La Sixième Voie du Lion

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Le vent se leva dans la soirée, hululant sa sombre complainte dans l’obscure vallée de Koordie. L’on aurait dit que ce désagréable gémissement provenait des vastes landes elles-mêmes. Il s’agissait là des lamentations d’une terre s’apprêtant à s’abreuver du sang de milliers d’âmes. Un requiem pour les morts à venir, sur le champ de bataille.

Owen s’en doutait : même s’ils atteignaient Forléo en moins de deux jours, les Worgros seraient déjà positionnés devant les remparts de la cité du Lion. Peut-être auraient-ils déjà franchi les Mâchoires, se répandant comme de la bile infecte autour de la cité. Il ne leur faudrait alors guère de temps pour ronger de leur bave acide les murs de la capitale.

Les premiers nuages approchaient, fins oripeaux habillant la lune d’un voile de pudeur.

— Vous semblez pensifs, Hyène Owen, remarqua Aurore.

Le chevalier décrocha son regard de l’astre cendré et observa la jeune fille qui marchait à sa hauteur.

— Je songeais à la fin de notre voyage. Forléo sera prise d’assaut à notre arrivée. La guerre nous attend, il nous faut nous y préparer.

— Nous ne prendrons pas directement part à la bataille, corrigea Aurore. Au contraire, nous devrons la contourner pour gagner la Tour de Lion.

— En passant au préalable par les Mâchoires, qui seront certainement prises entre les hordes infâmes de l’ennemi et les surcots à tête de Lion de nos soldats.

— Il existe une voie secrète, depuis l’extérieur des Mâchoires. Un chemin dissimulé même aux yeux les plus aiguisés, qui s’avance entre les montagnes au sud de Forléo.

— Je ne connais pas cette route, avoua Owen, quelque peu troublé.

— Moi, je la connais, ne vous inquiétez pas. C’est sûrement ce chemin que l’assassin worgro a emprunté pour nous priver de notre Lion.

— Qu’est-ce qui nous dit que ces monstres ne gardent pas le sentier montagneux, depuis lors ? intervint Théodore.

— Si tel est le cas, nous leur ferons face, comme nous l’avons toujours fait.

Les hommes ne rétorquèrent pas davantage. Leur futur s’ancrait dans une mer d’incertain. Inutile de débattre sans plus de renseignements quant à cette prochaine épreuve. Après tout, il subsistait une chance, quoique ténue, qu’aucun Worgro ne garde la voie secrète.

Un froid pesant et étouffant s’installa dans les landes koordiennes. La nuit s’engorgeait d’une atmosphère inquiétante. Owen proposa de stopper leur progression pour ce jour. Il leur fallait se ressourcer après leur combat contre le Worgro écarlate.

Repérant le commencement de l’une des Voies du Lion, dans le ténébreux paysage, Owen prolongea de quelques centaines de mètres leur avancée. Ils posèrent leurs affaires sous la première statue du Lion. Une imposante forme de pierre dépassant les quatre mètres de hauteur.

— Les Voies du Lion, fit Aurore, en installant sa couche sous l’une des pattes brandies par la figure figée dans la roche. Je me sens gagnée par un étrange sentiment.

Théodore s’approcha d’elle, lui déposant une main affectueuse sur la tête.

— Retrouver son chez-soi, son confort et sa sécurité peut parfois effrayer.

— Oui. C’est bien un mélange de tout ceci qui me tiraille le ventre.

La jeune fille pivota vers le champion, l’air hagard. Elle lui sourit et il comprit que son tourment se nourrissait d’autres craintes bien plus terribles. Il ne trouva cependant pas les mots pour la faire parler.

Owen, qui, dans l’obscurité ambiante, peinait à identifier la position dans laquelle se dressait le Lion de pierre, effectua un tour complet de la sculpture. Lorsqu’il revint au point de campement, où Théodore allumait le feu, il annonça sa conclusion.

— Trois pattes levées, la gueule ouverte, la queue ondulée et les griffes sorties. Nous sommes à l’orée de la Sixième Voie du Lion. Bonne nouvelle. Encore un jour et demi de route. Nous serons à Forléo sous peu.

Les trois compagnons apprécièrent cette soirée de calme. Ayant affronté des jours durant le sablier éternel du temps, qui portait haut les étendards de l’ennemi, les voyageurs se sentaient enfin émancipés de cette contrainte. Plus rien ne les retiendrait avant Forléo.

Après avoir soigné les mains de Théodore, dont les blessures ne paraissaient pas si graves tout compte fait, ils mangèrent sans se presser. Ils discutèrent de sujets légers, comme s’ils avaient totalement omis qu’une bataille grondait, à l’est. Une bataille durant laquelle merci et valeurs ne seraient que chimères.

Finalement, alors que Théodore et Aurore rejoignaient leur couche et que Owen s’apprêtait à prendre le premier tour de garde, une ombre fila dans la nuit. Sans qu’ils ne puissent réagir, l’apparition de ténèbres fondit sur le champion depuis l’une des pattes surélevées du Lion. Une lame, pâle reflet de la lune voilée, glissa sous sa gorge.

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