Le Worgro rouge

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La claymore atteignit sa cible la première. Du plat de lame, Théodore heurta violemment son ennemi. La tête du Worgro fut projeté vers Owen. Ce dernier frappa de la pointe de son fer. L’épée râpa sur l’armature métallique de son visage, découpant des morceaux de peau pendante.

Le monstre vociféra, entre douleur et rage.

Owen se joignit au hurlement, poussant à son tour un cri d’effort. Aussi lestement que ses muscles fatigués le lui permirent, il virevolta et cingla derrière les deux genoux du Worgro. Sous l’impact, l’être couvert de sang s’affaissa.

Théodore, ayant anticipé l’action de son partenaire, avait entamé un arc de cercle vertical avec sa claymore, qu’il acheva dans le trapèze de son adversaire. L’élan, couplé à la force considérable du champion, envoya la lame creuser profondément dans la chair du monstre. Les filaments de métal ne purent pas encaisser l’entièreté du choc.

Derechef, le monstre s’égosilla et l’estuaire démultiplia sa rage tonitruante. Alors que Théodore tentait de dégager son épée, le Worgro la bloqua de ses deux mains. D’un ample mouvement des épaules, il propulsa au loin le champion qui, inconscient du piège, avait maintenu sa prise sur le manche de son arme. Il s’écrasa contre une statue du Lion, ébranlé.

Owen perdit une seconde à vérifier que son ami vivait toujours. Cet instant d’inattention lui valut un coup de poing féroce qui le cloua au sol. Une succession d’ombres et de lueurs éparses accapara sa vision tandis qu’un sifflement obstruait ses oreilles.

Au bord de l’évanouissement, le chevalier admira le brave petit dragon affronter l’immense colosse de fureur. Ses crachats de flammes bleutées distrayaient le Worgro.

De son côté, Théodore ne sentait plus ses jambes. Le heurt contre la statue glapissait jusque dans ses os. Pourtant, il crut entendre une voix l’appeler. Une voix ni féminine, ni masculine. Non. Plutôt une sorte de rugissement. Ses yeux se posèrent sur le gigantesque crâne de dragon, qui se revêtit d’une couronne de fourrure. La crinière s’enflamma et le dragon devint Lion.

La voix résonna de nouveau. « Miriadinn To », clamait-elle.

« Miriadinn To. »

« Miriadinn To. »

Avant la fin du troisième rugissement, Théodore se trouvait debout.

Le Worgro le dévisagea longuement. Sans réprimer son supplice, il délogea la claymore de son trapèze et s’en équipa. Puis, dans une clameur composée des cris du monstre et des échos de l’estuaire, il se rua sur l’homme.

Désarmé, Théodore sentit son heure approcher. Miriadinn To.

Il ôta son heaume et l’empoigna par les trous de la visière. Il ne surpasserait pas le Worgro en vitesse, ni en agilité, comme l’aurait pu Owen. Alors il joua sur ses appuis et la solidité de sa carrure.

Le Worgro assena un coup avec la claymore, comme si ça n’avait été qu’un glaive. Théodore renvoya l’attaque en frappant le plat de l’épée avec son heaume. Ensuite, il amorça une série de coups de poing renforcés par le métal du casque. Le champion sentit la chair et les os du monstre s’abimer. Mais sa main, sous le fer du heaume, faiblissait tout autant.

Finalement, le Worgro arrêta l’offensive de Théodore, en agrippant son poignet. Puis, il abattit le pommeau de la claymore sur le front de l’humain.

Théodore tomba sur son séant, contre la statue du Lion. Avant qu’il ne réalise ce qu’il lui arrivait, la claymore fonçait droit vers son cœur. Dans un réflexe salvateur, il freina l’arme de ses deux mains, coinçant le plat de la lame entre ses deux paumes ouvertes. La pointe fendit son armure, mais ne toucha pas sa chair.

En revanche, le tranchant de son épée lacéra ses gantelets, jusqu’à faire saigner ses doigts et ses paumes. Sa vigueur n’égalait pas la force de son ennemi et son endurance faiblissait dangereusement. Théodore s’imaginait déjà embroché par sa propre claymore.

Le sang séché sur la peau du monstre s’apparentait à de la glace sanguine. Le champion pouvait y voir son reflet, et il faisait peine à voir. Son visage se déformait sous l’effort.

Mais subitement, une autre épée fendit le ciel étoilé. Elle fendit, avec une netteté impeccable, le crâne du monstre. Le Worgro resta malgré tout de marbre et la pression qu’il exerçait sur la claymore ne diminua pas.

