Les fauves d'Aurore
L’aube cueillit les dormeurs, alors que Théodore guettait l’horizon. Il avait pris le dernier tour de garde au côté d’Ambre, le Sanglier. Dans le silence confortable de la nuit, ils avaient discuté de leur rôle mutuel au sein de la société koordienne. Bien qu’ils appartiennent tous à la même nation, les champions et les chevaliers ne s’adressaient que peu la parole, ne remplissaient guère de missions en coopération et, en définitive, ne se connaissaient presque pas.
Au demeurant, Théodore se sentit plutôt proche de la philosophie de cette guerrière. Quelques rires retenus agrémentèrent même leur conversation. Une conversation que Théodore regretta d’abandonner une fois toute la troupe levée.
— Rien d’anormal ? les questionna Nicolas à son réveil.
— Hormis ce vent frigorifiant et ces nuages de mauvais augure, rien, répondit le Sanglier.
Owen proposa de partager leurs rations avec l’escouade de chevaliers, mais ils déclinèrent poliment : ils possédaient leurs propres vivres. Tous déjeunèrent avec efficacité, avalant juste de quoi s’hydrater et glaner quelques forces pour ce début de journée.
Peu de temps après, ils prirent la route. Théodore profita du calme de la route pour reprendre sa discussion avec la jeune femme qui avait veillé à ses côtés durant la nuit. Owen lui lança un regard plein de sous-entendus, que le champion fit mine d’ignorer. Lorsqu’Ambre lui demanda pourquoi ses joues s’empourpraient, il accusa le froid.
La Hyène du trio, quant à elle, marcha avec Nicolas et Bartholomé. Owen se renseigna sur l’utilité d’un Aigle dans un groupe d’intervention aussi brutal et expéditif. Bartholomé s’amusa de la franchise avec laquelle Owen parlait. Certes, son âge et sa fonction ne faisaient pas de lui une élite dans le combat en tant que tel, mais il excellait dans les tactiques et les stratégies martiales, dont le groupe avait bénéficié jusque-là.
Aurore, finalement, préféra passer du temps avec Iris et Violette, les deux Loups.
— Avez-vous participé à la bataille sur les plages d’Orion ?
— Affirmatif ! répondit Iris. Nous étions toutes deux sur le flanc sud. Par chance, quand la magie s’est estompée, nous avons pu nous joindre à un groupe qui battait en retraite. Tu aurais vu la violence et la sauvagerie avec laquelle se battaient ces monstres… J’en ai encore des frissons. Par quel enchantement tes deux gaillards ont-ils survécu ? Je ne peux me l’expliquer.
— Ils étaient en piteux états quand je les ai rencontrés.
— Ils le sont toujours, rectifia Violette, faisant référence à la démarche clopinante du champion.
— Pourtant, ils m’ont secourue d’une kyrielle de dangers. En outre, je suis sûre qu’ils pourraient vous surprendre si vous cherchiez à les défier dans un duel amical.
Iris s’esclaffa, un sourire torve barrant son faciès.
— Eh ! la Hyène !
Owen et Nicolas tournèrent la tête simultanément. Ce dernier sut néanmoins que le Loup ne s’adressait pas à lui.
— La rouquine certifie que tu pourrais nous battre en duel, moi et Violette.
— Une confrontation ne serait pas à propos, Iris, la réprimanda Nicolas.
— Je ne connais pas tes faits d’armes, Loup. Par conséquent, impossible de l’affirmer ou de l’infirmer. En revanche, je peux te préciser une chose : avec Aurore et Théodore, nous avons mis à bat trois suzerains-sorciers depuis le début de notre expédition.
Pantois, les six chevaliers baroudeurs ne pipèrent mots.
Dans un murmure, Iris glissa à Aurore :
— Où as-tu déniché de tels fauves ?
Comme seule réponse, l’adolescente pouffa.
Aux alentours de midi, ils grignotèrent des tranches de pain et des salaisons en tout genre. Ils ne prirent pas le temps de s’arrêter pour ce repas. En début d’après-midi, dans le lointain, qui s’assombrissait à cause des nuages s’agglutinant devant le soleil, ils aperçurent des barricades entre deux statues du Lion. Sombre présage, de la fumée noire exhalait du lieu.
Non sans anxiété, ils se déplacèrent avec prudence jusqu’à ce qui paraissait être un champ de bataille. L’odeur de chair grillée, semblable à celle d’un porc rôtissant dans un âtre, obstrua instantanément leurs narines. Lorsqu’ils furent accoutumés aux relents de viande consumée par les flammes, les effluves d’une terre humidifiée par le sang les assaillirent.
Puis, alors qu’ils dépassaient les défenses construites à l’aide de pieux imbriqués les uns dans les autres, ils réalisèrent d’où émanaient ces affreuses senteurs. Des cadavres humains gisaient çà et là, entre les dépouilles ennemies. Des corps décapités reposaient non loin de leur tête, elles-mêmes empalées sur des piques. Des viscères répandus sur le sol, s’apparentant aux fastueux tapis rouges sur lesquels marchaient les seigneurs dans leurs châteaux, jalonnaient des voies spongieuses et écœurante, qui plongeaient dans le cœur du massacre. Là, des armures criblées de projectiles s’amoncelaient près des brasiers au combustible scabreux. Des crépitements immondes pétillaient, répercussions déformées de centaines d’os calcinés.
Une bataille s’était déroulée ici.
Quel camp l’avait remporté ? Difficile de le déterminer. Les pertes dans les deux camps s’équivalaient.
Soudain, du mouvement se fit ressentir sur leur côté. A l’affût, les huit guerriers dégainèrent. Aurore se posta derrière Iris et Violette.
Entre deux barricades, se dessinèrent les contours d’une silhouette monstrueuse. Un mastodonte, ou plutôt un suzerain-sorcier au vu de son accoutrement si singulier, se dressa devant eux. Dans ses yeux sanguins, brillait une lueur anormale.
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