La dévotion des dragons
— Pourquoi riez-vous ? les questionna Aurore, en arrivant à leur niveau.
Depuis leur position assise, Théodore et Owen scrutèrent la jeune fille. La lune frappait dans son dos, assombrissant son visage et mettant davantage en exergue le bleu envoutant de ses yeux. Tous deux crurent admirer une apparition divine, venue les relever.
Owen brisa le charme, grâce à son infatigable sarcasme.
— Nous remarquions simplement que, au sein de notre équipe, la personne la plus sanguinaire s’avère frêle et haute comme trois pommes.
— Je vous interdis de me qualifier de sanguinaire, Hyène Owen. Je tiens à ce que vous restiez en vie, voilà tout. D’ailleurs, nous devrions vous remercier pour vos anecdotes, parfois farfelues certes, qui nous ont permis de triompher aujourd’hui.
— Les œufs de caillecanie… Jamais je n’aurais songé à en faire une telle utilisation.
— Vous vieillissez, votre créativité s’effrite. Triste constat.
— Ne deviens pas désobligeante, petite.
La jeune fille et le champion se moquèrent aimablement de l’irritation du chevalier. Finalement, ils reprirent leur route, laissant dans leur sillon une dépouille figée dans une état de souffrance inqualifiable.
Devant les mâchoires impressionnantes du dragon d’antan, le petit compagnon moustachu d’Aurore refusa de poursuivre. L’adolescente le pressa, mais rien n’y fit. Owen n’en fut pas surpris. Selon lui, les dragons représentaient une espèce particulièrement protectrice, se cantonnant cependant au territoire de leurs ancêtres : le Méridian et ses îles. Du moins, la plupart du temps.
L’animal avait accompli sa mission : escorter les trois voyageurs jusqu’à la sortie du duché. Peut-être y avait-il en ce moment même d’autres individus à accompagner et à protéger. Le chevalier s’attendait à voir les yeux de la jeune fille s’humidifier, mais elle retint ses larmes.
Digne, elle remercia le dragon pour sa bravoure et son dévouement, si tant est que de telles valeurs puissent être attribuées à un animal. Le petit être moustachu effectua des pirouettes dans les airs puis s’en alla au loin, traversant en sens inverse le pont de Miriadinn To. Lorsqu’il ne représenta plus qu’une tâche quasiment imperceptible à l’horizon, les trois voyageurs continuèrent dans la gueule du squelette géant.
Seule une lumière lunaire paresseuse striait la noirceur sous les épais os, ce qui entrava quelque peu leur avancée. Heureusement, ils se retrouvèrent bien vite de l’autre côté, posant enfin les pieds sur l’ultime duché : Koordie.
— Eh bien, mes amis, nous voilà sur les terres de Forléo, déclara Owen, les mains sur les hanches. Il semblerait que nous ayons pris de l’avance sur mes conjectures. Maintenons notre marche encore une heure ou deux, avant d’établir le campement. Nous en profiterons pour soigner nos blessures, même si nous nous en sortons admirablement bien pour un combat contre un Worgro capable de sorcellerie.
Théodore vérifia l’état de ses mains, qui avaient tout de même freiné la course d’une lame lancée avec une férocité inhumaine contre son torse. Un léger élancement le tiraillait. Mais rien de grave.
— Oui, fit-il. Cela attendra une heure ou deux.
Sur ces mots, le chevalier s’engagea sur le duché de la capitale. Le champion et la princesse lui emboitèrent le pas, déterminés à gagner Forléo et à sauver le royaume.
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