Owen réitéra. Son épée au pommeau d’Ours crevassa la tête du monstre à un autre endroit. Cela ne suffit pas non plus. Par contre, le Worgro lâcha le manche d’une main et attrapa le visage du chevalier, au-dessus de lui. Sans plus de cérémonie, il fit perdre l’équilibre à la Hyène en le tirant vers lui.

Owen vacilla vers l’avant, jusqu’au bord du pont. Impuissant, il glissa et le vide lui ouvrit les bras.

Théodore fut témoin de la chute de son ami. La véhémence se saisit de son corps et, à l’aide d’une force presque surhumaine, il écarta la lame qui le menaçait. La claymore s’enfonça dans la roche figurant le Lion. Le champion arma son poing et, dans son emportement, visa le genou le plus mutilé de son adversaire.

L’articulation, trop meurtrie, ne résista pas. La chair se déchira pour laisser sortir un os bien trop blanc et des fils de métal.

Un bruit innommable surgit des mâchoires sans joues de la créature. Elle tituba en arrière, s’appuyant sur sa jambe pourtant inapte. Puis son regard rouge s’apaisa, traduisant un recouvrement de sa maîtrise. Une maîtrise en ébullition, certes. Mais entièrement dirigée vers le champion, qui peinait à se mettre debout.

Soudain, alors que Théodore se préparait à être broyé contre la statue du Lion, un projectile atteignit le Worgro. A l’impact, l’objet jeté se cassa.

Le monstre courroucé se tourna vers son assaillante. Théodore put alors observer le dos de l’ennemi. Une matière glaireuse dégoulinait sur son omoplate. Il fallut que le champion se libère de ses émotions aveuglantes pour que son entendement lui vienne en aide.

Il s’agissait tout bonnement d’un œuf.

Un œuf ? Théodore croyait rêver.

Aurore lança un deuxième projectile similaire. Puis un troisième.

Couvert de honte, mais incapable de se déplaçait convenablement, le Worgro hurla sur la jeune fille, qui ne fléchit pas. Abasourdi, le champion se remémora d’où venaient ces œufs. Avec ces souvenirs, vinrent les mots d’Owen.

« J’ai découvert un regroupement de nids dans des rochers. Le soir venu, alors que je cassais mon précieux butin pour le diner, une nuée de volatiles furieux s’est abattue sur moi. »

— Des caillecanies, articula à voix haute le champion, en admirant l’ascension de la Lune.

Owen parlait dans sa tête : « Ne jamais casser un œuf de caillecanie le soir tombé. Ces petites chouettes sentent et repèrent des lieues à la ronde l’odeur de leur création. Elles rongeraient un sanglier si celui-ci s’en prenait à leurs protégés. »

Théodore sonda Aurore d’un rapide regard. D’un signe de la main, montrant son sac, elle lui fit comprendre qu’elle ne possédait plus de projectile. Cependant, il n’en fallut pas davantage.

Alors que le Worgro poussait des hurlements assourdissants au milieu du pont, un essaim de dizaines d’oiseaux nocturnes fouettèrent l’air de leurs ailes vives. Les caillecanies fondirent, comme une, sur le colosse.

Elles le piquèrent, le griffèrent, le décomposèrent. Un tumulte discordant s’éleva au-dessus de l’estuaire. Il ne dura toutefois pas longtemps. Affaibli et mortellement blessé, le Worgro ne résista pas. Les chouettes le mirent en charpie, refusant certainement de se nourrir d’une viande si viciée.

Après leur boucherie, les caillecanies s’envolèrent au loin, abandonnant derrière elles une carcasse à genoux.

Théodore se souvint alors de la chute d’Owen. Il se précipita au bord du précipice et se réjouit en trouvant le chevalier, agrippé à la queue du Lion sculpté. Le champion lui tendit la main et le remonta avec le peu de la force qui subsistait dans ses bras.

Une fois secourue, la Hyène reprit son souffle. Entre deux inspirations, Owen pointa du doigt la dépouille du Worgro.

— Aurore, lui précisa Théodore.

Owen observa la jeune fille qui approchait, en contournant largement la statue sanguinolente, une grimace de dégout sur le visage. Un sourire de satisfaction ensoleilla les traits de l’homme.

— Serons-nous un jour capables de les vaincre sans elle ? demanda-t-il à voix basse.

— Rien n’est moins sûr, mon ami.

Les deux hommes échangèrent un rire complice, gagnés par béatitude.

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