Le ciel s’assombrissait quand Owen désigna le crâne de dragon, à la taille prodigieuse, qui s’élançait dans le vide. Incrusté dans la terre, du côté du duché de Koordie, la tête en os du reptile leur faisait face.

Depuis sa gueule ouverte, les hommes avaient construit un pont, qui franchissait l’estuaire des Certitudes. D’un point de vue éloigné, n’importe qui aurait vu le reptile étendre sa longue langue pour toucher le duché voisin. Tout comme pour le pont des Nouveaux, une enfilade de statues du Lion, dressé sur ses pattes arrière, bordaient celui-ci.

— C’est… intimidant, commenta Aurore. Et plutôt sinistre. Bienvenue en Koordie, entrez dans la gueule du dragon.

— Ceux qui ne savent pas au sujet des dragons s’imaginent voir un serpent, nuança Owen.

— Ce n’est en aucun cas plus rassurant, Owen.

Bientôt, les trois voyageurs gagnèrent le début du pont. Moins d’une centaine de mètres les séparaient de leur ultime étape. Owen s’engagea le premier, rapidement talonné par le champion et la princesse.

— Je suis curieuse, que signifie Miriadinn To ? A la sonorité, je reconnais de la langue ancienne. Mais je suis incapable d’établir un quelconque sens.

— Questionne notre champion.

— Théodore ?

— Il s’agit de l’une des valeurs primordiales de l’Ordre des champions, répondit Théodore, s’immisçant dans la conversation.

— Intéressant ! De quelle valeur s’agit-il ?

— Il serait difficile de vous donner un unique mot. En fait, chaque champion se doit d’employer toutes ses forces, toute son énergie et tous les moyens acceptables pour réussir ou accomplir quelque chose. S’il échoue, réessayer lui est obligatoire. Tenter et retenter, jusqu’au succès et ce, qu’importe les obstacles, le danger ou l’adversité. Miriadinn To pourrait être traduit par efforce-toi.

— Efforce-toi… Je pense qu’aujourd’hui nous sommes, tous les trois, dignes de franchir ce pont.

— Je me revoie, allongé dans le sang, le visage fixé à l’herbe par une croûte, fit le chevalier, pensif.

— Et moi, le corps bloqué sous un mastodonte, le genou gonflé.

— C’est un long chemin que nous avons parcouru, reprit Owen.

— Mais il ne s’achève pas ici, tempéra Théodore.

Les statues du Lion jaugèrent ceux qui passèrent devant eux. Aurore se sentit petite. Terriblement petite. Instinctivement, elle se rapprocha du champion. Les pas des voyageurs accélèrent. Il leur tardait de rejoindre enfin le duché de Koordie. Mais tout ne se déroula pas comme ils le désiraient.

Malgré son handicap, Owen fut le premier à apercevoir la silhouette sur leur chemin. Camouflée dans les ténèbres diffuses de la soirée et abritée sous les crocs supérieurs de l’antique dragon, la forme humanoïde patientait, assise en tailleur. Son unique œil écarlate projetait une lueur ondulante. Owen s’imagina de nouveau dans la grotte d’Orion, avant son affrontement avec le mastodonte.

Un Worgro leur bloquait l’accès à Koordie.

Aurore et Théodore captèrent la menace à leur tour.

— J’ai bien peur de savoir à qui nous faisons face, lâcha Owen, la voix rauque.

L’épée au pommeau d’Ours crissa dans son fourreau. La claymore se joignit aussitôt au chant macabre. Aurore se plaça derrière les deux guerriers.

— Penses-tu qu’il soit encore en vie ? s’enquit Théodore.

Owen n’eut pas à répondre. Une voix stridente, à la portée inhumaine, retentit dans l’estuaire. L’écho qu’il en produisit fit frissonner le chevalier. Il se savait sensible aux cris infernaux de cette créature. Il devait tenir bon. Conserver son flegme et se focaliser sur le combat à venir.

« Kahlaar. »

« Virrta. »

La Hyène se sentit flancher. Le champion entrevit son malaise.

— Courage, mon ami ! lui intima Théodore. Je ne gagnerai pas cette rixe sans toi.

Le Worgro quitta l’obscurité.

S’il avait autrefois été invisible grâce à la sorcellerie, ce monstre apparaissait à présent aussi clairement que n’importe lequel de ses congénères. Le désert de Tanzanites l’avait supplicié, sans toutefois lui accorder la mort.

Il se déplaçait en claudiquant, trainant sa lourde charpente. Les lésions de son corps se multipliaient, si bien que le sang l’avait entièrement recouvert avant de sécher, le dotant d’une peau carmin et luisante. Ses joues, déchirées par les gemmes bleutées, ne retenaient plus ses crocs immondes. Sa gueule infâme, en conséquence, gesticulait d’une lamentable manière. Pour finir, la partie gauche de son visage ne formait plus qu’un amas de lambeaux à vif, le privant de l’utilisation de son œil.

Pourtant, de sa seconde orbite sourdait une haine indicible.

— Ensemble, dicta Owen. Cette fois, impossible de le manquer.

Théodore hocha la tête.

De front, le chevalier et le champion chargèrent.

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